Intervention de Sébastien Gokalp

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Sébastien Gokalp, directeur du Musée national de l'histoire de l'immigration :

Le musée national de l'histoire de l'immigration est installé dans un lieu de mémoire : le palais des colonies de la Porte Dorée, inauguré en 1931, lors de l'Exposition coloniale, qui porte sur ses murs la gloire de l'empire colonial français. Ce musée a plusieurs raisons d'être, la première étant d'ordre patrimonial. On appelle souvent les immigrés des « invisibles » parce qu'ils laissent peu de traces. Il s'agissait donc de créer un lieu de la mémoire et de l'histoire de l'immigration, car celle-ci était absente des musées français.

La deuxième raison de l'existence de ce musée tient à une demande de la société civile, en particulier des associations et des acteurs de l'immigration. Ceux-ci souhaitaient un lieu incarné, emblématique pour faire reconnaître leur histoire, pour traiter du racisme et de la discrimination. Le musée est un lieu symbolique et culturel qui, dans l'esprit de tous, est connoté positivement : consacrer un musée à l'immigration était donc un geste fort.

Ouvert en 2007 et inauguré en 2014 par François Hollande, ce musée est un lieu de reconnaissance de l'apport de l'immigration à la France, l'un des plus importants pays d'immigration avec les États-Unis, et à l'histoire de la République. De plus, chaque immigré peut déposer des traces de son périple dans la galerie des dons, afin de témoigner sa gratitude à la France qui l'a accueilli.

Le musée remplit plusieurs fonctions. Tout d'abord, c'est un lieu où l'on a une expérience sensorielle. Si l'on peut traiter du racisme et de la discrimination au travers d'un livre, l'objectif poursuivi par un musée est différent : non seulement il transmet des savoirs, mais il encourage la réflexion personnelle en présentant des éléments matériels, accompagnés de cartes, qui permettent de construire sa propre opinion.

De plus, la fonction du musée est de lutter contre le racisme, aux côtés des moyens de transmission de la vie courante comme internet, la télévision et les livres, ou encore de l'école, qui est l'acteur le plus important dans la lutte contre les préjugés car ceux-ci se forment dès l'enfance. Les musées et les lieux de mémoire sont des espaces où la dimension expérimentale est plus importante.

Selon la définition du conseil international des musées, ceux-ci « travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l'égalité mondiale et au bien-être planétaire. » Dans ce programme ambitieux, la dimension sociale, notamment la reconnaissance de l'égalité, est désormais beaucoup plus mise en avant.

Notre musée traite du racisme, mais ce n'est pas le seul sujet. Nous avons abordé d'autres thèmes comme la mode, avec l'exposition « Fashion mix », ou l'immigration italienne avec « Ciao Italia ! » Si le terme de racisme n'apparaissait pas dans le projet fondateur, ce qui est assez surprenant, il figure en revanche dans le nouveau projet scientifique et culturel que nous venons de déposer.

Lorsque je suis arrivé, il y a un an et demi, je souhaitais faire évoluer les regards des gens qui considèrent que l'immigration n'est pas une bonne chose pour la France. L'intérêt de proposer un lieu de référence pour les luttes de reconnaissance de l'immigration, c'est de montrer aux personnes qui n'en sont pas convaincues en quoi, par bien des éléments, l'immigration a été un apport pour la France, sans cacher les problèmes que cela peut poser ni les conflits que cela a pu déclencher. Il s'agit non pas de leur imposer une vérité mais de faire comprendre les mécanismes, les raisons d'être et les changements que cela comporte pour la France.

Nous sommes en train de refaire le parcours permanent. Jusqu'à présent, celui-ci suivait l'immigré depuis son départ de chez lui jusqu'à son intégration dans la société française, dans une vision un peu orientée. Un nouveau parcours permanent a été proposé par un comité d'historiens dirigé par Patrick Boucheron. Il retrace l'histoire de l'immigration depuis 1789 – Patrick Boucheron voulait commencer avec le code noir mais nous n'avons que très peu de documents sur cette période – pour en révéler les mécanismes et les apports, au-delà du sensationnalisme contemporain.

Nous présentons trois collections. La première, dite « collection historique », porte sur des documents – principalement des photos et des articles de presse mais aussi quelques objets –, comme n'importe quel musée d'histoire. La deuxième est une collection d'art contemporain. Elle est assez importante car les artistes contemporains, surtout dans les années deux mille, se sont beaucoup emparés des questions d'identité, de racisme, de changement de territoire, de migration. Ces œuvres proposent une approche différente : sans rien expliquer, en vous touchant au plus profond de vous-même, elles vous placent dans un autre rapport à l'immigration. Enfin, la troisième collection retrace le parcours de vie des immigrés, qui racontent leur histoire en déposant des objets – le téléphone portable avec lequel ils sont arrivés, le sac de couchage, des photos de famille ou de leur arrivée en France.

Tous les musées s'interrogent sur l'impact qu'ils peuvent avoir : à quel point peuvent-ils changer les regards, faire évoluer les mentalités ? Le musée doit être un lieu attractif : il faut vous donner envie d'aller au musée d'histoire de l'immigration en proposant des choses dynamiques, positives, riches, nourries ou surprenantes.

Ces questions sont difficilement traitées dans le monde de la culture, ou assez rarement. À Paris, seules deux expositions ont abordé récemment ces thèmes : « Le modèle noir », au musée d'Orsay, et « Nous et les autres : des préjugés au racisme », au musée de l'Homme. Le monde de la culture est à la fois mieux armé, puisque composé de personnes ayant en général un bagage culturel important, et en même temps démuni, comme le montrent les polémiques autour de la représentation des Suppliantes d'Eschyle. Les États-Unis connaissent une vague de remises en cause dans le monde des musées – au Guggenheim, au San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA), au musée national de l'histoire et de la culture afro-américaines –, certains titulaires de hauts postes étant remerciés à la suite de campagnes sur Twitter. Même le déboulonnage des statues ne donne pas lieu à de vrais débats. Finalement, le monde de la culture peine à proposer une réponse qui, pourtant, devrait être évidente.

Nous voulons que ce musée soit en prise avec l'actualité. Comme il est difficile de déplacer des œuvres, nous montons beaucoup de cycles de conférences. Ainsi, nous allons organiser avec la Maison des sciences de l'Homme, en janvier prochain, un cycle intitulé « Exposer le racisme ». Vous pouvez voir sur notre site le débat « Racisme, antiracisme, discrimination : de quoi parle-t-on ? ». Nous organisons des ateliers scolaires et formons plus de 2 000 enseignants par an. Le musée repose sur un réseau territorial, et il est très important pour nous de conserver ce lien, qui permet de recueillir les témoignages des personnes concernées : le musée n'a pas une parole descendante, il se nourrit de la base. Nous organisons une exposition sur les juifs et les musulmans en France de 1830 à nos jours, montrant comment ils interagissent et comment la France est devenue l'un des acteurs de la reconnaissance de ces deux communautés, et une autre sur les migrations asiatiques, qui sont en phase de reconnaissance.

Notre musée est un livre ouvert sur l'histoire de la colonisation. Notre principal objectif est de repenser notre rapport à cette période et la manière dont la colonisation continue d'influencer notre relation à l'immigration et au racisme.

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