Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • racisme
  • rom
  • voyage

La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant : M. Tommaso Vitale, sociologue, professeur associé à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) ; M. Marcel Courthiade, linguiste, professeur de langue et civilisation rromani à l'institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), commissaire pour la langue et la justice linguistique de l'Union rromani internationale, membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

La séance est ouverte à 12 heures 10.

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Cette dernière audition de la matinée avec M. Tommaso Vitale et M. Marcel Courthiade a pour objectif, dans le cadre de notre mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme, de nous préoccuper d'une forme de racisme relative à la question des Roms.

Cette mission d'information, qui a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2019, étudie la question du racisme sans se limiter aux sujets d'actualité, notamment celui du racisme anti-Noirs. Elle cherche donc à explorer toutes les dimensions du racisme, en parlant de ses manifestations parfois négligées. Le racisme anti-Roms nous paraît faire partie de cette catégorie.

Le racisme anti-Roms, nous l'avons vu dans le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), est en effet l'une des formes de racisme la plus banalisée et qui suscite le moins de réprobation alors même qu'elle touche la plus grande minorité d'Europe.

Le sujet est délicat. On sait que les Roms ne représentent pas une communauté ethnique tout à fait homogène, qu'il est difficile de parler de la situation des Roms en général parce que les situations sont très diverses.

Vous êtes spécialistes de ces questions puisque vous êtes, Monsieur Vitale, professeur associé à Sciences Po, membre du Conseil scientifique de la DILCRAH ; Monsieur Courthiade, vous êtes professeur de langues et civilisations romani à l'INALCO, commissaire pour la langue et la justice linguistique de l'Union romani internationale, membre du Conseil scientifique de la DILCRAH.

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Nous avons débuté ces travaux avec des auditions d'universitaires pour essayer de cadrer un peu le sujet qui est assez vaste, à vrai dire. Mardi, deux personnes nous parlaient du racisme anti-Asiatiques. Aujourd'hui, nous allons parler du racisme orienté contre les Roms. Cela ne veut pas dire que nous ne croyons pas au caractère universaliste de la lutte antiraciste, qui est pour nous primordial, mais on s'en rend compte en lisant le rapport de la CNCDH et au fil de nos auditions, que le racisme prend parfois des formes spécifiques sur lesquelles il ne s'agit pas de faire l'impasse.

La lutte contre le racisme anti-Roms est assez silencieuse et on ne connaît pas vraiment les revendications ni les souffrances subies par ces populations. Pourriez-vous nous en parler ? La scolarité apparaît comme un point clé mais il y en a d'autres. Pourriez-vous, en préambule, présenter la typographie des différentes communautés, très variées, que l'on classe sous la dénomination « Roms » ? Enfin, un préjugé dans la population consiste à penser les Roms vivraient selon un système juridique parallèle. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point-là ?

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Marcel Courthiade, linguiste, professeur HDR de langue et civilisation rromani à l'institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), commissaire pour la langue et la justice linguistique de l'Union rromani internationale, membre du conseil scientifique de la DILCRAH

Nous souhaitons tous dépasser le stade de l'indignation et des incantations antiracistes pour passer à des analyses des mécanismes sociaux et des propositions de stratégies effectives. Les nouvelles formes de racisme qui sont abordées aujourd'hui n'ont pas éliminé les anciennes. Elles s'y superposent, les prolongent, elles s'en nourrissent et elles prennent des formes soi-disant plus acceptables, notamment la pseudo-motivation par la peur. Comme le dit le proverbe : « Le serpent peut changer sa peau. Il ne peut pas changer son venin. »

Vous disiez, madame, que le diminutif de « Roms » ne permet pas d'appréhender la question dans sa complexité. Lorsqu'on parle des Roms, on parle d'une population concrète qui a quitté l'Inde du Nord il y a tout juste mille ans, est arrivée en Asie Mineure environ cinquante ans plus tard et qui porte une langue, un héritage, une culture, une identité, spécifiques, quoique celle-ci soit susceptible d'évoluer. Lorsque j'emploie le terme « Tsiganes », je parle plutôt du cliché qui a été élaboré au cours des siècles à propos des Roms. Enfin, lorsqu'on parle des « gens du voyage », mots apparus il y a cinquante ans en France, on se réfère à une catégorie administrative française des gens qui vivent et se déplacent en habitat mobile ou susceptible de l'être, pendant tout ou partie de l'année, c'est-à-dire les nomades et sédentaires qui se réclament du voyage. Je reprends les termes du rapport du préfet Arsène Delamon de 1990 sur la situation des gens du voyage et les mesures proposées pour l'améliorer.

