Intervention de Christel Colin

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 12h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) :

Ma collègue, Sylvie Le Minez et moi-même sommes très honorées d'avoir été conviées à participer aux travaux de votre mission d'information.

Après avoir présenté en quoi la statistique publique peut éclairer les questions d'inégalité, de discrimination et de racisme, nous préciserons quelles données sont collectées en France afin d'élaborer des statistiques ethniques – nous reviendrons sur ce que le terme recouvre – avant d'illustrer par quelques exemples ce qu'elles nous enseignent.

Nous disposons d'ores et déjà de nombreuses études, qui permettent de contribuer à ces débats. Des constats sont posés, même si des approfondissements sont toujours possibles, par exemple sur la troisième génération.

La statistique publique, souvent en lien avec des travaux de chercheurs, peut éclairer la diversité des situations des personnes, ainsi que les inégalités « non expliquées », autrement dit qu'aucune différence objective n'explique, et qui peuvent être une mesure de la discrimination, et enfin les discriminations et les traitements injustes en tant qu'ils sont ressentis.

Depuis la fin du XIXe siècle, le recensement de la population enregistre la nationalité des personnes, en distinguant la nationalité française de naissance de la nationalité française d'acquisition. À partir de 1962, le formulaire de recensement a demandé la nationalité antérieure des Français naturalisés – la question a été depuis transformée en utilisant l'expression de « nationalité à la naissance ». Sont également enregistrés, depuis 1901, le lieu et le pays de naissance.

Ces informations, connues depuis très longtemps, permettent de dénombrer et de caractériser les personnes selon leur origine, et notamment d'étudier les immigrés qui, selon la définition du Haut Conseil à l'intégration, adoptée en 1991, sont des « personnes nées étrangères à l'étranger et résidant en France ». En 1962, a été introduite une question sur le lieu de résidence lors du précédent recensement, qui permet d'étudier les migrations des personnes et les flux d'immigration.

La France compte aujourd'hui un peu moins de 5 millions d'étrangers, soit 7 % de la population ainsi que 6,6 millions d'immigrés, dont la part est passée de 5 % en 1946 à 7,5 % en 1975, pour atteindre à peu près 10 % aujourd'hui. Les origines des immigrés se sont beaucoup diversifiées, notamment avec l'émergence de flux en provenance d'Afrique subsaharienne et d'Asie. Aujourd'hui, parmi la première génération, 46 % des immigrés sont nés dans un pays du continent africain, 34 % sont originaires d'Europe et 15 % d'Asie. Il faut aussi avoir en tête que près de 40 % des immigrés ont la nationalité française.

Au-delà du recensement, de nombreuses enquêtes de la statistique publique comportent des questions sur le pays de naissance et la nationalité, aux moments de la naissance et de l'enquête, non seulement des personnes interrogées, mais aussi de celles qui vivent sous le même toit et des parents des enquêtés.

Les informations sur les parents ont été introduites pour la première fois en 1999 dans l'enquête « famille », adossée au recensement. Depuis quinze ou vingt ans, elles sont présentes dans les grandes enquêtes de l'INSEE, notamment les enquêtes « emploi » et « logement », ou les enquêtes sur les revenus sociaux et fiscaux, ainsi que dans d'autres enquêtes statistiques comme les enquêtes « génération » du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) sur les parcours d'insertion des jeunes.

Avec ces questions, nous pouvons connaître non seulement la première génération, les immigrés, mais aussi les descendants des immigrés, la deuxième génération composée de personnes nées en France ayant au moins un parent immigré, par pays ou par zone d'origine. Cela est très important car les situations varient beaucoup selon les origines.

Les données sur la deuxième génération, qui n'a pas connu la migration mais a été scolarisée et socialisée en France, sont également très intéressantes. Elles permettent notamment de mesurer les évolutions entre première et deuxième générations.

La France compte 7,6 millions de descendants d'immigrés, c'est-à-dire 11,5 % de la population, soit un peu plus que d'immigrés. Leurs origines et leur âge sont très liés à l'ancienneté des différentes vagues de migrations en France. Parmi les descendants d'immigrés, 41 % ont une origine européenne. Ce sont en moyenne les plus âgés : un quart seulement ont moins de trente ans. Un tiers des descendants d'immigrés est originaire du Maghreb ; deux sur trois ont moins de trente ans. Enfin, 21 % des descendants d'immigrés sont originaires d'Afrique subsaharienne ou d'Asie ; 80 % d'entre eux ont moins de trente ans.

