Intervention de Hervé Le Bras

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 11h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Hervé Le Bras, chercheur émérite à l'INED :

Je vais faire quelques réponses brèves. Sur la question de l'intégration par l'éducation aux États-Unis, je n'ai pas suffisamment de chiffres. Le cas du Canada est très intéressant. Comme vous le savez, au Canada, dans les classes, les enfants d'immigrés réussissent mieux que les enfants canadiens d'origine. L'explication est relativement simple. Elle est à rechercher à la génération précédente : ceux qui entrent au Canada sont, du fait du système de points qu'il faut pour accorder le permis de séjour au Canada, beaucoup plus diplômés. Ils viennent de milieux pas forcément aisés, mais de classes moyennes ou même de classes supérieures. Ce peut être par exemple un médecin syrien. Son diplôme n'étant pas reconnu, il sera infirmier au Canada mais il poussera au maximum ses enfants, dans une forme de revanche sociale

En France, au contraire, nous avons fait une sélection sur la base de critères inverses que l'on peut définir comme négatifs, des migrants dans les années 1960 à 1980. Vous connaissez par exemple le film Mémoires d'immigrés, l'héritage maghrébin de Yamina Benguigui. Nous voyons bien dans ce film que des rabatteurs étaient envoyés dans les pays du sud. Ils avaient comme mission de prendre des hommes « costauds » et c'était encore mieux s'ils n'étaient pas trop éduqués puisque, comme cela, ils ne se syndiqueraient pas. Nous avons donc impulsé, ce qui est d'ailleurs rare, une immigration massive sur la base de ces critères et, en conséquence, nous avons des problèmes sociaux. Il faut comparer le devenir de cette seconde génération avec le devenir, par exemple, d'enfants d'ouvriers agricoles français. Nous avons donc fabriqué une partie de notre malheur social.

Une personne a demandé comment nous travaillons. Les deux autres exposés ont illustré le fait que nous avons vraiment une grande abondance de données, une grande diversité de points de vue. Nous pouvons faire mieux, mais on ne peut pas dire que nous n'avons pas étudié la question et que nous manquons de données comme je l'entends souvent.

Sur la question de l'évolution de la démographie : les Français ont les yeux fixés sur l'immigration mais ils ne s'aperçoivent pas que l'émigration est très importante. Cela risque de changer avec la Covid-19 mais, d'après les chiffres de l'année dernière, le solde migratoire de la France est de 43 000 personnes environ. Ce solde migratoire est la différence entre un solde migratoire positif d'étrangers dont je n'ai plus le chiffre exact, de l'ordre de 188 000 personnes, et un solde migratoire négatif de non-immigrés qui est de l'ordre de 145 000 personnes. Vous me direz que c'est la mondialisation, certes, mais nous devons essayer de comprendre ce turnover.

Qui part ? C'est une question importante et cela va rejoindre une autre remarque des intervenants. Il est très difficile de le savoir parce qu'il faudrait voir qui arrive à l'étranger. L'impression que certains ont est qu'une partie de ceux qui partent sont des jeunes issus de l'immigration qui ont de bons diplômes de pâtissier, d'électricien, pas forcément des Bac+5. Ces jeunes, qui pourraient servir de modèles dans les quartiers, s'en vont parce qu'on ne les retient pas. J'ai tout à l'heure indiqué que, en prenant en compte la profession des parents, la réussite scolaire des enfants est relativement semblable à celle de la population générale, en admettant ce qui a été dit par ailleurs sur la différence entre hommes et femmes. Le problème se situe juste après : une fois qu'on a le diplôme, on n'a pas l'emploi. Une des conséquences est qu'un jeune diplômé d'origine migratoire sera bien sûr tenté d'aller, par exemple, en Angleterre. De plus, en Angleterre, quand on est tunisien, on est traité comme un Sicilien ou un Italien. Ce n'est pas très différent puisqu'on est dans la catégorie « Blanc » et puis voilà. Ce n'est pas comme en France. Nous fabriquons là notre malheur une seconde fois. L'immigration a beaucoup évolué. D'après les chiffres sur le niveau d'éducation des nouveaux migrants, le niveau d'éducation des migrants qui arrivent est élevé. Ce n'est plus du tout la même migration, justement d'ailleurs parce qu'elle n'est plus recherchée. Elle est de l'initiative des personnes.

Troisième et dernier point, comment agir ? C'est une question très fréquente des politiques français. J'ai toujours la même réponse : je peux essayer de vous décrire la situation, mais c'est à vous d'agir. Je peux vous parler de la position dite de Max Weber : une fois que vous aurez dit « voilà, nous allons faire cela », je peux vous dire de faire attention parce que… Je peux avoir un jugement mais je pense que ce n'est pas à moi de vous dire ce qu'il faut faire. C'est vraiment votre métier.

Bien sûr, je sais qu'il y a des moyens d'agir, notamment sur la question des contrôles « au faciès » qui est bien connue. Il n'y a pas que la question du contrôle « au faciès » mais aussi celle des caméras. Il y a énormément de moyens d'y remédier mais je reviens à une chose que j'ai dite et qui est grave : il y a une certaine crainte des syndicats de policiers et il faudra, pour régler cette question, du courage. Ces syndicats de policiers sont de plus en plus importants dans la gestion de la politique parce que nous sommes de plus en plus dans un pays où le peuple et l'oligarchie s'affrontent. Il n'y a plus rien entre les deux, à part la police. C'est donc à cette police que nous avons affaire pour prendre des décisions politiques dans ce domaine. Je pense que l'on peut faire des choses dans le domaine de l'éducation, beaucoup de choses, mais cela prend du temps. En revanche, pour les contrôles « au faciès », cela pourrait prendre peu de temps de les réformer, mais cela sera très difficile pour le politique face aux difficultés qu'il rencontrera.

Un tout petit mot sur les discothèques : vous avez tout à fait raison, mais le problème des discothèques est moins grave que les contrôles « au faciès » parce que le gérant de la discothèque ou le videur qui est à l'entrée ne représente pas l'État. Si vous voulez, ce n'est pas à la promesse républicaine, tandis que le policier, c'est l'État. C'est quand même assez différent. Et, pour rire un peu, malgré ces difficultés en discothèque, il y a finalement beaucoup d'unions mixtes !

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