Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 12h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • descendants
  • discrimination
  • immigré
  • nationalité
  • racisme
  • statistique

La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant :

Mme Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ;

Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;

– Mme Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales de la direction des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE.

La séance est ouverte à 12 heures 10.

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Mesdames, nous vous souhaitons la bienvenue. Le président Reda étant retenu par une visite ministérielle dans sa circonscription, c'est à moi que revient l'honneur de présider cette table ronde.

La mission d'information, créée le 3 décembre dernier, a d'abord entendu un ensemble d'universitaires de différentes spécialités, afin d'appréhender les nouvelles formes de racisme, d'en établir un état des lieux, puis d'en tirer des propositions, éventuellement législatives, de nature à rendre plus effective la lutte contre le racisme dans toutes ses dimensions.

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Nous nous réjouissions que vous présidiez cette réunion, madame la présidente. Plusieurs de nos collègues sont retenus dans l'hémicycle, mais il leur sera possible de la visionner un peu plus tard.

Mesdames, nous vous poserons naturellement des questions sur les statistiques, sur vos études et sur les outils que vous utilisez, en particulier la statistique ethnique, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler dans d'autres tables rondes, la statistique sur les « trajectoires », ainsi que la statistique raciale et ethnoraciale, comme certains pays tels les États-Unis ou l'Angleterre la conçoivent.

En quoi ces outils peuvent-ils contribuer à l'étude du phénomène du racisme ? Je parle bien du racisme, qui a une dimension volontaire, et non des discriminations, qui sont des inégalités induites que l'on peut constater dans notre société.

Enfin, comment fonctionne « l'indice longitudinal de tolérance », qui a beaucoup évolué ?

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Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

Je vous remercie de m'avoir invitée. Pour répondre à vos questions, je prendrai appui sur le sondage annuel réalisé pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme dans le cadre de son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Je suis associée depuis longtemps à ce travail, avec les chercheurs Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale.

J'aborderai donc le racisme sous l'angle des préjugés racistes, des opinions et des idées reçues concernant l'autre, en fonction de sa couleur de peau, de son origine, de sa religion ou de sa « race » supposée. Au mot racisme, je préférerais d'ailleurs le terme moins connoté et plus large d'ethnocentrisme, au sens où l'entendent les anthropologues comme Claude Lévi-Strauss, pour lequel on trouve partout « ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères ». C'est donc cet « ethnocentrisme », qui n'est pas forcément de la haine, que nous cherchons à mesurer.

Je rappellerai brièvement en quoi consiste ce sondage, avant d'en présenter les résultats et d'analyser les limites de ce type d'instrument ainsi que sa complémentarité avec les études de l'INSEE.

Le sondage est mené tous les ans depuis 1990, en face-à-face, ce qui nous permet de vraiment prendre le temps d'interroger quelqu'un. Il dure une trentaine de minutes, parfois davantage, et comprend une centaine de questions. Il porte sur un échantillon national représentatif de la population adulte résidant en France métropolitaine. Pour des raisons financières, nous n'avons pas pu travailler en Corse ni dans les départements d'outre-mer et territoires d'outre-mer.

L'échantillon constitue un miroir de la diversité de la société française : une personne interrogée sur quatre a au moins un parent étranger et plus d'une sur trois, au moins un parent ou un grand-parent étranger. Six pour cent d'entre elles se déclarent de religion musulmane. C'est donc la France dans sa diversité qui est saisie, pas uniquement les « Franco-français » ou les « Français de souche ». C'est donc une base de données unique en son genre.

Je présenterai d'abord la transformation de l'ethnocentrisme dans le temps, et ses facteurs explicatifs, et notamment la question de l'indice longitudinal de tolérance (ILT), puis la hiérarchie des rejets ; enfin, les transformations des argumentaires du racisme.

L'ILT a été mis au point par Vincent Tibérj pour synthétiser cette masse de données. Il établit la moyenne des réponses à soixante-neuf séries de questions, posées au moins trois fois depuis 1990. Il varie entre 0, lorsque la personne interrogée ne donne jamais la réponse tolérante, et 100, si elle la donne toujours. Paradoxalement, dans un contexte où l'on ne s'est jamais autant mobilisé et l'on a jamais autant dénoncé le racisme, cet indicateur de tolérance est en ascension constante depuis 1990 : 48 dans les années 1990, 67 en 2018 et 66 en 2019 (c'est-à-dire à un niveau quasiment identique compte tenu de la marge d'erreur).

Trois séries de facteurs entrent en compte pour comprendre cette progression. Le premier est l'âge : chaque cohorte est plus tolérante que celle qui l'a précédée, car nous vivons dans des sociétés de plus en plus multiculturelles et diverses, ouvertes sur monde.

Le deuxième facteur clé est le niveau d'études. L'école, qui ouvre sur d'autres pays, d'autres langues, d'autres cultures, apprend, au moins théoriquement, à penser de manière autonome et critique, et à rejeter les idées reçues. En 2019, l'indice s'élève à 72 chez les personnes ayant au moins le bac et à 58 chez celles qui ne l'ont pas. Il y a donc un véritable enjeu en matière d'éducation.