Les notions ne sont donc pas interchangeables : c'est pour cela qu'il faut être très précis. Il n'y a qu'un recoupement partiel entre ces trois concepts, l'immense majorité des Roms de France et surtout d'Europe n'ayant jamais été mobiles, sauf pendant qu'ils arrivaient là où ils sont fixés aujourd'hui.

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Tommaso Vitale, sociologue, professeur associé à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la DILCRAH

Premièrement, je souhaitais vous présenter une carte d'Europe sur laquelle on voit comment se situent les pays européens par rapport au racisme contre les Roms. La France se pose un petit peu au milieu. Ce n'est pas le pays le plus hostile aux Roms, mais il fait partie de la catégorie intermédiaire. Dans la mentalité des personnes, lorsqu'on demande des choses très ordinaires comme : « Aimeriez-vous que vos enfants à l'école puissent avoir des amis d'origine rom ou manouche ? », plus ou moins 50 % des adultes disent non. Le problème est donc très sérieux en France.

Sur la deuxième image, dans les analyses que j'ai faites avec mes collègues, Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj, on voit les évolutions de la tolérance envers les minorités en France. La tolérance envers les Roms, les gens du voyage et les Manouches est deux fois plus réduite qu'envers les autres minorités.

Les stéréotypes les plus répandus envers les Roms sont, comme disait le professeur Courthiade, l'idée que les Roms sont des nomades, mais aussi qu'ils exploitent souvent les enfants, qu'ils vivent principalement de vols et de trafic, qu'ils ne veulent pas s'intégrer dans la société, qu'ils sont pauvres, misérables et vulnérables, que ce sont des opportunistes paresseux parasites, des migrants étrangers, et qu'ils sont déformés et mal formés. C'est le type de stéréotypes que l'on retrouve en France. Cette attitude existe aussi envers les juifs : 20 % de la population pensent que les juifs veulent vivre comme un groupe en marge de la société. Mais pour ce qui est des Roms, ce chiffre s'élève à 70 %.

Lorsqu'on la mesure, on voit que l'hostilité envers les Roms reste très forte, mais que les stéréotypes baissent un peu. L'effectif des niveaux hauts et moyens d'hostilité envers les Roms baisse à partir de 2014, et celui du niveau d'hostilité basse augmente. Aujourd'hui, au vu des échantillons représentatifs dont nous disposons pour l'enquête CNCDH à laquelle j'ai l'honneur de participer, la moitié de la population française a un niveau très haut d'hostilité envers les Roms.

L'anti-tsiganisme monte quand le niveau d'éducation baisse et quand le sentiment de déclassement est plus aigu. Les niveaux d'hostilités envers les Roms sont plus bas chez les cadres supérieurs et les professions intermédiaires et sont plus hauts chez les agriculteurs, les artisans ou les ouvriers.

Ces dernières années, on constate une très forte croissance du pourcentage de personnes qui pense qu'on ne parle pas assez de l'extermination des Tsiganes et des Roms pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce phénomène est lié au fait qu'il y a eu entre 2016 et 2017 une vraie mobilisation de la société civile pour bâtir une mémoire des enfermements, des persécutions et des expropriations qui ont été commis en Europe à cette époque.

Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté récemment une recommandation historique qui appelle tous 47 États membres du Conseil de l'Europe à intégrer l'histoire des Roms dans les programmes scolaires, de la rendre « mainstream ». Il s'agit de faire état dans les manuels scolaires de l'importance des Roms dans l'histoire européenne.

