Intervention de Nonna Mayer

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 12h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) :

Il n'y a aucune question sur l'origine ethnique dans notre sondage annuel : nous construisons un échantillon national représentatif de la population adulte résidant en France, sans considération de la nationalité ni de l'origine. Nous demandons seulement si les parents et grands-parents avaient ou non la nationalité française, et dans quel pays ils sont nés – sans même parler de leur nationalité.

Nous avons ainsi pu déterminer qu'un Français sur quatre a un de ses deux parents né à l'étranger, et au moins un sur trois un parent ou un grand-parent né à l'étranger. Voilà un élément culturel intéressant à prendre en compte. Nous nous gardons cependant d'interroger les personnes sur leur origine ethnique, nous en tenant simplement à des demandes sur ce qu'elles pensent des différents groupes et minorités composant la société française.

L'analyse de Tocqueville me paraît très pertinente. Il observait également que les révolutions arrivent toujours, non quand l'oppression est maximale, mais lorsqu'une lueur d'espoir apparaît, et que l'idée de revenir en arrière est insupportable. Il en va de même pour le racisme : c'est parce que la norme est désormais l'antiracisme que tout acte raciste est insupportable pour les victimes. C'est le résultat d'une prise de conscience. Dans certains cas, cela provoque même un retour de bâton : une petite minorité ne supporte pas la nouvelle norme – antiraciste, féministe, pro-LGBT –, et c'est ce qui explique les paradoxes relevés précédemment. Bien que la minorité juive soit la mieux considérée, on constate une montée des actes antisémites. Il en va de même pour les gays et les lesbiennes : alors que l'homosexualité n'a jamais été aussi bien acceptée, qu'il s'agisse du mariage de ses enfants ou de la façon de vivre sa sexualité, les enquêtes de l'observatoire des LGBTphobies mesurent une recrudescence des actes anti-LGBT. La progression de la tolérance peut donc s'accompagner de réactions en sens contraire.

Il faut bien saisir la différence entre la logique des actes et celle des opinions. Je mentionnerai l'exemple classique d'une étude américaine sur le racisme antichinois : le chercheur se promène avec un couple de Chinois et ils sont reçus dans tous les hôtels et restaurants où ils entrent, mais lorsque de retour chez lui il écrit aux hôteliers et restaurateurs pour effectuer des réservations, 90 % d'entre eux disent refuser de recevoir des hôtes chinois…

S'agissant de l'antisémitisme, un recul important s'observe en termes d'opinions : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un tiers de la population estimait que les juifs sont des Français comme les autres ; la proportion est aujourd'hui de 90 %. Même si les vieux stéréotypes relatifs au pouvoir et à l'argent résistent, il y a une acceptation croissante.

Quant à la logique des actes, elle change à partir de la seconde intifada, en l'an 2000. Jusque-là, les statistiques de la police et de la gendarmerie montraient une disparition quasiment totale des actes antisémites ; on en dénombrait quatre-vingt-dix en 1990. Après la diffusion des images du petit Mohammed al-Dura mort dans les bras de son père au cours de la seconde intifada, la violence antisémite explose : on s'en prend aux synagogues, aux symboles religieux et aux juifs eux-mêmes. Et à partir de cette date, à chaque intervention de l'armée israélienne dans les territoires le nombre d'actes antisémites remonte, avec des pics à 1 000 actes recensés, qui ne correspondent qu'à une petite partie de la réalité, puisque toutes les victimes ne font pas de déclaration. Au même moment, la tolérance vis-à-vis des juifs continue d'augmenter, par un effet de compassion et en raison de la condamnation de ces mêmes violences.

Les actes antisémites sont variés : ils comprennent les actes de terrorisme commis au nom du djihad, les actes de crapulerie ordinaire contre les juifs parce qu'ils ont de l'argent, et l'antisémitisme ordinaire au quotidien, souvent un antisémitisme de contact, qui pourrit la vie des victimes. Celui-ci peut être perpétré par des jeunes issus de l'immigration qui ont le sentiment que les juifs sont une minorité privilégiée, donc plus pour des raisons davantage socio-économiques que religieuses – mais j'ouvre là un autre débat qui nous emmènerait trop loin.

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