Intervention de Sylvie Le Minez

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 12h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales de la direction des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE :

Les données collectées par la statistique publique, à partir du recensement et des différentes enquêtes nous permettent de disposer de très nombreuses informations sur les immigrés et descendants d'immigrés, dans les différents domaines de la vie sociale, que nous mettons à disposition sous la forme de fiches clés, d'éclairages et d'études plus approfondies, notamment avec les chercheurs, dans la revue Économie et statistique. Je vous en présenterai rapidement quelques faits stylisés.

Si le niveau d'études des immigrés, comme celui de l'ensemble de la population, a augmenté, la part des immigrés peu ou non diplômés reste élevée. La part des diplômés du supérieur s'approche toutefois nettement de celle des personnes nées en France. Mais des différences très importantes subsistent entre les femmes et les hommes, ainsi que selon les origines.

Les descendants d'immigrés ayant achevé leurs études, particulièrement les jeunes femmes, sont plus diplômés que les immigrés, mais restent moins diplômés que les enfants de parents non immigrés, notamment lorsque les deux parents sont non immigrés.

En 2019, le taux de chômage des immigrés est de 14 %, contre 8 % pour les non immigrés. Des différences très importantes sont constatées en fonction des origines : il atteint jusqu'à 17 % pour les personnes nées en Afrique. Et, fait marquant, malgré un niveau d'études plus élevé, il est presque du même niveau pour les descendants d'immigrés que pour les immigrés. Pour certaines origines, notamment l'Afrique et l'Asie, le taux de chômage des descendants d'immigrés peut même être légèrement supérieur à celui des immigrés de même origine.

Concernant les niveaux de vie ou la pauvreté, les écarts sont également importants. Vous pouvez retrouver tous ces éléments sur le site de l'INSEE.

Une partie des écarts de situation entre immigrés, descendants d'immigrés et le reste de la population s'explique par une combinaison des facteurs sociodémographiques, inégalement répartis dans les populations. La statistique publique développe des études cherchant à analyser et à comprendre les écarts observés, par exemple dans le taux d'emploi des femmes immigrées originaires de Turquie et celui des femmes nées en France, sans ascendance migratoire. Les nombreuses caractéristiques observables – niveau d'études, lieu d'habitat, origine sociale – permettent d'expliquer une partie de ces écarts, mais pas tous. Il est possible, bien que nous n'en ayons pas acquis la certitude, que cet écart non expliqué provienne de mesures indirectes de discrimination.

La statistique publique se consacre pour l'essentiel à ce type de travaux, parallèlement aux enquêtes comportant des questions plus subjectives. En 2014, un numéro spécial de la revue Économie et statistique a été consacré aux mesures de discrimination. Trois approches avaient été présentées : les évaluations indirectes ; les discriminations ressenties – Christel Colin les a présentées avec les questions de l'enquête TEO, qui ont été commentées par Cris Beauchemin lors de son audition – ; et les tests de discrimination (testings), auxquels la statistique publique peut parfois contribuer, en lien avec des chercheurs. Cet ouvrage exposait dans son introduction les différentes mesures de discrimination, avec leurs forces et leurs faiblesses.

S'agissant des discriminations indirectes, il est important de bien identifier pour commencer les populations concernées, avant d'analyser finement les écarts existant entre elles – immigrés par rapport à non immigrés ; descendants d'immigrés par rapport aux enfants de parents nés en France ; immigrés par rapport aux personnes sans ascendance migratoire, jusqu'à la deuxième génération. Pour gagner en pertinence, ces comparaisons doivent être faites séparément pour les hommes et pour les femmes, en détaillant finement les origines, car les situations sont très diverses.

Il faut ensuite pouvoir expliquer les différences constatées dans les niveaux de diplôme, les taux d'emploi ou les niveaux de salaire. Nous estimons des modèles statistiques, dans lesquels nous introduisons de nombreuses variables explicatives, pour tenter d'expliquer au mieux les écarts. En général, seulement une partie d'entre eux est expliquée, qui varie selon les études mobilisées, les sources et les variables. Un pas délicat reste ensuite à franchir, pour déterminer dans quelle mesure les écarts non expliqués sont des discriminations, ce dont on ne peut jamais être sûr.

En conclusion, ces approches indirectes de la discrimination semblent surtout intéressantes en ce qu'elles permettent de quantifier le poids des différents facteurs, par exemple le rôle des différences sociales dans les écarts observés ou dans l'accès inégal à des positions sociales. Un premier levier pour lutter contre ces inégalités serait de réduire les différences entre les caractéristiques des populations avec ou sans ascendance migratoire, par exemple en améliorant les niveaux d'éducation ou l'accès à certaines filières et, partant, au marché du travail. La partie résiduelle non expliquée est également intéressante car elle conduit la statistique publique et les chercheurs à s'interroger et à approfondir leurs investigations, notamment chez les populations où les écarts inexpliqués sont particulièrement importants.

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