Comment lutter contre cette forme violente de racisme ? Une première piste serait de faire la mémoire de la persécution, mais il ne faut pas regarder les Roms uniquement comme des victimes de persécutions. Il faut aussi rappeler cette belle histoire de complémentarité, d'échanges et d'intégration partout en Europe. Il faut pouvoir combattre l'anti-tsiganisme en mobilisant des informations sur la contribution des Roms et des gens du voyage aux économies nationales, à la culture, à l'histoire des sociétés locales.

Une deuxième piste serait de favoriser les rencontres. On voit à gauche du graphique présenté, sur l'axe vertical, le niveau d'hostilité envers les Roms. On a deux courbes pour chaque pays ; une courbe des personnes qui n'ont pas d'affinités, de relations avec les Roms et la courbe, plus basse dans presque tous les pays européens, des personnes qui ont des contacts avec eux. Sur l'axe horizontal, on a le niveau d'ethnocentrisme. Évidemment, les personnes plus ethnocentrées sont plus hostiles envers les Roms que les personnes cosmopolites et plus ouvertes. Dans tous les pays – et en France, c'est spectaculaire – le fait d'avoir des contacts, des rapports et des connaissances personnelles abaisse le niveau de racisme contre les Roms, même pour les personnes qui sont plus à droite dans une échelle d'ethnocentrisme. Il faut favoriser les rencontres, quelles qu'elles soient, sous forme culturelle, à l'école, par le biais des enfants, pour permettre à ceux qui se sentent stigmatisés et mis à l'écart, de dire qu'ils ont une origine rom, qu'ils parlent romani, que leurs rapports d'amitié et de famille passent par les réseaux et les communautés romanis.

Une troisième piste consisterait à faire confiance aux Roms, aux Manouches et aux voyageurs. On peut faire confiance aux associations représentant ces groupes qui peuvent accompagner l'État français dans un nouvel élan contre la haine et le racisme.

Enfin, il y a aussi la possibilité d'une politique négative, c'est-à-dire d'une politique de sanction et de protection, par exemple contre la haine en ligne. Nous devons protéger cette minorité, ne pas la laisser se faire agresser. Il ne faut pas associer l'image des Roms seulement à la misère. En Seine-Saint-Denis, dans le 93, l'année dernière, sur deux ou trois jours, on a assisté à quarante agressions et formes de lynchage. L'État a su être présent à travers les directeurs d'établissements scolaires, les maires, la police et la préfecture.

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Quelles sont les discriminations du quotidien ? Favoriser les rencontres veut dire scolariser. Il y a des disparités en fonction des communes, des démarches administratives qui peuvent être parfois assez longues et décourager ainsi les gens du voyage d'inscrire leurs enfants ; le rapport de la CNCDH en parlait.

Nous tous, sur nos circonscriptions, avons des élus qui s'inquiètent souvent de voir arriver des caravanes sur des terrains qui ne sont pas forcément faits pour cela, alors que d'autres le sont. Y a-t-il quelque chose à revoir sur notre politique d'aires de grand voyage pour qu'elle convienne mieux à nos modes de vie et aux attentes de ces populations ?

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Tommaso Vitale, sociologue, professeur associé à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la DILCRAH

Combien de personnes parlent-elles la langue romani ou ses dialectes en France ? Il y a des estimations autour de 400 000, d'autres autour de 500 000. Dans cette population très diverse, il y a des statuts juridiques et sociaux très différents. Certains sont diplômés, certains des classes moyennes. Il y a des pauvres et des très pauvres. Le problème de la scolarité se pose surtout par rapport aux nouveaux arrivants, qui sont plutôt des étrangers de l'Europe de l'Est. Ils vivent parfois dans des squats très pauvres, dans des bidonvilles, ou pire. Pour ces personnes, qu'elles soient immigrées de la nouvelle génération ou très pauvres pour d'autres raisons, la scolarité n'est pas sereine.

Grâce à un effort de recherches avec la préfecture de l'Ile-de-France, des données quantitatives, les seules dont nous disposons, viennent d'être publiées dans le Journal of Ethnic and Migration Studies par Federico Bianchi, Grégoire Cousin et moi-même. Celles-ci nous montrent que dans les bidonvilles, au moins entre 2012 et 2016, le pourcentage de personnes qui pouvait envoyer les enfants à l'école était minime : entre 10 et 12 % des enfants.