La troisième variable fondamentale est politique. Ces résultats sont marqués par une très forte polarisation : l'indicateur de tolérance est d'autant plus bas que l'on est à droite de l'échiquier politique. Il atteint son minimum chez les proches du Rassemblement national. Si l'on se contente d'une échelle gauche-droite en sept positions, et que l'on oppose les trois colonnes de droite, aux trois de gauche, on trouve un énorme écart, qui croît dans le temps : à gauche, l'indice est de 74, contre 49, à droite, soit moins de 50 % de réponses tolérantes. Même si les notions de gauche et de droite sont modifiées en permanence, une vision de la société résiste, plus autoritaire et hiérarchique à droite, plus égalitaire à gauche. Le clivage gauche-droite, dont on estime parfois qu'il ne veut plus rien dire, garde ici sa pertinence. De plus, l'écart gauche-droite s'est accru de trois points depuis l'an dernier.

S'agissant ensuite de la hiérarchie des rejets, nous posons assez de questions pour cibler quelques minorités et calculer leur indice. Tout en bas, les Roms sont de très loin la catégorie la plus rejetée – il en va de même dans toute l'Europe. Dans les enquêtes qualitatives, certaines personnes leur dénient même parfois l'humanité. Les propos ne sont jamais aussi durs que sur les Roms et les gens du voyage, souvent confondus, à tort.

Juste au-dessus viennent les musulmans, avec toutes les questions qui touchent aux pratiques de l'islam : pour eux, l'indice est de 60. Au-dessus on trouve les Maghrébins, Arabes, parfois dénommés « beurs », avec 72. Les deux minorités les mieux acceptées sont la minorité juive et les Noirs. Ce qui peut paraître paradoxal, si l'on compare avec les actes et les discriminations.

Cette hiérarchie des rejets, réelle, se maintient à travers le temps.

Dernier point : le renouvellement des argumentaires du racisme. Nous vivons dans des sociétés qui ont été traumatisées par la Shoah, dans lesquelles le racisme est considéré comme le mal absolu. L'antiracisme est devenu la norme, le principe, si bien que le racisme s'exprime souvent de manière détournée, où les gens n'ont même pas le sentiment d'être racistes. C'est ce qu'on appelle le racisme subtil, symbolique, déguisé.

Ce changement d'argumentaire est particulièrement net dans les débats autour du nouvel antisémitisme et de la nouvelle judéophobie mise en évidence par Pierre-André Taguieff : « Je n'ai rien contre les juifs, mais, tout de même, la politique d'Israël… » La critique d'Israël et du sionisme peut être tout à fait légitime, mais aussi prêter aux préjugés : il faut bien distinguer les deux. Il en est de même dans la nouvelle islamophobie : on n'a rien contre les immigrés ou les Arabes, mais on estime que l'islam est une religion qui va à l'encontre des valeurs de la laïcité, des droits des femmes ou des gays.

Dans la réalité, on voit que les vieux clichés antisémites liés au pouvoir et à l'argent dominent l'univers des préjugés antisémites, non la question israélienne – je parle bien des préjugés, non des actes. Et pour ce qui est de la nouvelle islamophobie, ceux qui obtiennent les notes les plus élevées sur notre échelle d'aversion à l'islam sont justement ceux qui sont le moins attachés à la laïcité et font le moins de cas des droits des femmes et des gays… C'est dire à quel point les argumentaires peuvent masquer la réalité.

Mais cet outil a ses limites. Tout d'abord, ce ne sont que des sondages, et le résultat d'un sondage dépend de la question posée, du moment où elle est posée, et de la manière dont elle est comprise. Ensuite, les sondages ne portent que sur des opinions. Or la logique des opinions n'a rien à voir avec celle des comportements : en 2019, les infractions remontées jusqu'au parquet ont crû de 11 %, les actes et menaces recensés par la police et la gendarmerie de 74 %. Quant au racisme ordinaire, les micro-agressions, les insultes, les menaces au jour le jour, les petites choses qui pourrissent la vie, il fleurit très bien : dans les stades, on continue à entendre des insultes contre les Noirs, comme avant.

Cela étant, nous travaillons par rapport à des normes. Que la norme soit antiraciste, c'est déjà un progrès par rapport aux années trente, tout comme le fait que beaucoup de gens aient le sentiment de ne pas être du tout racistes eux-mêmes.

Je n'aurai pas le temps d'évoquer le débat autour du racisme institutionnel ou systémique, mais nos sondages d'opinion ne se bornent pas à recueillir le subjectif : il y a aussi toutes les institutions, école, entreprise, police, où s'installent des routines discriminatoires auxquelles on ne prête même plus attention – je pense notamment aux travaux de Marie-Anne Valfort, sur les discriminations à l'embauche en fonction de la religion ainsi qu'à ceux de Fabien Jobard et d'autres chercheurs sur le contrôle au faciès.

On peut se demander si ces sondages disent la vérité : il est facile de dire n'importe quoi à un enquêteur. Depuis trois ans, nous posons les mêmes questions en ligne, en parallèle, et on s'aperçoit que le niveau d'intolérance est beaucoup plus élevé. Ce phénomène s'explique aussi par le fait que les deux échantillons ne sont pas les mêmes : l'échantillon « en face-à-face » est plus représentatif de la France dans sa diversité, mais la réalité du racisme est quelque part entre les deux.

