L'universalisme républicain n'est pas contradictoire avec la reconnaissance de la dimension multiculturelle de la société mais, tel qu'il a été pensé, il s'est heurté à des contradictions internes, comme l'illustrent les inégalités ethno-raciales. La reconnaissance de la diversité des groupes composant la société française ne contredit pas non plus la cohésion collective. La plupart des sociétés multiculturelles dans le monde essaient d'aller en ce sens à partir de paramètres de diversité interne très forts, parfois même de contentieux ou de traumatismes collectifs. La France doit s'acheminer vers la société post-raciale après des centaines d'années de catégorisations raciales à des fins d'exploitation et d'oppression et doit achever vraiment la décolonisation, qui reste en cours dans les legs historiques de l'expansion européenne et française en particulier. Les descendants des personnes qui ont vécu cette période portent toujours cette histoire en eux.
Les pouvoirs publics doivent réfléchir très sérieusement à des solutions visant à réconcilier la société française d'aujourd'hui. Il ne s'agit ni de revenir à la période précédant les migrations depuis les anciennes colonies, ni de nier la diversité. On ne va pas rejouer ce qui s'est passé avec les Belges, les Allemands et les Italiens ; l'histoire n'est pas la même, non plus que les représentations. Les recettes du passé sont intéressantes mais elles ne peuvent répondre à la situation présente.
Plus encore : il me semble que le modèle républicain d'assimilation n'a jamais fonctionné. Si tel avait été le cas, nous n'aurions pas connu la xénophobie des années 1930, qui s'est achevée en cataclysme, il est vrai dans le contexte particulier de l'Occupation et du régime de Vichy. Les tensions auraient été résolues avec les populations immigrées vivant sur le territoire français depuis des décennies sans qu'elles aient été ni stigmatisées ni accusées d'être responsables des problèmes sociaux.
En temps de paix, nous n'avons pas d'exemple historique d'un fonctionnement effectif du modèle d'assimilation à la française, hors la refondation républicaine, spectaculaire, de 1944. Ce modèle devrait fonctionner mais il subit des crises répétées. La « table rase » qui a été possible en 1944 n'est évidemment pas reproductible et nous devons trouver des solutions un peu plus pacifiques. Nous devons nous interroger sur notre capacité à créer de la cohésion dans la diversité de la société française d'aujourd'hui. L'universalisme doit devenir concret, vivant, avec les données actuelles.
Les différences sont importantes entre les politiques « race conscious » et « color blind ». Notre situation est largement comparable à celle de la Suède, qui a refusé de reprendre le mot « race » contenu dans les directives européennes de 2000 à propos des discriminations, lui préférant celui d' « ethnique ». De la même manière, le modèle social suédois est censé respecter les droits humains et ne pas générer de racisme – nous considérons aussi en France que des dérives individuelles existent, certes, mais que les institutions et le principe même de la République s'opposent à toute forme de racisme.
Le problème, dès lors, c'est que nous avons beaucoup de mal à comprendre que les institutions peuvent elles-mêmes engendrer des discriminations. Des associations d'Afro-Suédois considèrent que le modèle ne fonctionne plus depuis que l'immigration n'est plus constituée par les seuls Finlandais et Norvégiens. Les minorités constatent de nombreux comportements racistes, un racisme diffus au sein de la société suédoise, qui n'est pas traité en tant que tel car considéré comme relevant de dérives individuelles. Ce débat existe aussi en Allemagne et en France.
Des questions se posent donc en Europe quant aux stratégies d'action mais, surtout, aux conceptions du racisme, qui n'est pas seulement issu « du bas » mais aussi « du haut », ce qui requiert des interventions un peu plus larges pour changer la donne.