Intervention de Carole Reynaud-Paligot

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris :

Évelyne vous a présenté la situation à l'échelle des individus, c'est-à-dire de leurs interactions : une personne qui stigmatise une autre personne et qui la dévalorise. Dans ce processus qu'elle a analysé, l'attribution et la mobilisation de stéréotypes constituent une étape essentielle. Catégoriser conduit à attribuer des stéréotypes, ce qui, quand ceux-ci sont négatifs, engage dans le processus de racialisation et de racisme.

Il me semble maintenant nécessaire de poser la question de savoir pourquoi et de quelle manière ces stéréotypes circulent encore. Pour lutter contre le phénomène, il faut intervenir à cette étape-là, cruciale, qui est la circulation des stéréotypes. Évidemment, ce n'est pas tout à fait simple, mais notre connaissance des racismes institutionnalisés, le recul de l'Histoire nous apprennent qu'assez souvent, ces stéréotypes négatifs apparaissent dans des rapports de domination.

Vous avez écouté des intervenants qui vous ont parlé de notre histoire coloniale. Elle a été une étape essentielle parce qu'un ensemble de nations européennes, en voulant dominer d'autres nations, ont accompagné cette domination de discours dévalorisants pour la justifier, parce qu'il est plus facile de dévaloriser, d'inférioriser la personne que l'on veut dominer.

Les rapports de domination sont donc une clé essentielle. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans une situation coloniale, nous n'avons plus de colonies. Même si certains se sentent des « indigènes de la République », ils ne sont objectivement pas dans une situation d'indigénat comme on l'a connue. En revanche, des stéréotypes négatifs circulent toujours sur certaines catégories de population, notamment celles qui faisaient partie des colonies françaises. Quelque chose perdure, un héritage historique, sachant que le contexte a radicalement changé : si nous ne sommes plus dans une situation de domination coloniale, nous sommes dans une situation de domination politique. Les nations européennes qu'on appelle aujourd'hui les pays du Nord ont toujours des rapports de domination politique, toutes les nations ne sont pas égales. Une domination économique existe également : nous avons toujours des échanges économiques inégaux entre les pays, ceux du Nord achetant à bas prix les matières premières venant des pays du Sud, c'est-à-dire des anciennes colonies.

Ce rapport de domination n'est pas ce qu'il était à la période coloniale, mais c'est tout de même un rapport de domination qui perdure et qui entraîne la présence d'un certain vocabulaire : les « pays sous-développés » ou « en voie de développement ». Un regard négatif subsiste sur ces pays-là.

Tant que nous n'arriverons pas à sortir de ces situations de domination et de dépréciation, nous ne pourrons pas réellement lutter contre un certain type de stéréotypes. Vous allez me dire qu'il est difficile de remettre en place un autre ordre international. En revanche, nous pouvons peut-être plus intervenir sur des actions, comme la circulation des stéréotypes. Parce que si les individus les utilisent, c'est qu'ils circulent dans la société, et notamment dans la presse. Des études de sociologue montrent bien que les jeunes de banlieue sont toujours présentés avec des stéréotypes négatifs, par exemple dans les journaux télévisés, dans la presse, dans d'autres lieux de l'espace public, et notamment dans le monde politique. Des hommes politiques se laissent parfois aller à l'utilisation de visions dépréciatives et dévalorisantes sur des catégories de population comme les Roms, pour prendre un exemple parmi tant d'autres.

Le racisme n'est pas seulement un problème à l'échelle des individus, c'est un problème d'ensemble de la société. Il faut identifier tous les acteurs qui interviennent, les médias, les intellectuels et le monde politique. Des intellectuels à qui on accorde de très grandes tribunes et donc beaucoup de place dans l'espace médiatique propagent aussi des stéréotypes quand ce ne sont pas directement des propos racistes. Une grande mobilisation de tous ces acteurs me semble nécessaire pour dire stop aux stéréotypes. La presse en a pris conscience. Suite aux études que j'ai évoquées, un travail de réflexion et de vigilance a été engagé pour éviter que les stéréotypes ne circulent dans la presse, mais il faut aller plus loin.

Maintenant, il faudrait vraiment une mobilisation et une volonté politique très forte. J'ai cité quelques exemples, mais on peut aussi évoquer le monde scolaire parce que, finalement, c'est aussi l'éducation qui doit intervenir dans la lutte contre les stéréotypes. Les manuels scolaires montrent ainsi quelques avancées. En cinquième, un court chapitre évoque un petit peu les stéréotypes, quand l'enseignant en a le temps, mais comme l'éducation morale et civique n'est pas la priorité, il ne le trouve souvent pas. On n'agit pas cependant assez dans le domaine de l'éducation et au sein du ministère de l'éducation nationale.

Outre ces quelques pistes que nous vous proposons, notre mot d'ordre est d'appeler à une mobilisation à l'échelle nationale pour lutter, dans les différents domaines, contre la circulation des stéréotypes qui amènent au racisme.

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