Enfin, on reproche souvent à l'indice longitudinal de tolérance de tout mélanger, alors même que chaque préjugé a son histoire. L'antisémitisme a l'histoire la plus longue, qui plus est marquée par la Shoah. Il ne s'agit pas de dire que tous les préjugés sont pareils, mais de montrer que les réponses à toutes les formes de racisme sont étroitement corrélées. En gros, sur l'ensemble de l'échantillon, ceux qui n'aiment pas les juifs n'aiment pas non plus les Noirs, ni les Chinois, ni les Asiatiques, ni les Roms, ni aucun groupe imaginaire que l'on rajouterait à la liste. Ce sont toujours les mêmes facteurs explicatifs qui jouent, étroitement corrélés à une vision autoritaire et hiérarchique de la société – dans laquelle la place de ces gens est en bas –, et à un rejet plus général des groupes considérés comme hors norme : les féministes, les gays, les lesbiennes, les handicapés, tous ceux qui ne sont pas conformes. Il y a donc une étroite corrélation, et c'est toujours plus compliqué que l'on ne croit – c'est le propre de la recherche.

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Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Ma collègue, Sylvie Le Minez et moi-même sommes très honorées d'avoir été conviées à participer aux travaux de votre mission d'information.

Après avoir présenté en quoi la statistique publique peut éclairer les questions d'inégalité, de discrimination et de racisme, nous préciserons quelles données sont collectées en France afin d'élaborer des statistiques ethniques – nous reviendrons sur ce que le terme recouvre – avant d'illustrer par quelques exemples ce qu'elles nous enseignent.

Nous disposons d'ores et déjà de nombreuses études, qui permettent de contribuer à ces débats. Des constats sont posés, même si des approfondissements sont toujours possibles, par exemple sur la troisième génération.

La statistique publique, souvent en lien avec des travaux de chercheurs, peut éclairer la diversité des situations des personnes, ainsi que les inégalités « non expliquées », autrement dit qu'aucune différence objective n'explique, et qui peuvent être une mesure de la discrimination, et enfin les discriminations et les traitements injustes en tant qu'ils sont ressentis.

Depuis la fin du XIXe siècle, le recensement de la population enregistre la nationalité des personnes, en distinguant la nationalité française de naissance de la nationalité française d'acquisition. À partir de 1962, le formulaire de recensement a demandé la nationalité antérieure des Français naturalisés – la question a été depuis transformée en utilisant l'expression de « nationalité à la naissance ». Sont également enregistrés, depuis 1901, le lieu et le pays de naissance.

Ces informations, connues depuis très longtemps, permettent de dénombrer et de caractériser les personnes selon leur origine, et notamment d'étudier les immigrés qui, selon la définition du Haut Conseil à l'intégration, adoptée en 1991, sont des « personnes nées étrangères à l'étranger et résidant en France ». En 1962, a été introduite une question sur le lieu de résidence lors du précédent recensement, qui permet d'étudier les migrations des personnes et les flux d'immigration.

La France compte aujourd'hui un peu moins de 5 millions d'étrangers, soit 7 % de la population ainsi que 6,6 millions d'immigrés, dont la part est passée de 5 % en 1946 à 7,5 % en 1975, pour atteindre à peu près 10 % aujourd'hui. Les origines des immigrés se sont beaucoup diversifiées, notamment avec l'émergence de flux en provenance d'Afrique subsaharienne et d'Asie. Aujourd'hui, parmi la première génération, 46 % des immigrés sont nés dans un pays du continent africain, 34 % sont originaires d'Europe et 15 % d'Asie. Il faut aussi avoir en tête que près de 40 % des immigrés ont la nationalité française.

Au-delà du recensement, de nombreuses enquêtes de la statistique publique comportent des questions sur le pays de naissance et la nationalité, aux moments de la naissance et de l'enquête, non seulement des personnes interrogées, mais aussi de celles qui vivent sous le même toit et des parents des enquêtés.

Les informations sur les parents ont été introduites pour la première fois en 1999 dans l'enquête « famille », adossée au recensement. Depuis quinze ou vingt ans, elles sont présentes dans les grandes enquêtes de l'INSEE, notamment les enquêtes « emploi » et « logement », ou les enquêtes sur les revenus sociaux et fiscaux, ainsi que dans d'autres enquêtes statistiques comme les enquêtes « génération » du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) sur les parcours d'insertion des jeunes.

Avec ces questions, nous pouvons connaître non seulement la première génération, les immigrés, mais aussi les descendants des immigrés, la deuxième génération composée de personnes nées en France ayant au moins un parent immigré, par pays ou par zone d'origine. Cela est très important car les situations varient beaucoup selon les origines.

Les données sur la deuxième génération, qui n'a pas connu la migration mais a été scolarisée et socialisée en France, sont également très intéressantes. Elles permettent notamment de mesurer les évolutions entre première et deuxième générations.

La France compte 7,6 millions de descendants d'immigrés, c'est-à-dire 11,5 % de la population, soit un peu plus que d'immigrés. Leurs origines et leur âge sont très liés à l'ancienneté des différentes vagues de migrations en France. Parmi les descendants d'immigrés, 41 % ont une origine européenne. Ce sont en moyenne les plus âgés : un quart seulement ont moins de trente ans. Un tiers des descendants d'immigrés est originaire du Maghreb ; deux sur trois ont moins de trente ans. Enfin, 21 % des descendants d'immigrés sont originaires d'Afrique subsaharienne ou d'Asie ; 80 % d'entre eux ont moins de trente ans.

