Je commence par rebondir sur ce que vient de dire Jean-Christophe Dumont qui nous alerte sur le fait que c'est déjà trop tard et qu'il faut vraiment se dépêcher. Cela renvoie à votre question sur la déception de la promesse républicaine.
Dans l'enquête TeO, une des questions posées était : « Vous sentez-vous français ? Vous diriez-vous français ? » Très majoritairement, les enfants d'immigrés s'identifient à la France, à une majorité vraiment écrasante. Mais nous avions aussi une autre question qui était : « Sentez-vous que vous êtes vu comme un Français ? » Il y a sur cette question une énorme chute du pourcentage, en particulier pour les minorités visibles. Ce résultat de TeO est assez terrible et je pense que c'est un bon indicateur de cette déception et de l'urgence à la traiter, parce que ce sont des adultes qui nous répondent.
Cela renvoie aussi à la question du communautarisme. Je pense que toutes ces inégalités et ces discriminations dont nous avons parlé, ces expériences de racisme, y compris à l'entrée des discothèques, sont de nature à alimenter le communautarisme ou le repli sur soi, parce qu'il faut d'une certaine façon se protéger. Je voulais aussi insister sur le fait que, quand on parle de repli des communautés sur elles-mêmes, cela concerne aussi la population majoritaire, les Blancs. Par exemple, et je reviens sur la mixité, j'ai revu hier un graphique produit à partir de TeO sur la mixité dans les couples selon la religion. En fait, quand nous comparons les musulmans avec les chrétiens, les protestants et les juifs, ce ne sont pas les musulmans qui seraient les plus repliés sur eux-mêmes. De fait, on constate que les chrétiens se marient entre eux. J'adhère à l'idée que le repli communautaire peut être une conséquence de la déception de la promesse républicaine, mais je pense qu'il est également important, sur cette question du communautarisme et du repli, de ne pas regarder seulement les minorités. Cette idée de l'entre-soi est un fait social d'une banalité « crasse ». Cela ne concerne pas que les minorités. Il est important de l'avoir en tête.
Je voulais également revenir sur votre question à propos des différents domaines où s'expriment les discriminations racistes ou le racisme en général. Jean-Christophe Dumont a parlé de l'emploi et du logement, Hervé Le Bras a parlé de l'éducation à l'instant. L'éducation est un sujet compliqué. En France, nous avons des résultats assez nuancés sur la réussite de la deuxième génération. Cela dépend un peu des sources. Par contre, un fait que nous retrouvons dans les études les plus récentes est que les résultats varient beaucoup selon le sexe des enfants d'immigrés et que les filles sont plus performantes. Les filles d'immigrés, y compris des minorités visibles, ont de meilleurs résultats que les filles de la population majoritaire. En revanche, pour les garçons, c'est la catastrophe. Les chercheurs spécialistes de l'éducation qui travaillent sur ces questions, qui ont des approches plus qualitatives que ce que nous faisons à l'INED, analysent cela en termes de stéréotypes différenciés. Dans le monde de l'Éducation nationale, les stéréotypes sont souvent très favorables aux filles des minorités, avec l'idée qu'il faut les protéger, alors que les garçons souffriraient plutôt de stéréotypes très négatifs, pour le dire vite. Dans l'Éducation nationale, quand nous décomposons par sexe, nous avons des résultats qui ne sont pas bons du tout.
Cela soulève la question, et c'est encore un débat du moment, de l'État raciste. Il n'y a évidemment pas une politique d'État raciste comme il a pu y en avoir lors de l'apartheid. Ce n'est pas vrai mais, pour reprendre le terme de Jean-Christophe Dumont, il existe des formes de racisme institutionnel. Cela ne fait pas des agents de la fonction publique des racistes en eux-mêmes, mais il existe une reproduction des stéréotypes et des pratiques qui font que nous arrivons finalement à des mesures évidentes d'inégalité dans l'éducation. Cela se traduit notamment dans les formes d'orientation. Les enfants ne sont pas promus de la même façon en fonction de ces stéréotypes et ils ne sont pas orientés pas de la même façon.
Cela est vrai aussi – on en parle beaucoup en ce moment – des pratiques de la police, et dans les préfectures. Dans l'enquête TeO, nous avons nombre de questions sur l'expérience de discrimination dans différents types de services publics et nous retombons toujours sur le même résultat, avec des déclarations très importantes de discriminations vécues dans tous les services publics par les minorités visibles, les immigrés, mais aussi leurs enfants. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n'existait pas. Cela ne dit pas que l'État est raciste, mais simplement qu'il existe un racisme institutionnalisé et contre lequel il faut trouver des moyens de lutter. Nous pouvons dire que nous ne discriminons pas mais, en réalité, nos mesures prouvent le contraire et sont unanimes.
Vous évoquiez tout à l'heure la question du peuplement. Oui, vous avez raison, ce serait bien de promouvoir la mixité. La difficulté est que les leviers politiques sur le peuplement ne sont pas énormes, hormis avec la politique d'attribution d'habitation à loyer modéré (HLM). Depuis quelques années, des mesures sont prises pour que les logements HLM ne soient pas tout le temps implantés dans les mêmes communes. Ce n'est pas extrêmement efficace. Il y a à la fois une question de répartition des HLM sur le territoire, d'une commune à l'autre, et la question de la répartition, par les offices HLM, des populations en fonction de leurs origines. J'en reviens à ma conclusion précédente. Ne faudrait-il pas se donner des instruments de pilotage pour vérifier qu'il n'existe pas de pratiques discriminatoires dans la répartition des familles dans les différents logements sociaux ? Quelques études ont été faites et ce n'est pas indifférent d'envoyer dans la Cité des 4000 ou dans le HLM du centre-ville. On peut certainement faire quelque chose dans les politiques HLM. C'est le seul levier que nous avons en matière de peuplement et nous voyons bien que nous avons du mal à l'actionner.