La situation a progressé un petit peu. Beaucoup de militants roms – et pas seulement –demandent à ce que l'on aide davantage les écoles et les enfants les plus défavorisés à accéder à l'école. Il est très important de réaliser que ce n'est pas le problème des Roms, mais le problème des très pauvres. Il faut jouer sur deux niveaux. D'un côté, il faut forcer un peu plus les écoles à accepter. De l'autre, il faut aider les écoles à bien s'équiper pour accueillir des populations plus fragiles. Il y a une très belle campagne en France : « École pour tous », pleine de propositions concrètes. Je vous invite à parler avec eux.

La question des aires de grand passage, encore une fois, ne concerne pas l'ensemble de la population romani en France. C'est un petit pourcentage qui a tendance à se déplacer à certains moments de l'année, en groupes plutôt nombreux.

La loi française prévoit de reconnaître, d'accompagner, d'accueillir les citoyens concernés dans ces passages, mais la mise en œuvre de cette loi n'est pas parfaite. Selon moi, il faut travailler davantage sur la mise en œuvre et les critères d'accompagnement et de sanction des mairies, mais aussi repenser le cadre de régulation. Il y a un très bon rapport qui a été fait sur les aires de passage en 2010, mais beaucoup de choses se sont passées ces dix dernières années et ce rapport est peut-être déjà daté.

Il faut rouvrir l'écoute, car toutes les associations de voyageurs nous disent que dans toutes les régions françaises, l'offre de places est trop faible. Beaucoup d'aires d'accueil ne sont plus des aires pour des personnes qui se déplacent, mais des endroits où les gens vivent de façon stable. Il faut donc étudier les situations en détail.

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Marcel Courthiade, linguiste, professeur HDR de langue et civilisation rromani à l'institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), commissaire pour la langue et la justice linguistique de l'Union rromani internationale, membre du conseil scientifique de la DILCRAH

Cette décision du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe sur l'introduction de l'histoire des Roms dans l'ensemble des cursus éducatifs est une bonne nouvelle, mais le revers de la médaille, c'est qu'ils recommencent de façon cryptoraciste, à mélanger Roms et gens du voyage. Un tel niveau d'amalgame revient à confondre Arabes et musulmans, juifs et riches, ou mélanger Noirs et Africains. Nous ne pourrons pas avancer tant que nous resterons dans cet amalgame.

La notion de Roms est taboue. À l'heure actuelle, on ne parle pas assez en France des Roms en tant que tels. Il est difficile en France de parler de ce peuple qui a quitté l'Inde il y a 1 000 ans, qui a son histoire, sa langue, qui a toute sa richesse culturelle, sans y accoler les gens du voyage. Lorsqu'il s'agit de calomnier les Roms dans leur ensemble, on y associe les personnes issues de la communauté des gens du voyage. Légalement, les gens du voyage ne peuvent être rangés dans aucune catégorie protégée par la loi, ni race, ni nation, ni origine, ni orientations sexuelles, ni religion : on utilise donc le subterfuge de critiquer les « gens du voyage » pour critiquer les Roms. C'est ce que se permettent de faire de nombreux médias, souvent sous couvert d'un discours en apparence bienveillant.

Le fait de généraliser les quelques aspérités constatées ici ou là crée un contexte social favorable à la discrimination, au rejet, aux accusations calomnieuses voire aux violences physiques ou verbales à l'encontre de l'ensemble des communautés. Il existe de fausses évidences. Ainsi, nous l'avons vu, la mention des Roms fait basculer le citoyen mal informé vers la catégorie des gens du voyage. Parler de Roms permet de faire référence à des « Tsiganes » considérés dans l'imaginaire comme inquiétants, répugnants ou pitoyables, même s'ils sont rebaptisés « gens du voyage » et en même temps à une forme de diversité culturelle non souhaitable du point de vue des chauvins.