La moitié des descendants d'immigrés sont nés en France, de deux parents immigrés, en général du même pays.

Jusqu'à présent, aucune source ne permettait d'identifier les petits-enfants d'immigrés, sinon ceux qui vivaient au domicile de leurs parents. La nouvelle édition de l'enquête « trajectoires et origines » (TEO), en cours de collecte, rendra cela possible puisqu'on y demande aux enquêtés de faire connaître les pays de naissance et les nationalités à la naissance des parents et grands-parents.

La première édition de cette enquête, réalisée par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'INSEE, date d'une dizaine d'années. Outre les questions que j'ai indiquées, la seconde édition 2019-2020, en cours de collecte, comprend également un protocole expérimental spécifique pour interroger directement des petits-enfants d'immigrés d'origine non européenne.

Cette approche objective, par le pays de naissance et la nationalité, peut être utilement complétée par des questions subjectives sur le ressenti, le vécu des enquêtés. L'enquête TEO comprend ainsi des questions précises sur d'éventuels traitements défavorables, dans différents domaines de la vie sociale – accès à l'emploi, au logement, études poursuivies, etc. Parmi les raisons suggérées de ces injustices figurent notamment l'origine et la couleur de peau.

Au-delà de ces questions précises pourtant sur d'éventuels traitements défavorables – à ce stade, on ne parle pas de discrimination –, une question de synthèse est posée, qui porte sur les discriminations ressenties : « Au cours des cinq dernières années, pensez-vous avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations ? ». On retrouve là des motifs issus de la liste des critères de discrimination en droit : les origines, la religion et la nationalité sont notamment identifiées.

D'autres enquêtes, notamment l'enquête « histoire de vie » de 2003, avaient répertorié les expériences de moqueries, les mises à l'écart, les traitements injustes, mais sans parler de discriminations.

L'enquête TEO aborde également la question du racisme, en demandant à toutes les personnes interrogées, quelle que soit leur origine, si elles ont été la cible d'insultes, de propos ou d'attitudes ouvertement racistes, et dans quelles circonstances – à l'école, au travail, dans les lieux publics. Dans le cas contraire, il est demandé aux enquêtés s'ils pensent qu'ils pourraient être victimes de racisme en France.

L'enquête a aussi pour particularité de s'intéresser non seulement aux immigrés et descendants d'immigrés, mais aussi aux personnes issues des DOM, qui vivent en France métropolitaine, et à leurs descendants. Les chercheurs qui ont exploité ces données sur le racisme font état du constat suivant : « Les originaires d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, d'un DOM, et leurs enfants, nés en métropole, qu'ils aient ou non réussi leur parcours professionnel, restent soumis à des comportements explicitement racistes et discriminatoires. Leur nationalité française, acquise parfois depuis plusieurs générations, notamment pour ce qui concerne les natifs des DOM, ne change rien à ce constat. »

Ces collectes d'informations sont très encadrées juridiquement. Le droit commun, tel qu'il découle de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que la collecte et le traitement de données dites sensibles sont interdits en France, notamment « les données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ».

Des dérogations sont cependant prévues afin de permettre à la statistique publique et aux chercheurs de travailler, précisées dans le règlement général sur la protection des données (RGPD). C'est notamment le cas des traitements « à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques. »

Une décision du Conseil constitutionnel de 2007 a précisé quelles informations relatives aux origines pouvaient être recueillies. Elle indiquait en effet que les études sur la mesure de la diversité des origines des personnes « ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ». Le commentaire de la décision précise : « Serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d'un référentiel ethno-racial ». Il est tout à fait possible de mener des études se fondant sur des données objectives comme le nom, l'origine, la nationalité à la naissance, ou sur des données subjectives de ressenti d'appartenance, mais en aucun cas des travaux qui se fonderaient des référentiels ethnoraciaux.

Conformément à ce cadre, le recensement français, à la différence de ses équivalents britannique ou américain, ne comprend pas de question d'auto-déclaration d'appartenance à un groupe ethnoracial, à l'exception du recensement en Nouvelle-Calédonie, qui identifie des communautés d'appartenance au nom de l'intérêt public.

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Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales de la direction des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Les données collectées par la statistique publique, à partir du recensement et des différentes enquêtes nous permettent de disposer de très nombreuses informations sur les immigrés et descendants d'immigrés, dans les différents domaines de la vie sociale, que nous mettons à disposition sous la forme de fiches clés, d'éclairages et d'études plus approfondies, notamment avec les chercheurs, dans la revue Économie et statistique. Je vous en présenterai rapidement quelques faits stylisés.

Si le niveau d'études des immigrés, comme celui de l'ensemble de la population, a augmenté, la part des immigrés peu ou non diplômés reste élevée. La part des diplômés du supérieur s'approche toutefois nettement de celle des personnes nées en France. Mais des différences très importantes subsistent entre les femmes et les hommes, ainsi que selon les origines.

Les descendants d'immigrés ayant achevé leurs études, particulièrement les jeunes femmes, sont plus diplômés que les immigrés, mais restent moins diplômés que les enfants de parents non immigrés, notamment lorsque les deux parents sont non immigrés.

