Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • domination
  • exposition
  • génétique
  • identité
  • individu
  • racisme
  • raciste
  • stéréotype
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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La mission d'information organise une table ronde réunissant :

– Mme Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris ;

– Mme Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

La séance est ouverte à 15 heures 10.

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Dans le cadre de la mission d'information créée par la Conférence des présidents sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses que nous comptons formuler pour tenter de lutter contre ce fléau, nous avons cet après-midi le plaisir et l'honneur de recevoir Mme Carole Reynaud-Paligot et Mme Évelyne Heyer. Vous avez publié un ouvrage qui porte le titre de cette exposition, Nous et les autres : des préjugés au racisme, aux éditions La Découverte.

Dans le cadre de cette mission d'information créée en décembre 2019, la question que vous évoquez revêt une acuité particulière et résonne dans l'actualité mondiale et française.

Nous avons reçu fin juillet des représentants des grands musées et des mémoriaux consacrés à l'histoire de l'esclavage, de la Shoah, à l'immigration et nous souhaitons, avec Mme la rapporteure, poursuivre nos travaux, en vous demandant cet après-midi de retracer la naissance d'une exposition comme celle que vous avez réalisée et, bien sûr, son impact, si vous avez pu le mesurer avec quelques indicateurs.

Au-delà de cette exposition, nous souhaitons vous interroger sur vos travaux plus personnels et sur ce qu'ils vous ont appris du racisme, que vous souhaiteriez transmettre à notre mission d'information, parce qu'à l'heure où le racisme qui était dit « scientifique » n'a plus droit de cité, il est important de connaître les enseignements de la biologie et de savoir comment elle travaille sur la notion de race.

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. Nous attendons effectivement l'éclairage que vous pourriez nous apporter sur le racisme, notamment grâce à vos travaux sur la biologie.

Au cours du mois de juillet, nous avons auditionné de nombreux universitaires, sociologues et historiens, qui ont essayé de nous expliquer l'histoire du racisme. Mme Schnapper entre autres nous a alertés, dans l'une des toutes premières auditions, sur le risque auquel nous expose le fait d'avoir calé la lutte contre le racisme sur les progrès de la biologie, qui a démontré l'inexistence des races. Les progrès de la génétique permettent désormais de tracer des caractéristiques communes en fonction des origines et des groupes ethniques. La biologie pourrait-elle donc risquer de relégitimer le racisme puisqu'elle a progressé dans sa technicité.

Aussi devrions-nous, ou pas, caler le combat contre le racisme sur les avancées biologiques ? Votre éclairage sera pour nous déterminant sur ce point précis.

Lors de cette mission, nous avons déjà évoqué plusieurs fois le passé colonial de la France. Votre exposition a certainement retracé les mécanismes sous-jacents aux discriminations et à la domination raciale. Nous aurions aimé avoir, si possible, un résumé de ce que votre exposition a pu donner sur ces mécanismes.

Nous reviendrons certainement sur des questions. Quatre parlementaires sont présents, sur les vingt-deux députés que compte cette mission et qui travaillent également sur d'autres missions.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

Nous avons décidé de faire cette exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme, premièrement parce que c'est une question fondamentale de société et, deuxièmement, parce que cela fait partie des racines historiques du Musée de l'Homme que de lutter contre le racisme et de promouvoir un message universaliste. Troisièmement, il nous semblait important de présenter toutes les nouvelles connaissances sur le racisme. Nous avons voulu proposer au grand public une synthèse qui fait appel à un grand nombre de disciplines : l'histoire, la biologie, l'anthropologie, mais aussi la psychologie sociale.

Pour en venir au cœur du sujet, l'idée de l'exposition était d'essayer de comprendre ce qu'est le racisme, d'où il vient et comment il se construit.

Le premier aspect sur lequel nous avons travaillé et que nous avons présenté au public porte sur les trois composantes fondamentales du racisme :

- la catégorisation par laquelle vous mettez les gens dans des boîtes en leur assignant une étiquette ;

- la hiérarchisation qui consiste à considérer qu'une catégorie est supérieure à une autre (au XVIIIe ou au XIXe siècle, les catégories étaient basées sur la couleur de peau) ;

- l'essentialisation qui consiste à considérer que la catégorie dans laquelle nous avons mis l'individu définit son essence.

« Tu es noir donc tu es ceci », etc. On fige l'individu dans une catégorie, on en déduit tout ce qu'il est, on le résume à un ensemble de stéréotypes assignés à cette catégorie et on présuppose que l'individu ne peut pas en sortir et transmettra cette essence de génération en génération.

