Intervention de Cris Beauchemin

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 11h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Cris Beauchemin, directeur de recherches à l'INED :

Je vais m'en tenir à cette question sur ce que nous pouvons faire et je reviens sur l'idée de l'observatoire et de l'usage des statistiques. Vous avez certainement raison, un observatoire ne résoudra pas tout. En revanche, je pense qu'il est important que le discours public change. Par exemple, qu'on ne puisse plus entendre « on ne fait pas de statistiques ethniques en France » ou « c'est interdit » alors que, non seulement c'est autorisé – c'est contrôlé certes – mais nous le faisons.

Nous avons déjà beaucoup d'informations mais ces informations sont très diluées parce que ce n'est pas concentré en un lieu. Ce n'est pas clairement porté par la puissance publique et ces données sont dispersées dans une multitude d'institutions. Je pense qu'il y a un enjeu, en termes de discours public, à coordonner les efforts de mesures et de publicité des mesures qui sont faites.

Pour revenir à ma conclusion tout à l'heure, pour le moment, toutes les mesures des discriminations ou du racisme sont convergentes mais nous sommes encore dans une logique de coups de sondage. Nous faisons TeO une fois tous les dix ans ; peut-être ne le ferons-nous pas dans dix ans, je n'en sais rien. Nous sommes en train de faire la deuxième. Cela durera­‑t‑il ? La Dilcrah a fait une enquête, le Défenseur des droits a fait une enquête. Nous faisons donc des coups de sondage. Tous convergent vers les mêmes résultats mais il ne s'agit pas d'un dispositif structurel de l'État qui se donnerait les moyens de mesurer si l'égalité des chances est effectivement respectée. L'idée de l'observatoire, en tout cas dans ma compréhension, est de changer de braquet. L'observatoire institutionnalise la mesure des inégalités selon l'origine ou l'apparence – nous verrons ce qui est le plus pertinent.

Ensuite, veut-on seulement poser le diagnostic ? Si l'État assume un diagnostic structurel récurrent, ce sera déjà beaucoup. Mais voulons-nous aussi mesurer pour piloter les politiques publiques ? Dans le rapport du Défenseur des droits figurait un exemple intéressant d'étude : une étude de testing avait été faite auprès d'agences immobilières, accompagnée d'un rappel à l'ordre des agences immobilières qui avaient manifestement fauté, pas forcément à dessein mais parce qu'il y a des stéréotypes et des biais inconscients. Après ce rappel à l'ordre, les testings ont été recommencés. On a observé que l'effet du rappel à l'ordre se dilue avec le temps. Ceci dit, il y a une utilité à faire ces rappels à l'ordre. Dans cet exemple, ce n'était pas assorti de sanctions. Dans tous les cas, cela participe d'une prise de conscience dans un contexte, comme tout à l'heure à propos de l'orientation : on intériorise des biais qui font que nous pouvons avoir des pratiques racistes sans en avoir l'intention. En tout cas, je suis sûr que c'est ce qui se passe à l'école. Je ne crois pas du tout que les enseignants soient racistes et, pourtant, nous voyons bien que l'orientation n'est pas neutre.

Il me semble donc que les statistiques peuvent être utilisées comme instrument de pilotage, comme instrument de dévoilement de stéréotypes, de biais dont nous avons plus ou moins conscience et in fine, peut-être, de sanction.

Ma question est donc : les statistiques servent-elles uniquement pour du diagnostic ? Ensuite, veut-on aller au-delà, vers des dispositifs de pilotage ? C'est peut-être un peu naïf et c'est en quelque sorte mon fonds de commerce mais je crois à l'utilité de telles statistiques.

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