En 2019, le taux de chômage des immigrés est de 14 %, contre 8 % pour les non immigrés. Des différences très importantes sont constatées en fonction des origines : il atteint jusqu'à 17 % pour les personnes nées en Afrique. Et, fait marquant, malgré un niveau d'études plus élevé, il est presque du même niveau pour les descendants d'immigrés que pour les immigrés. Pour certaines origines, notamment l'Afrique et l'Asie, le taux de chômage des descendants d'immigrés peut même être légèrement supérieur à celui des immigrés de même origine.

Concernant les niveaux de vie ou la pauvreté, les écarts sont également importants. Vous pouvez retrouver tous ces éléments sur le site de l'INSEE.

Une partie des écarts de situation entre immigrés, descendants d'immigrés et le reste de la population s'explique par une combinaison des facteurs sociodémographiques, inégalement répartis dans les populations. La statistique publique développe des études cherchant à analyser et à comprendre les écarts observés, par exemple dans le taux d'emploi des femmes immigrées originaires de Turquie et celui des femmes nées en France, sans ascendance migratoire. Les nombreuses caractéristiques observables – niveau d'études, lieu d'habitat, origine sociale – permettent d'expliquer une partie de ces écarts, mais pas tous. Il est possible, bien que nous n'en ayons pas acquis la certitude, que cet écart non expliqué provienne de mesures indirectes de discrimination.

La statistique publique se consacre pour l'essentiel à ce type de travaux, parallèlement aux enquêtes comportant des questions plus subjectives. En 2014, un numéro spécial de la revue Économie et statistique a été consacré aux mesures de discrimination. Trois approches avaient été présentées : les évaluations indirectes ; les discriminations ressenties – Christel Colin les a présentées avec les questions de l'enquête TEO, qui ont été commentées par Cris Beauchemin lors de son audition – ; et les tests de discrimination (testings), auxquels la statistique publique peut parfois contribuer, en lien avec des chercheurs. Cet ouvrage exposait dans son introduction les différentes mesures de discrimination, avec leurs forces et leurs faiblesses.

S'agissant des discriminations indirectes, il est important de bien identifier pour commencer les populations concernées, avant d'analyser finement les écarts existant entre elles – immigrés par rapport à non immigrés ; descendants d'immigrés par rapport aux enfants de parents nés en France ; immigrés par rapport aux personnes sans ascendance migratoire, jusqu'à la deuxième génération. Pour gagner en pertinence, ces comparaisons doivent être faites séparément pour les hommes et pour les femmes, en détaillant finement les origines, car les situations sont très diverses.

Il faut ensuite pouvoir expliquer les différences constatées dans les niveaux de diplôme, les taux d'emploi ou les niveaux de salaire. Nous estimons des modèles statistiques, dans lesquels nous introduisons de nombreuses variables explicatives, pour tenter d'expliquer au mieux les écarts. En général, seulement une partie d'entre eux est expliquée, qui varie selon les études mobilisées, les sources et les variables. Un pas délicat reste ensuite à franchir, pour déterminer dans quelle mesure les écarts non expliqués sont des discriminations, ce dont on ne peut jamais être sûr.

En conclusion, ces approches indirectes de la discrimination semblent surtout intéressantes en ce qu'elles permettent de quantifier le poids des différents facteurs, par exemple le rôle des différences sociales dans les écarts observés ou dans l'accès inégal à des positions sociales. Un premier levier pour lutter contre ces inégalités serait de réduire les différences entre les caractéristiques des populations avec ou sans ascendance migratoire, par exemple en améliorant les niveaux d'éducation ou l'accès à certaines filières et, partant, au marché du travail. La partie résiduelle non expliquée est également intéressante car elle conduit la statistique publique et les chercheurs à s'interroger et à approfondir leurs investigations, notamment chez les populations où les écarts inexpliqués sont particulièrement importants.

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De quelle façon et par qui sont utilisés les travaux que vous menez et que vous mettez à disposition ? En quoi peuvent-ils faire évoluer les moyens de lutter contre les discriminations et le racisme ?

Avez-vous la possibilité de savoir quels partenaires sollicitent vos travaux ? Vous arrive-t-il d'en faire la promotion ? Je m'interroge en effet sur l'impact politique que le CNRS et l'INSEE peuvent avoir sur de tels sujets.

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Tous les universitaires que nous avons entendus depuis le début de l'été ont cité des rapports de la CNCDH et des données de l'INSEE. M. François Héran, professeur au Collège de France, nous a même communiqué les références des études à consulter absolument, notamment pour bien comprendre la distinction entre racisme et discrimination, que vous avez rappelée à l'instant.

Votre métier consiste à comparer les données et à isoler les facteurs explicatifs pour évaluer les inégalités qui pourraient être imputées à des pratiques discriminatoires. Comment parvenez-vous à composer avec une telle complexité, d'autant que des critères s'ajoutent chaque année – ainsi le « lieu d'habitation l'année précédente » ? Des informations telles que le lieu de naissance et la nationalité des parents seraient-elles de nature à faciliter vos études ?

On parle toujours des personnes victimes de racisme ; encore faudrait-il, pour bien agir, mieux connaître le profil des auteurs d'actes racistes ou dont la construction mentale est empreinte de préjugés : on ne peut se contenter d'étudier éternellement la victime. L'indice longitudinal de tolérance ne serait-il pas un élément propre à nous éclairer ?

