Intervention de Jean-Christophe Dumont

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 11h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE :

Sur la question de la mixité et de la mobilité, je pense que la difficulté tient en grande partie au fait que le référentiel change. Même quand il y a des progrès, ce qui compte est le relatif et les écarts peuvent donc se creuser en dépit des progrès. Il y a quelques années, un bac+2 suffisait ainsi à garantir l'entrée sur le marché du travail. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, il faut un bac+5, avec une expérience à l'étranger ou des stages. Les prérequis évoluent donc et la difficulté, pour les gens qui partent avec un « boulet » au pied, est de rattraper, non pas seulement d'avancer mais de rattraper. C'est cela qui ne fonctionne pas. Ceux qui font des efforts, ceux qui, en dépit des difficultés auxquelles ils sont confrontés, réussissent, par exemple à l'école, se retrouvent confrontés à des difficultés sur le marché du travail parce qu'ils n'ont pas de stage, qu'ils n'ont pas le premier emploi qui va ensuite leur permettre d'avancer. À l'OCDE, typiquement, nous avons beaucoup de demandes de stagiaires français mais nous n'avons jamais un stagiaire dont les parents sont issus de l'immigration. Il existe donc des blocages et des effets de réseau. Il y a aussi le fait de se dire : « ce n'est pas pour moi, ces études ou cette opportunité ne sont pas faites pour moi ». Cela peut parfois être même intégré dans l'institution, c'est-à-dire qu'au moment de l'orientation scolaire par exemple, un élève s'entendra dire : « compte tenu des difficultés, peut-être que des études plus courtes seront mieux pour toi ». C'est une grande difficulté, car il faut non seulement continuer à progresser, mais permettre le progrès social, et s'assurer que cela se passe plus vite pour les minorités que pour la moyenne si nous voulons arriver à combler les écarts. Sinon, ces écarts se creusent et cela produit des effets dont nous parlions tout à l'heure.

Quelles solutions fonctionnent ? Nous avons à l'OCDE une publication sur la diversité qui doit sortir en septembre. Je vous la transmettrai. Nous essayons, dans cette publication, de faire le point sur un certain nombre d'instruments qui cherchent à promouvoir la diversité.

Je pense que, en amont de la question de la diversité se trouve celle de l'intégration : c'est aussi parce que les parents ont eu des difficultés et n'ont pas bien réussi socialement que les enfants ont plus de difficultés ensuite. Il faut donc absolument redoubler d'efforts pour l'intégration et ce d'autant plus, effectivement, que nous avons eu une immigration qui, comparée à celle des autres pays, est plutôt moins qualifiée du fait de l'importance du regroupement familial et d'autres facteurs. Il faut donc faire plus, c'est indiscutable. Des jalons ont été posés mais je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit suffisant.

Deuxièmement, il faut renforcer les dispositifs de lutte contre les discriminations et contre le racisme. Le cadre législatif existe en France, comme il existe ailleurs. La probabilité d'être jugé et condamné pour le racisme est quand même très faible. Ce n'est pas spécifique à la France mais il faut que, au-delà du cadre législatif, des actions amènent les gens qui ont des comportements racistes à être punis.

Je vais vous donner un exemple personnel. Quand j'ai rejoint l'OCDE, je venais du Canada. J'ai cherché un appartement à Paris dans le parc privé. J'ai été confronté aux propos racistes d'une propriétaire qui souhaitait s'assurer que la personne qui s'installerait dans l'appartement n'était pas noire. Je n'ai pas pris cet appartement et je suis allé au commissariat pour déposer une main courante, où l'on m'a indiqué : « Si vous voulez, nous pouvons prendre la main courante, mais cela sert à quoi ? Comment prouver cela ? » Honnêtement, il faut faire quelque chose. Nous ne pouvons pas laisser des gens impunis dans cette situation. Il faut à mon sens renforcer, non pas le cadre législatif qui existe, mais les sanctions.

Ce qui fonctionne dans certains pays, ce sont des incitations financières pour les employeurs, non pas spécialement pour les immigrés mais pour les gens qui ont plus de difficultés, qui font partie de groupes pour lesquels les possibilités d'emploi sont plus faibles. Ces subventions portent sur les charges sociales, les salaires. Cela existe dans les pays nordiques pour un certain nombre de groupes d'immigrés. On y réfléchit parfois pour les réfugiés. Pourquoi se focaliser sur ce groupe et ne pas avoir une réflexion plus générale ?

Se pose également la question des réseaux. Aujourd'hui, pour avoir un premier emploi, il faut avoir des contacts et des connaissances. Il existe des programmes de mentorat qui sont plus ou moins efficaces. Certaines associations fonctionnent bien mais à petite échelle. Certaines de ces actions ne peuvent-elles pas être développées ? À l'inverse, on renforce les inégalités avec le stage de fin de troisième par exemple car ce stage est basé sur les réseaux. De nombreux jeunes le font dans la pizzeria ou le « kebab » du quartier et cela ne fait que renforcer les inégalités par rapport à d'autres qui ont pu le faire autrement. Sur cette question du réseau, des actions doivent être menées pour casser cette dynamique.

D'autres exemples sont plus discutables, comme la question du CV anonyme. Des tests ont été faits, cela n'a pas donné grand-chose et même, dans le cas de la France, on a prouvé que c'est contreproductif parce que cela a empêché les employeurs qui cherchaient à avoir une action en faveur de la diversité d'agir dans ce sens puisqu'ils ne pouvaient plus distinguer les candidats. Cela peut marcher, être utile dans certains cas mais, en tant que système généralisé, ce n'est pas forcément le plus efficace.

Il faut effectuer un travail avec les personnes qui sont chargées du recrutement pour, par exemple, gérer les biais inconscients dans les procédures de recrutement. Des solutions existent. Les chartes et les labels ne sont pas inutiles mais cela touche les grandes entreprises, celles qui ont peut-être déjà conscience du problème. Le tissu de petites et moyennes entreprises n'est pas du tout touché par ces instruments.

Derrière tout cela se trouve la nécessité que le discours public change et cela ne concerne pas seulement la parole du chef de l'État, c'est évident. C'est à des niveaux de puissance publique qui sont bien plus diffus. Ce n'est pas seulement la parole du chef de l'État ou du ministre mais quelque chose qui doit changer à tous les échelons de la fonction publique. Il y a peut-être aussi un travail à faire avec les médias.

Cela dit, je partage parfaitement votre inquiétude à propos du contexte actuel. Nous avions déjà observé, lors de la crise de 2008, que ceux qui sont en marge du marché du travail sont soit renvoyés en premier, soit embauchés en dernier. Cela ne peut que renforcer les difficultés mais la réponse à ce dernier problème est plus compliquée.

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