La moitié des descendants d'immigrés sont nés en France, de deux parents immigrés, en général du même pays.

Jusqu'à présent, aucune source ne permettait d'identifier les petits-enfants d'immigrés, sinon ceux qui vivaient au domicile de leurs parents. La nouvelle édition de l'enquête « trajectoires et origines » (TEO), en cours de collecte, rendra cela possible puisqu'on y demande aux enquêtés de faire connaître les pays de naissance et les nationalités à la naissance des parents et grands-parents.

La première édition de cette enquête, réalisée par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'INSEE, date d'une dizaine d'années. Outre les questions que j'ai indiquées, la seconde édition 2019-2020, en cours de collecte, comprend également un protocole expérimental spécifique pour interroger directement des petits-enfants d'immigrés d'origine non européenne.

Cette approche objective, par le pays de naissance et la nationalité, peut être utilement complétée par des questions subjectives sur le ressenti, le vécu des enquêtés. L'enquête TEO comprend ainsi des questions précises sur d'éventuels traitements défavorables, dans différents domaines de la vie sociale – accès à l'emploi, au logement, études poursuivies, etc. Parmi les raisons suggérées de ces injustices figurent notamment l'origine et la couleur de peau.

Au-delà de ces questions précises pourtant sur d'éventuels traitements défavorables – à ce stade, on ne parle pas de discrimination –, une question de synthèse est posée, qui porte sur les discriminations ressenties : « Au cours des cinq dernières années, pensez-vous avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations ? ». On retrouve là des motifs issus de la liste des critères de discrimination en droit : les origines, la religion et la nationalité sont notamment identifiées.

D'autres enquêtes, notamment l'enquête « histoire de vie » de 2003, avaient répertorié les expériences de moqueries, les mises à l'écart, les traitements injustes, mais sans parler de discriminations.

L'enquête TEO aborde également la question du racisme, en demandant à toutes les personnes interrogées, quelle que soit leur origine, si elles ont été la cible d'insultes, de propos ou d'attitudes ouvertement racistes, et dans quelles circonstances – à l'école, au travail, dans les lieux publics. Dans le cas contraire, il est demandé aux enquêtés s'ils pensent qu'ils pourraient être victimes de racisme en France.

L'enquête a aussi pour particularité de s'intéresser non seulement aux immigrés et descendants d'immigrés, mais aussi aux personnes issues des DOM, qui vivent en France métropolitaine, et à leurs descendants. Les chercheurs qui ont exploité ces données sur le racisme font état du constat suivant : « Les originaires d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, d'un DOM, et leurs enfants, nés en métropole, qu'ils aient ou non réussi leur parcours professionnel, restent soumis à des comportements explicitement racistes et discriminatoires. Leur nationalité française, acquise parfois depuis plusieurs générations, notamment pour ce qui concerne les natifs des DOM, ne change rien à ce constat. »

Ces collectes d'informations sont très encadrées juridiquement. Le droit commun, tel qu'il découle de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que la collecte et le traitement de données dites sensibles sont interdits en France, notamment « les données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ».

Des dérogations sont cependant prévues afin de permettre à la statistique publique et aux chercheurs de travailler, précisées dans le règlement général sur la protection des données (RGPD). C'est notamment le cas des traitements « à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques. »

Une décision du Conseil constitutionnel de 2007 a précisé quelles informations relatives aux origines pouvaient être recueillies. Elle indiquait en effet que les études sur la mesure de la diversité des origines des personnes « ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ». Le commentaire de la décision précise : « Serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d'un référentiel ethno-racial ». Il est tout à fait possible de mener des études se fondant sur des données objectives comme le nom, l'origine, la nationalité à la naissance, ou sur des données subjectives de ressenti d'appartenance, mais en aucun cas des travaux qui se fonderaient des référentiels ethnoraciaux.

Conformément à ce cadre, le recensement français, à la différence de ses équivalents britannique ou américain, ne comprend pas de question d'auto-déclaration d'appartenance à un groupe ethnoracial, à l'exception du recensement en Nouvelle-Calédonie, qui identifie des communautés d'appartenance au nom de l'intérêt public.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.