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Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

La CNCDH est composée d'experts et de représentants du monde associatif et syndical ou des courants religieux, qui sont nos premiers relais de diffusion auprès de parties prenantes telles que le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ou les différentes organisations syndicales.

Nous avons en revanche plus de mal à nous faire entendre des pouvoirs publics : je partage le constat de l'ancien Défenseur des droits lorsqu'il dit avoir l'impression de parler dans le vide. La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), avec laquelle nous travaillons pourtant régulièrement, a commandé un nouveau sondage pour obtenir des informations sur le racisme en oubliant qu'un indicateur existait déjà. Il est absurde de procéder ainsi : la recherche est un travail cumulatif.

Au travers de nos formations permanentes, nous nous adressons aux magistrats, aux policiers, aux enseignants. Des MOOC, des cours en ligne ouverts à tous, ont également été proposés, notamment celui du sociologue Michel Wievorka sur le racisme et l'antisémitisme.

Nous avons donc plusieurs canaux de diffusion, les pouvoirs publics restant les interlocuteurs les plus difficiles à atteindre.

S'agissant de l'indicateur longitudinal de tolérance, c'est précisément parce qu'il porte sur les opinions qu'il ne peut servir à comprendre les comportements. Une personne peut très bien avoir intériorisé la norme antiraciste et, malgré cela, lancer une insulte raciste à son voisin. Seule une minorité passe à l'acte, avec des menaces ou agressions physiques graves contre les personnes et les biens, mais selon une autre logique. Or, en droit français, il est difficile d'avoir des statistiques sur les auteurs de propos ou d'actes racistes. Quand un individu est pris en flagrant délit, on ne précise pas si la victime est un Noir ou un Maghrébin ; on est donc obligé de se reposer sur la parole des victimes. Les statistiques recueillies par la police et la gendarmerie sur les actes et les agressions permettent de déterminer les victimes ciblées, mais distillent peu d'informations sur les auteurs, informations dont le recueil demande un travail au quotidien et surtout en contexte. C'est ce que Vincent Tiberj et moi-même essayons de faire actuellement avec l'analyse des données d'une enquête menée à Sarcelles par un sondage téléphonique. Les questions concrètes qui ont été posées permettent de comprendre comment les différentes minorités coexistent et réagissent les unes par rapport aux autres. C'est l'étude du racisme ordinaire dans le contexte du brassage quotidien des populations qui permet d'appréhender les comportements.

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Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Si nous mettons à disposition énormément d'informations, nous ne savons pas bien toujours l'usage qui en est fait. Nous essayons d'utiliser différents canaux de diffusion : outre la mise en ligne, les conférences de presse nous permettent de donner un écho plus important aux ouvrages plus élaborés, car le but est qu'ils soient utilisés et que les acteurs s'en saisissent et se les approprient.

Le Conseil national de l'information statistique (CNIS) est un lieu d'échange et de débat qui permet aux utilisateurs de statistiques de nous adresser des demandes, et dans l'enceinte duquel nous présentons nos travaux. Il comprend notamment des représentants des syndicats, des associations d'élus et des parlementaires qui peuvent ainsi être acteurs de l'appropriation, de la diffusion et de l'utilisation de ces résultats.

Rien ne s'oppose juridiquement à ce que soit insérée dans le questionnaire du recensement une demande sur le lieu de naissance et la nationalité des parents ; cela nous est d'ailleurs régulièrement suggéré. Ce document doit toutefois répondre à des critères stricts. Si 60 % des personnes répondent en ligne, 40 % utilisent encore le papier, ce qui implique que le questionnaire ne soit pas trop long. En outre, nous recevons de nombreuses demandes d'ajouts sur des thèmes très variés, tels que la santé ou le handicap, sur lesquelles il nous est difficile d'arbitrer. Un groupe de travail du CNIS avait compilé l'ensemble de ces demandes voilà quelques années, et le questionnaire évolue au fil des années. Les suggestions dépassent toutefois, et de loin, le format du document. Le questionnaire étant auto-administré (les particuliers ne sont pas face à un enquêteur), il doit être facile à remplir. Nous avons également besoin d'un taux de réponse très élevé pour pouvoir calculer à un niveau fin les populations légales de l'ensemble des communes françaises ; il est actuellement de 96 %. Toutes ces considérations pratiques poussent à être parcimonieux quant aux demandes retenues.

J'ajoute que le groupe de travail du CNIS sur l'évolution du questionnaire du recensement avait mis en garde contre la multiplication des questions sur les origines, qui ancrent trop la personne dans le passé, alors que l'enquête porte davantage sur la situation présente et vise à orienter les politiques publiques.

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Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales de la direction des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Si nous ne savons pas précisément quel usage est fait de nos statistiques, certaines études ont parfois un écho important dans la société, à l'instar de celle que nous avons publiée récemment sur l'évolution des décès au pic de l'épidémie par rapport à 2019, selon l'origine des personnes. Les résultats montrent que l'augmentation a été plus importante chez les personnes nées au Maghreb, en Asie et, plus encore, en Afrique subsaharienne. Ces chiffres ont suscité un certain émoi et ont permis de mettre en évidence que ces catégories étaient plus nombreuses à avoir poursuivi leur activité durant le confinement, leur emploi ne permettant pas le télétravail. Les personnes nées en Afrique, très nombreuses à résider en Île-de-France, étaient aussi celles qui utilisaient le plus les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail. Ces données ont remis en lumière les différences importantes de conditions de vie selon les origines et provoqué une prise de conscience.

