Vous avez raison. J'ai plusieurs éléments à donner pour répondre à votre question.
Tout d'abord, je précise une question de vocabulaire. Je parle personnellement de discrimination positive mais plusieurs de mes collègues chercheurs préfèrent parler « d'action affirmative », précisément pour, d'emblée, désamorcer la charge négative associée en France à l'expression « discrimination positive ». « Action affirmative » est la traduction directe de l'anglais affirmative action.
Il est inutile de se voiler la face : il s'agit bien de discriminative positive, puisqu'il s'agit de mettre en place des traitements préférentiels, en amont ou en aval. Par exemple, en amont, c'est quand un employeur décide de faire passer les petites annonces plutôt dans des journaux lus par des groupes minoritaires, de manière à avoir plus de personnes venant de ces groupes parmi les candidats. La discrimination positive consiste aussi, en aval, à proposer un traitement préférentiel au moment de la prise de décision, c'est-à-dire, à dossier égal, à privilégier le recrutement d'un candidat issu d'un groupe minoritaire.
Pourquoi cela fait-il peur en France ? Précisément parce qu'il faut déterminer à l'avance les groupes minoritaires. La discrimination positive ne peut fonctionner que si nous disposons de catégories et que nous décidons qu'il faut renforcer la présence de telle ou telle catégorie parmi les employés, les étudiants, les récipiendaires de logement social, etc. En France, nous achoppons sur cette question des catégories, en tout cas pour la question raciale ou ethnoraciale. Vichy a tout de même été un précédent assez terrible, avec les lois juives. Je pense que ce souvenir revient systématiquement dans les résistances françaises à l'égard de catégories raciales.
Nous pouvons y répondre plusieurs choses. Je crois que Daniel Sabbagh et Patrick Simon, que vous avez déjà interrogés à ce sujet, avaient déjà largement entamé la discussion. D'abord, ces catégories ne sont pas nécessairement associées à des individus déterminés, c'est-à-dire que nous pouvons avoir des groupes anonymes. Nous pouvons travailler statistiquement à une échelle telle que ce soit le groupe qui nous intéresse et non tel ou tel individu.
Par ailleurs, nous pouvons aussi voir que, dans les pays dans lesquels la discrimination positive a été instaurée, que ce soit de manière historique longue comme aux États-Unis ou de façon beaucoup plus récente comme en Grande-Bretagne, la mise en place de ces catégories ethnoraciales n'a pas eu d'effet négatif.
Enfin, nous pouvons noter que, pour ce qui est de la distinction de genre femme-homme, la discrimination positive – que nous appelons en France la parité – a eu des effets positifs réels. Je ne veux pas dire qu'il n'y a plus de travail à faire mais un progrès apparaît dans la manière dont les femmes peuvent désormais, à l'aide de chiffres précis, évaluer et objectiver le fait qu'elles sont moins bien payées que les hommes et qu'elles font face à des plafonds de verre.
Nous pouvons donc au moins objectiver l'état de l'inégalité. C'est quelque chose dont nous nous privons en France en refusant la catégorisation, c'est-à-dire la statistique qui nous permettrait d'objectiver les faits et de mettre fin aux fantasmes. Ces fantasmes existent dans tous les sens et peuvent mobiliser par des discours de tous ordres en affirmant que tel ou tel groupe est privilégié ou au contraire désavantagé.