Le graphique que je vous présente permet – nous le faisons dans certaines publications – d'identifier, ici en orange clair, les personnes qui sont nées en France et dont un seul parent est né à l'étranger, c'est-à-dire les personnes issues de couples mixtes. Comme vous pouvez le voir, cette part est beaucoup plus importante que dans les autres pays, beaucoup plus importante qu'aux États-Unis, que dans la moyenne de l'OCDE et que dans tous les pays européens. En proportion, elle est très importante.
Les enfants de couples mixtes ont des résultats qui sont beaucoup plus proches des enfants de couples où les deux parents sont nés en France même s'il subsiste un écart. Effectivement, la question se pose de savoir où l'on « classe » les gens. Mais cela peut encore renforcer négativement les moyennes que je vous ai présentées : si on excluait les enfants de couples mixtes, nous aurions des écarts encore plus forts.
Je souhaite préciser un point : l'intitulé de votre mission d'information porte sur le racisme. Les discriminations rentrent dans une définition beaucoup plus large. On définit typiquement, parmi les discriminations, d'une part, des discriminations qui sont identifiées sur la base de préférences – je ne veux pas de personne de couleur ou de personne de telle religion ou de personne de tel âge ou de telle orientation sexuelle, etc. – dont le racisme et, d'autre part, des discriminations dites statistiques. Celles-ci correspondent au fait de se dire : j'ai deux candidats, il y en a un pour lequel j'ai un faisceau d'informations imparfait, des préjugés, le cas échéant, parce que je sais que, dans ce groupe, il existe plus de risques de trouver tel comportement ou tel profil. Je vais m'en détourner, non pas parce que je ne veux pas cette personne, mais parce que je ne veux pas prendre le risque. C'est une distinction importante du point de vue des politiques publiques mais, pour la personne qui est concernée, cela ne fait aucune différence. Elle se présente à un entretien, elle est prise ou non. C'est pour cela que je souligne que cette question du racisme est certes importante, et qu'il faut le combattre mais, si nous excluons de cette question le problème plus large des discriminations, nous ratons en fait le sujet.
De la même manière, certaines discriminations sont directes et d'autres sont indirectes. Une discrimination directe correspond à l'exemple que je viens d'énoncer. Les discriminations indirectes se trouvent, typiquement dans les concours de la fonction publique qui sont parfaitement républicains – on cache le nom etc. – mais où l'on peut poser des questions dont les réponses ne sont connues que de ceux dont les parents sont nés dans le pays. C'est une discrimination institutionnelle. Ce n'est pas prévu pour discriminer mais, de fait, cela bloque les gens.
Mon propos est donc que cette question de l'inégalité des chances est tellement forte dans une société où la promesse d'égalité a été faite qu'elle est forcément vécue comme une discrimination, comme du racisme. Cela produit une sorte de phénomène de repli parce qu'il n'y a pas d'autre échappatoire, et je pense que l'exemple que vous avez donné est parfaitement pertinent et même plus que cela. Cela entretient des préjugés, des idées préconçues dans un débat public où, finalement, nous n'allons malheureusement pas du tout vers une convergence mais, au contraire, vers une forme de séparatisme. Si nous ne traitons pas au fond cette question de l'égalité des chances, si nous ne redressons pas la barre, si nous ne permettons pas aux gens qui ont le moins de chances au départ de rattraper cet écart, nous serons toujours confrontés à cette question de l'opposition selon des critères divers et variés.
C'est la question fondamentale et, effectivement, il existe des politiques publiques qui cherchent à compenser ces écarts : la politique de la ville ou la politique des dédoublements des classes de CP. Mais, indépendamment de l'efficacité de ces politiques – il y a débat sur l'efficacité de la politique de la ville, moins pour les dédoublements des classes de CP qui, a priori, fonctionnent très bien – il va falloir attendre 15 ans pour que ces enfants arrivent sur le marché du travail et pour savoir si cela a bien fonctionné, pour commencer à mesurer le début d'un effet. C'est trop tard car il faut rattraper le problème tout de suite.