Intervention de Krystel Gualdé

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Krystel Gualdé, directrice scientifique du Musée d'histoire de Nantes et du Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes :

. De manière générale, j'estime que nos institutions ont vocation à transmettre des messages clairs et précis. Quand j'ai parlé de concurrence mémorielle, de guerres des mémoires ou d'étages superposés de mémoires, c'était pour mettre en évidence le fait que ne pas s'exprimer sur ces questions, c'est aussi laisser croire que les institutions culturelles sont déconnectées de la réalité. Plusieurs articles de presse leur ont reproché de ne pas entrer dans la contestation ayant suivi le meurtre de George Floyd. Ils me semblent mal documentés. Le musée d'histoire de Nantes, et je pense qu'il n'est pas le seul, a immédiatement annoncé qu'il soutenait les mouvements Black Lives Matter et Museums Are Not Neutral. Cet été, deux visites guidées gratuites de la thématique « La traite des noirs et l'esclavage » seront organisées chaque jour. Voici un engagement, de nature politique, clair, fort et visible. Il ne faut rien lâcher.

La place de l'histoire individuelle dans l'histoire collective est extrêmement importante, et c'est une dimension sur laquelle l'éducation nationale travaille beaucoup. La mission des musées n'est pas de s'adresser à tous mais à chacun. Les études menées sur les publics montrent que chaque visiteur arrive avec son histoire, son vécu.

Pour développer les compétences psychosociales, je reste persuadée qu'il faut prendre en considération ce qui relève du domaine du sensible. Nous le faisons très peu en France, où l'éducation est avant tout centrée sur la raison et l'écrit. Quand donc nous laissons-nous aller à ressentir ? Grâce aux nombreuses évaluations que nous avons réalisées, nous avons constaté que lorsque les visiteurs étaient touchés, troublés jusqu'à avoir envie de vomir à la simple lecture de textes du XVIIIe siècle sur la manière d'étamper un esclave, quelque chose se passait, quelque chose de violent qui faisait écho à l'histoire d'une domination et d'une violence séculaires. Certes, il ne s'agit pas d'une révolution des mentalités, mais nous pouvons nous dire que nous n'avons pas été complètement inutiles si nous avons ébranlé certaines certitudes.

Faire place au sensible, c'est passer par les artistes et par des chemins qui s'éloignent du roman national. Nantes a accepté son passé négrier ; le pas suivant, que nous faisons avec les Nantais, c'est de montrer que Nantes a aussi été une ville esclavagiste : l'esclavage n'existait pas uniquement dans les colonies mais aussi sur le territoire national, ce qui est une découverte pour beaucoup, rendue plus concrète par des histoires individuelles que des travaux universitaires remarquables permettent de retracer.

L'enjeu du territoire est fondamental. Je suis très troublée d'avoir au cours de mes journées de travail davantage d'échanges avec des interlocuteurs américains du musée de Washington ou de grandes universités qu'avec des collègues de France. Cela veut dire que nous ne sommes pas encore assez avancés pour que l'ensemble de notre pays se sente concerné par l'histoire négrière, généralement appelée « histoire atlantique », ce qui ne facilite pas les choses. Nous travaillons beaucoup avec des réseaux européens et de nombreux pays ont fait leur histoire négrière, y compris la Suisse, qui, comme chacun sait, n'a pas de façade atlantique. Il est difficile de changer totalement les mentalités mais je ne crois pas qu'il faille renoncer pour autant à le faire.

Sur le déboulonnage des statues, j'exprimerai une position strictement personnelle. J'ai trouvé extrêmement intéressant que le débat apparaisse dans l'espace public. Cette réaction très forte de colère, nous pouvons l'entendre, quel que soit le jugement qu'on porte sur l'acte lui-même. Du reste, que les statues naissent et meurent n'a rien de nouveau pour qui fait de l'histoire.

Tous les musées mènent des enquêtes sur leur public mais il est très difficile d'évaluer le ressenti. Nous l'avons fait en interrogeant les visiteurs à l'entrée puis à la sortie du musée en leur demandant ce que la visite avait changé pour eux. Notre plus grande surprise a été que nombre de sujets abordés avaient constitué une découverte. Cela veut dire qu'il y a encore beaucoup à faire en matière d'éducation.

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