Derrière cela se cache une suspicion de dérive vers un nationalisme, un « séparatisme », un indigénisme que l'on attribue volontiers aux Roms. Or c'est méconnaître les Roms et leur faire un procès d'intention, car les Roms ont toujours été un modèle d'intégration, sauf bien sûr lorsqu'ils étaient rejetés, exclus, poursuivis, pendus, brûlés, déportés, gazés ou réduits en esclavage. Mais aussi longtemps que la réalité restera cachée par des discours fallacieux, on ne pourra sortir de ces fameux stéréotypes relatifs à leur supposée délinquance, à leurs sources de revenus, à leurs origines, à leur défaut d'hygiène et à leur manque d'intégration.

Contrairement à ce que prétendent clichés, le Rom n'est pas un ennemi de la société. Il n'est pas un rebelle antisystème. Simplement, il trouve tout particulièrement inique d'être traité a priori comme un criminel.

Au-delà de cela, les observateurs experts ne mentionnent pas que les autres Roms de France, cette immense majorité vivant de manière stable et invisible, sont en permanence dans la hantise d'être identifiés comme tels à l'hôpital, dans les services administratifs, les bureaux, les banques ou pour trouver ou conserver un emploi

Le déni de l'histoire des Roms est comparable au déni, jusqu'à récemment, de l'histoire des femmes. Bourdieu parlait d'un processus de déshistoricisation, d'un phénomène qui tente de nier tout processus historique dans la condition des femmes : c'est encore la même chose pour les Roms. S'agissant des femmes, un jour a émergé la volonté d'historiens d'étudier les minorités absentes de l'histoire, mais cela est encore empêché s'agissant des Roms.

La peur d'être identifié entraîne un « stress » immérité chez le demi-million de Roms de France, une frustration qui d'une part les démotive sur le plan intellectuel, d'autre part les pousse vers des identités de substitution souvent discutables, comme l'islamisme. Il faut rappeler que les problèmes de communautarisme n'ont aucun rapport avec les langues parlées, car les langues sont toutes cumulables. Or le plurilinguisme est un lien social, une richesse pour toute la nation, alors que le communautarisme est bien davantage le fait des religions, par définition non cumulables, et des communautés idéologiques sur les réseaux sociaux.

J'en reviens à cette décision du Conseil des ministres sur une recommandation que M. Vitale avait saluée sur son compte Twitter, et j'en suis content. Je partage avec lui cette position, bien entendu, mais à condition de parler des Roms spécifiquement, des gens du voyage spécifiquement sans mélanger toutes ces notions.

Nous disposons d'un livre d'histoire du peuple rom publié en français en marge d'un projet européen audiovisuel. À la suite d'un entretien avec M. Jean-Michel Blanquer il y a un an ou deux, le dialogue s'est poursuivi avec l'Éducation nationale sur ce sujet. Sortir de l'amalgame entre Roms et gens du voyage n'est pas facile. Le projet d'exposition sur la langue et la culture des Roms, qui avait été commandé par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), soutenu par le ministère français de la culture, présenté au Conseil de l'Europe et deux fois en Inde avait été programmé par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), mais ensuite rejeté avec l'explication : « Nous avons déjà trois expositions prévues, dont une sur les Tsiganes et les gens du voyage. »

Je vous ai envoyé en amont un article de Le droit de vivre publié par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA). À l'origine, il s'agissait d'un texte de 4 000 signes que j'avais rédigé à la demande du Conseil scientifique de la DILCRAH, or il a été retoqué parce que j'avais refusé de supprimer la phrase appelant à distinguer « Roms » et « gens du voyage ».

Autre exemple concernant « l'Europe et les génocides ». Le cas français » est une enquête qui a été réalisée par l'Institut français d'opinion publique (IFOP) pour la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec la DILCRAH. Il n'y a pas une seule mention du Samudaripen, le génocide nazi à l'encontre des Tsiganes, avec ses 500 000 victimes directes, sans mentionner les victimes indirectes.

En conclusion, dissocier les concepts de « Roms » et de « gens du voyage » est une condition nécessaire pour lutter contre le racisme dont souffrent ces populations. En face du déni généralisé dont nous venons de parler, il existe en France une volonté politique de reconnaissance de l'apport rom au génie français. Ce qui manque, c'est la volonté médiatico-universitaire. La clé est là, mais c'est aussi le verrou, ce blocage étant une forme émergée du racisme. Si nous ne le dépassons pas, nous versons seulement de l'eau dans un tonneau percé. Au contraire, corriger l'erreur conceptuelle, c'est colmater la brèche.