De nombreuses études donnent une mesure indirecte des discriminations. En matière d'emploi, elles portent par exemple sur la participation sur le marché du travail, l'accès à l'emploi, les conditions d'exercice de l'emploi ou les niveaux de rémunération. Chacune apporte une pierre à l'édifice, et ce serait une tâche colossale d'établir une synthèse.

L'INSEE a publié l'année dernière une étude comparative entre les immigrés et leurs descendants. Sur l'accès à l'emploi, elle montrait que l'effet de l'origine s'estompait, mais pas pour toutes les origines. Les inégalités persistantes pour les hommes nés au Maghreb et en Afrique subsaharienne laissent ainsi penser que ces populations seraient victimes de discriminations. Une fois franchie la barrière de l'accès à l'emploi, on observe des différences de rémunération et de qualité d'emploi entre immigrés et non-immigrés, mais nettement moins entre descendants d'immigrés et personnes sans ascendance migratoire, ce qui peut signifier que les immigrés rencontrent des difficultés spécifiques, par exemple liées à la maîtrise de la langue, à des barrières administratives, à une reconnaissance insuffisante de diplômes ou de qualifications acquis à l'étranger.

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Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

J'aimerais revenir sur la difficulté à recueillir des informations sur les auteurs des infractions. L'enquête « Cadre de vie et sécurité » montre que seulement 17 % des victimes portent plainte : pour agir, il faudrait donc commencer par sensibiliser ces dernières, ainsi que les services de dépôt de plainte des commissariats, et mobiliser les associations compétentes.

Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) recense toutes les procédures enregistrées par la police et la gendarmerie ayant trait à des discriminations, ce qui nous donne un profil des mis en cause ; on en rencontre relativement peu : 5 000 l'an dernier. Paradoxalement, les femmes et les seniors sont surreprésentés. Une mine d'informations est disponible sur les sites de la CNCDH et du ministère de l'intérieur.

L'autre problème est que les coupables de menace, d'agression physique ou de dégradation des biens sont rarement appréhendés. Je n'entrerai pas dans le débat, complexe, sur le nouvel antisémitisme en banlieue – cela nous prendrait des heures.

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Je souligne l'importance des données chiffrées sur un sujet sensible tel que celui qui occupe notre mission d'information. Est-il vrai qu'entre la première génération et les suivantes, l'intégration est plus compliquée ? Est-ce un phénomène que vous observez, à cause par exemple de la concentration de ces populations dans les banlieues, ou est-ce le résultat d'un discours médiatique ?

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J'ai plusieurs questions relatives à la construction du panel représentatif pour le sondage annuel utilisé dans le rapport de la CNCDH. Comment procédez-vous en l'absence d'informations sur l'origine ethnique dans les fichiers nationaux ? J'aimerais également avoir des précisions sur la catégorie des descendants d'immigrés : comprend-elle uniquement la deuxième génération, c'est-à-dire les enfants nés en France de parents immigrés ? Les enfants issus de mariages mixtes en font-ils partie ?

Comment sont comptabilisés les Français nés à l'étranger qui reviennent s'établir en France ?

Pourriez-vous enfin nous préciser où l'on peut trouver vos statistiques ?

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Le paradoxe évoqué par Mme Mayer me fait penser à l'audition de M. Hervé Le Bras, qui avait rappelé le constat de Tocqueville lorsqu'il se rendit aux États-Unis : plus une société se rapproche de l'égalité, plus les inégalités persistantes paraissent insupportables. Ne peut-on y voir, au moins en partie, une explication à ce paradoxe ?

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Existe-t-il des études qui prennent en compte les motifs de l'immigration ? Les inégalités peuvent être différentes selon qu'on quitte son pays pour des raisons économiques ou pour fuir la guerre ou des massacres, ne serait-ce que parce que les immigrés n'appartiennent alors pas aux mêmes catégories sociales ou n'ont pas le même niveau de formation.

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J'aimerais revenir sur la hiérarchie des rejets développée par Mme Mayer. Alors que la communauté juive est la mieux acceptée par les Français, on parle de montée de l'antisémitisme en France. J'ai cru comprendre en effet que ce qui est observé en réalité c'est une montée des actes antisémites, mais pas de l'antisémitisme lui-même. Laisser injustement penser que les Français n'ont pas une image positive du peuple juif ne contribue pas à lutter contre l'antisémitisme.

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Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Les situations objectives des descendants d'immigrés, c'est-à-dire des personnes nées en France d'au moins un parent immigré, sont plus favorables que celles des immigrés, bien qu'il faille nuancer ce constat selon les origines. Cela étant, l'exposition au racisme est plus déclarée que par le passé dans l'enquête TEO. Le décalage, effectivement paradoxal, entre ce qui est mesuré et ce qui est ressenti est sans doute dû à des attentes plus importantes de la part des enfants d'immigrés.

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Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales de la direction des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Les descendants d'immigrés sont nés en France de parents nés à l'étranger et de nationalité étrangère. La moitié d'entre eux ont leurs deux parents immigrés, l'autre moitié ayant un parent immigré et un parent né en France. S'ils forment une seule et même catégorie statistique, la distinction est établie au stade de l'analyse, qui montre des différences très nettes quant au niveau de vie et au risque de pauvreté.

