Intervention de Ya-Han Chuang

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Ya-Han Chuang, sociologue, post-doctorante à l'Institut national d'études démographiques (INED) :

Le racisme anti-Asiatiques est arrivé sur la scène médiatique en 2016, après le meurtre d'un couturier chinois à Aubervilliers, dont le caractère raciste a été reconnu par la justice en 2018. Cet événement a montré à quel point les stéréotypes concernant les personnes asiatiques et chinoises étaient répandus. L'agression était en partie liée à un préjugé économique, mais aussi à l'idée qu'il est moins risqué d'agresser une personne asiatique. Il faut également souligner la vulnérabilité de ces populations, en particulier les primo-arrivants, qui ont une faible maîtrise de la langue et se trouvent parfois dans une situation administrative compliquée, ce qui peut les empêcher de porter plainte et de se défendre.

Cela pousse les jeunes Asiatiques à exprimer des revendications ; ils essaient d'une part de rassembler des statistiques auprès d'associations ou de commissariats pour évaluer l'ampleur de la question ; ils cherchent d'autre part à aider ces populations primo-arrivantes qui sont également victimes d'un racisme que l'on peut qualifier d'institutionnel, afin qu'elles trouvent le courage de porter plainte quand il le faut.

Le racisme institutionnel concerne surtout les immigrés primo-arrivants ; il n'est pas spécifique aux personnes asiatiques et ne touche pas nécessairement des gens qui ont un statut social défavorisé. J'ai moi-même vécu certaines expériences compliquées, violentes et humiliantes, par exemple au guichet de la préfecture, en raison d'un manque d'effectifs, de fortes contraintes professionnelles, de consignes très aléatoires et de certains préjugés ; j'avais été agressée par la personne au guichet. Lorsque je m'y suis rendu à nouveau, j'étais accompagnée par un collègue français, et l'attitude de cette personne a totalement changé. Si quelqu'un comme moi, qui a un travail et un diplôme de doctorat, se sent vulnérable dans ce genre de situation vécue comme menaçante, j'ai du mal à imaginer comment d'autres personnes chinoises, qui ont une faible maîtrise de la langue, parviennent à s'en sortir. C'est une source de honte, de trauma et de souffrance pour de nombreux étrangers primo-arrivants, à la fois salariés et jeunes étudiants qui viennent d'arriver en France, qu'il faudrait s'efforcer de mieux accueillir.

La nouvelle génération de Français d'origine asiatique s'efforce de faire changer ces représentations. Un travail important est réalisé dans la sphère des médias sociaux, par exemple à travers la production de vidéos montrant que les Chinois ne sont pas tous des commerçants mais qu'ils occupent des positions variées – comme tous les Français, quelles que soient leur origine sociale et leur couleur de peau. Cela rejoint la question de Mme la rapporteure : les stéréotypes « positifs » impliquent qu'il n'y aurait qu'une seule façon d'être asiatique.

Aux États-Unis, de nombreuses études sociologiques ont montré que cette étiquette de bon élève et de minorité « modèle » était en soi une source de souffrance, à la fois parce qu'elle crée de l'exclusion à l'école ou au travail en motivant certaines formes de brimades ou de harcèlement, et parce que les professeurs ont tendance à être plus exigeants avec les élèves d'origine asiatique et à les orienter vers certains types de métiers.

Dans ma propre enquête menée en France, je n'ai pas encore réuni beaucoup de témoignages de ce type mais j'entends régulièrement des jeunes Français d'origine asiatique qui s'émeuvent des remarques de leur professeur, car ils aspirent à être considérés comme des Français à part entière et non en fonction de leur origine et de leur couleur de peau.

La covid-19 a révélé tout un ensemble de préjugés implicites déjà inscrits dans la conscience collective. Le sentiment de menace et le relais médiatique ont permis que ces propos s'expriment de manière beaucoup plus décomplexée. Une enquête qualitative en cours sur la réaction des personnes chinoises et asiatiques face à la discrimination montre un décalage entre la capacité à nommer et identifier les discriminations, et la possibilité d'y résister – que l'on soit d'ailleurs primo-arrivant ou citoyen français. Ils expriment tous un réel besoin de reconnaissance et une forte volonté d'intégration dans la société française mais les réactions sont inégales : au lieu de dénoncer les discriminations, certains peuvent avoir envie de se démarquer d'autres Chinois qu'ils considèrent comme moins intégrés.

Quoi qu'il en soit, la covid-19 peut constituer le point de départ d'une forme de prise de conscience quant à l'existence du racisme anti-Asiatiques : ce n'est pas parce que les populations d'origine asiatique ont plus de chances de réussir que d'autres minorités qu'elles subissent moins la discrimination. Il est toutefois encore trop tôt pour déterminer quelles actions pourraient naître de cette prise de conscience.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.