Il est également indispensable, parallèlement mais séparément, de travailler à la réhabilitation de la vie mobile des gens du voyage, que l'on aura donc bien distingué des Roms. Ceux qui se reconnaissent dans l'une ou l'autre de ces deux catégories distinctes verraient leur dignité restaurée ainsi que le respect des autres vis-à-vis d'eux.

Cela va prendre du temps, mais réfléchissez à l'évolution de la société au sujet de la nicotine depuis vingt ans grâce à une volonté politique forte. Il est certain que nous aurons beaucoup fait reculer la tsiganophobie si nous avions commencé à travailler il y a trente ans, lorsque des propositions ont été élaborées. Je ne crois pas que la tsiganophobie crée plus de dépendance que la nicotine !

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Si on élargit cette problématique à l'Europe, comment s'en sort-on ? Je suis allée de très nombreuses fois en Roumanie. J'y ai été sidérée du racisme anti-Roms, persuadée, très naïvement comme je l'étais, qu'il y avait une convergence culturelle plus grande entre ces deux populations. Je me suis aperçue que ces personnes étaient dans une misère absolument incroyable et rejetées de façon massive par la population, y compris par des gens tout à fait éduqués. Sur ces questions, une clé de lecture et de compréhension européenne ne serait-elle pas très importante ?

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Marcel Courthiade, linguiste, professeur HDR de langue et civilisation rromani à l'institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), commissaire pour la langue et la justice linguistique de l'Union rromani internationale, membre du conseil scientifique de la DILCRAH

Cela fait trente ans que je travaille avec la Roumanie. Il existe un discours sur le racisme en Roumanie, mais celui-ci fait aussi partie des stéréotypes. Il y a une méconnaissance de la question rom, alors même que le gouvernement soutient la culture rom. En revanche, la question des gens du voyage et l'amalgame associé ne se pose pas, car la communauté des gens du voyage est surtout présente dans l'ouest de l'Europe.

Dans les deux principautés de Roumanie, qui sont le sud et l'est du pays aujourd'hui, les Roms ont été esclaves, considérés comme non humains, pendant cinq cents ans. Les descendants d'esclaves sont aujourd'hui toujours rejetés. C'est quelque chose qui est profondément intégré dans la mentalité collective. Beaucoup de progrès ont été faits depuis vingt-cinq ans en Roumanie par rapport à la compréhension des Roms.

L'histoire des Roms n'est pas enseignée à l'ensemble des élèves. Il est enseigné essentiellement aux enfants roms, et c'est là une erreur fondamentale parce qu'il faudrait appliquer justement cette décision du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe et la généraliser, comme ce que nous voulons faire en France. Des livres existent sur le sujet, mais les livres ne suffisent pas. Il faudrait avoir un système sur internet pour aller au-devant et faire passer éventuellement de façon ludique ou humoristique des façons de vilipender le racisme anti-Roms.

Il y a une seconde difficulté : la Roumanie refuse de reconnaître l'esclavage qui a eu lieu pendant cinq cents ans à l'égard des Roms. Évidemment, il ne s'agit pas de commettre des anachronismes et il faut remettre le passé dans son contexte, l'accepter et en tirer des leçons pour le présent et pour l'avenir.

J'ajouterais également que chaque pays a une position spécifique, qu'il s'agisse de la Roumanie, de la Hongrie, de la Bulgarie, etc. Beaucoup de progrès ont été faits en Roumanie. Mais il conviendrait d'étudier ces questions de façon circonstanciée et je peux vous adresser un texte sur les comparaisons internationales.

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Je vous propose de conclure cette matinée d'auditions. Merci à MM. Vitale et Courthiade pour leurs interventions. Merci à vous pour les documents dont vous nous avez fait part.

La séance est levée à 13 heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 12 heures

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Stéphanie Atger, Mme Fiona Lazaar, M. Robin Reda, Mme Nathalie Sarles, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Michèle Victory