Les personnes nées françaises à l'étranger – environ 1,7 million – ne sont pas considérées comme immigrées.

De mémoire, plusieurs questions de l'enquête « Trajectoires et origines » portent sur les raisons de la migration, ainsi que des modules de l'enquête emploi réalisée à l'échelle européenne. Je n'ai pas de résultats précis en tête, mais je sais que les nombreux travaux sur l'histoire des migrations comportent des données relatives aux motivations. Des informations sur l'admission au séjour par groupes de motifs – économique, familiale, étudiants, humanitaire – sont par exemple régulièrement mises à disposition par le service statistique du ministère de l'intérieur.

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Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

Il n'y a aucune question sur l'origine ethnique dans notre sondage annuel : nous construisons un échantillon national représentatif de la population adulte résidant en France, sans considération de la nationalité ni de l'origine. Nous demandons seulement si les parents et grands-parents avaient ou non la nationalité française, et dans quel pays ils sont nés – sans même parler de leur nationalité.

Nous avons ainsi pu déterminer qu'un Français sur quatre a un de ses deux parents né à l'étranger, et au moins un sur trois un parent ou un grand-parent né à l'étranger. Voilà un élément culturel intéressant à prendre en compte. Nous nous gardons cependant d'interroger les personnes sur leur origine ethnique, nous en tenant simplement à des demandes sur ce qu'elles pensent des différents groupes et minorités composant la société française.

L'analyse de Tocqueville me paraît très pertinente. Il observait également que les révolutions arrivent toujours, non quand l'oppression est maximale, mais lorsqu'une lueur d'espoir apparaît, et que l'idée de revenir en arrière est insupportable. Il en va de même pour le racisme : c'est parce que la norme est désormais l'antiracisme que tout acte raciste est insupportable pour les victimes. C'est le résultat d'une prise de conscience. Dans certains cas, cela provoque même un retour de bâton : une petite minorité ne supporte pas la nouvelle norme – antiraciste, féministe, pro-LGBT –, et c'est ce qui explique les paradoxes relevés précédemment. Bien que la minorité juive soit la mieux considérée, on constate une montée des actes antisémites. Il en va de même pour les gays et les lesbiennes : alors que l'homosexualité n'a jamais été aussi bien acceptée, qu'il s'agisse du mariage de ses enfants ou de la façon de vivre sa sexualité, les enquêtes de l'observatoire des LGBTphobies mesurent une recrudescence des actes anti-LGBT. La progression de la tolérance peut donc s'accompagner de réactions en sens contraire.

Il faut bien saisir la différence entre la logique des actes et celle des opinions. Je mentionnerai l'exemple classique d'une étude américaine sur le racisme antichinois : le chercheur se promène avec un couple de Chinois et ils sont reçus dans tous les hôtels et restaurants où ils entrent, mais lorsque de retour chez lui il écrit aux hôteliers et restaurateurs pour effectuer des réservations, 90 % d'entre eux disent refuser de recevoir des hôtes chinois…

S'agissant de l'antisémitisme, un recul important s'observe en termes d'opinions : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un tiers de la population estimait que les juifs sont des Français comme les autres ; la proportion est aujourd'hui de 90 %. Même si les vieux stéréotypes relatifs au pouvoir et à l'argent résistent, il y a une acceptation croissante.

Quant à la logique des actes, elle change à partir de la seconde intifada, en l'an 2000. Jusque-là, les statistiques de la police et de la gendarmerie montraient une disparition quasiment totale des actes antisémites ; on en dénombrait quatre-vingt-dix en 1990. Après la diffusion des images du petit Mohammed al-Dura mort dans les bras de son père au cours de la seconde intifada, la violence antisémite explose : on s'en prend aux synagogues, aux symboles religieux et aux juifs eux-mêmes. Et à partir de cette date, à chaque intervention de l'armée israélienne dans les territoires le nombre d'actes antisémites remonte, avec des pics à 1 000 actes recensés, qui ne correspondent qu'à une petite partie de la réalité, puisque toutes les victimes ne font pas de déclaration. Au même moment, la tolérance vis-à-vis des juifs continue d'augmenter, par un effet de compassion et en raison de la condamnation de ces mêmes violences.

Les actes antisémites sont variés : ils comprennent les actes de terrorisme commis au nom du djihad, les actes de crapulerie ordinaire contre les juifs parce qu'ils ont de l'argent, et l'antisémitisme ordinaire au quotidien, souvent un antisémitisme de contact, qui pourrit la vie des victimes. Celui-ci peut être perpétré par des jeunes issus de l'immigration qui ont le sentiment que les juifs sont une minorité privilégiée, donc plus pour des raisons davantage socio-économiques que religieuses – mais j'ouvre là un autre débat qui nous emmènerait trop loin.

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Je vous remercie de vos éclairages, et souhaite que vos travaux enrichissent la réflexion de tous, en particulier des pouvoirs publics. Ils seront en tout cas très bénéfiques à la nôtre.

La séance est levée à 13 heures 15.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 12 h 10

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Nathalie Sarles, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Buon Tan, Mme Michèle Victory

Excusés. - Mme Fadila Khattabi, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Robin Reda.