Intervention de Tommaso Vitale

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Tommaso Vitale, sociologue, professeur associé à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la DILCRAH :

Premièrement, je souhaitais vous présenter une carte d'Europe sur laquelle on voit comment se situent les pays européens par rapport au racisme contre les Roms. La France se pose un petit peu au milieu. Ce n'est pas le pays le plus hostile aux Roms, mais il fait partie de la catégorie intermédiaire. Dans la mentalité des personnes, lorsqu'on demande des choses très ordinaires comme : « Aimeriez-vous que vos enfants à l'école puissent avoir des amis d'origine rom ou manouche ? », plus ou moins 50 % des adultes disent non. Le problème est donc très sérieux en France.

Sur la deuxième image, dans les analyses que j'ai faites avec mes collègues, Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj, on voit les évolutions de la tolérance envers les minorités en France. La tolérance envers les Roms, les gens du voyage et les Manouches est deux fois plus réduite qu'envers les autres minorités.

Les stéréotypes les plus répandus envers les Roms sont, comme disait le professeur Courthiade, l'idée que les Roms sont des nomades, mais aussi qu'ils exploitent souvent les enfants, qu'ils vivent principalement de vols et de trafic, qu'ils ne veulent pas s'intégrer dans la société, qu'ils sont pauvres, misérables et vulnérables, que ce sont des opportunistes paresseux parasites, des migrants étrangers, et qu'ils sont déformés et mal formés. C'est le type de stéréotypes que l'on retrouve en France. Cette attitude existe aussi envers les juifs : 20 % de la population pensent que les juifs veulent vivre comme un groupe en marge de la société. Mais pour ce qui est des Roms, ce chiffre s'élève à 70 %.

Lorsqu'on la mesure, on voit que l'hostilité envers les Roms reste très forte, mais que les stéréotypes baissent un peu. L'effectif des niveaux hauts et moyens d'hostilité envers les Roms baisse à partir de 2014, et celui du niveau d'hostilité basse augmente. Aujourd'hui, au vu des échantillons représentatifs dont nous disposons pour l'enquête CNCDH à laquelle j'ai l'honneur de participer, la moitié de la population française a un niveau très haut d'hostilité envers les Roms.

L'anti-tsiganisme monte quand le niveau d'éducation baisse et quand le sentiment de déclassement est plus aigu. Les niveaux d'hostilités envers les Roms sont plus bas chez les cadres supérieurs et les professions intermédiaires et sont plus hauts chez les agriculteurs, les artisans ou les ouvriers.

Ces dernières années, on constate une très forte croissance du pourcentage de personnes qui pense qu'on ne parle pas assez de l'extermination des Tsiganes et des Roms pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce phénomène est lié au fait qu'il y a eu entre 2016 et 2017 une vraie mobilisation de la société civile pour bâtir une mémoire des enfermements, des persécutions et des expropriations qui ont été commis en Europe à cette époque.

Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté récemment une recommandation historique qui appelle tous 47 États membres du Conseil de l'Europe à intégrer l'histoire des Roms dans les programmes scolaires, de la rendre « mainstream ». Il s'agit de faire état dans les manuels scolaires de l'importance des Roms dans l'histoire européenne.

Comment lutter contre cette forme violente de racisme ? Une première piste serait de faire la mémoire de la persécution, mais il ne faut pas regarder les Roms uniquement comme des victimes de persécutions. Il faut aussi rappeler cette belle histoire de complémentarité, d'échanges et d'intégration partout en Europe. Il faut pouvoir combattre l'anti-tsiganisme en mobilisant des informations sur la contribution des Roms et des gens du voyage aux économies nationales, à la culture, à l'histoire des sociétés locales.

Une deuxième piste serait de favoriser les rencontres. On voit à gauche du graphique présenté, sur l'axe vertical, le niveau d'hostilité envers les Roms. On a deux courbes pour chaque pays ; une courbe des personnes qui n'ont pas d'affinités, de relations avec les Roms et la courbe, plus basse dans presque tous les pays européens, des personnes qui ont des contacts avec eux. Sur l'axe horizontal, on a le niveau d'ethnocentrisme. Évidemment, les personnes plus ethnocentrées sont plus hostiles envers les Roms que les personnes cosmopolites et plus ouvertes. Dans tous les pays – et en France, c'est spectaculaire – le fait d'avoir des contacts, des rapports et des connaissances personnelles abaisse le niveau de racisme contre les Roms, même pour les personnes qui sont plus à droite dans une échelle d'ethnocentrisme. Il faut favoriser les rencontres, quelles qu'elles soient, sous forme culturelle, à l'école, par le biais des enfants, pour permettre à ceux qui se sentent stigmatisés et mis à l'écart, de dire qu'ils ont une origine rom, qu'ils parlent romani, que leurs rapports d'amitié et de famille passent par les réseaux et les communautés romanis.

Une troisième piste consisterait à faire confiance aux Roms, aux Manouches et aux voyageurs. On peut faire confiance aux associations représentant ces groupes qui peuvent accompagner l'État français dans un nouvel élan contre la haine et le racisme.

Enfin, il y a aussi la possibilité d'une politique négative, c'est-à-dire d'une politique de sanction et de protection, par exemple contre la haine en ligne. Nous devons protéger cette minorité, ne pas la laisser se faire agresser. Il ne faut pas associer l'image des Roms seulement à la misère. En Seine-Saint-Denis, dans le 93, l'année dernière, sur deux ou trois jours, on a assisté à quarante agressions et formes de lynchage. L'État a su être présent à travers les directeurs d'établissements scolaires, les maires, la police et la préfecture.

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