Nous avons identifié ces trois grandes composantes du racisme, ce qui en donne une définition générale et incluant notamment l'antisémitisme. Nous avons décidé de ne pas séparer les différentes formes de racisme, mais d'adopter une approche universelle.

Les conséquences sont bien sûr fondamentales pour un individu, qui, mis dans une catégorie et exposé à ce qui est attendu de lui, aura tendance à le réaliser – c'est ce qu'on appelle « la prophétie auto-réalisatrice ». Si vous dites à quelqu'un qu'il est nul, il sera nul ; si vous dites à quelqu'un qu'il est bien, il sera bien. De nombreuses expériences en psychologie sociale et en éducation montrent très bien comment ces phénomènes agissent.

Dans l'exposition, nous avons aussi réfléchi à d'autres effets possibles sur un individu qui est racialisé, donc mis dans ces catégories immuables. Que peut-il faire ? Il peut tout d'abord changer de catégorie, nous proposons les solutions. Cela peut se révéler très difficile, notamment si c'est une catégorie basée sur la couleur de peau : vous ne pouvez pas changer de couleur de peau. Des études aux États-Unis ont toutefois bien montré qu'un autre processus peut se mettre en place. Il s'appelle « retourner le stigmate », c'est-à-dire que vous acceptez la catégorisation en la transformant en quelque chose de positif, « Black is beautiful », par exemple. On peut également voir des replis sur sa catégorie et sur sa communauté qui peuvent aller jusqu'à ériger des frontières et stigmatiser les autres, d'où les notions de communautarisme et de racisme anti-blanc.

Cette première partie de l'exposition était essentiellement basée sur les travaux de psychologie sociale qui est une discipline qui a beaucoup travaillé sur ces questions de racisme. Carole va à présent vous expliquer pourquoi on débouche sur des sociétés racistes ou pas.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

Évelyne vous a présenté la situation à l'échelle des individus, c'est-à-dire de leurs interactions : une personne qui stigmatise une autre personne et qui la dévalorise. Dans ce processus qu'elle a analysé, l'attribution et la mobilisation de stéréotypes constituent une étape essentielle. Catégoriser conduit à attribuer des stéréotypes, ce qui, quand ceux-ci sont négatifs, engage dans le processus de racialisation et de racisme.

Il me semble maintenant nécessaire de poser la question de savoir pourquoi et de quelle manière ces stéréotypes circulent encore. Pour lutter contre le phénomène, il faut intervenir à cette étape-là, cruciale, qui est la circulation des stéréotypes. Évidemment, ce n'est pas tout à fait simple, mais notre connaissance des racismes institutionnalisés, le recul de l'Histoire nous apprennent qu'assez souvent, ces stéréotypes négatifs apparaissent dans des rapports de domination.

Vous avez écouté des intervenants qui vous ont parlé de notre histoire coloniale. Elle a été une étape essentielle parce qu'un ensemble de nations européennes, en voulant dominer d'autres nations, ont accompagné cette domination de discours dévalorisants pour la justifier, parce qu'il est plus facile de dévaloriser, d'inférioriser la personne que l'on veut dominer.

Les rapports de domination sont donc une clé essentielle. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans une situation coloniale, nous n'avons plus de colonies. Même si certains se sentent des « indigènes de la République », ils ne sont objectivement pas dans une situation d'indigénat comme on l'a connue. En revanche, des stéréotypes négatifs circulent toujours sur certaines catégories de population, notamment celles qui faisaient partie des colonies françaises. Quelque chose perdure, un héritage historique, sachant que le contexte a radicalement changé : si nous ne sommes plus dans une situation de domination coloniale, nous sommes dans une situation de domination politique. Les nations européennes qu'on appelle aujourd'hui les pays du Nord ont toujours des rapports de domination politique, toutes les nations ne sont pas égales. Une domination économique existe également : nous avons toujours des échanges économiques inégaux entre les pays, ceux du Nord achetant à bas prix les matières premières venant des pays du Sud, c'est-à-dire des anciennes colonies.

Ce rapport de domination n'est pas ce qu'il était à la période coloniale, mais c'est tout de même un rapport de domination qui perdure et qui entraîne la présence d'un certain vocabulaire : les « pays sous-développés » ou « en voie de développement ». Un regard négatif subsiste sur ces pays-là.

Tant que nous n'arriverons pas à sortir de ces situations de domination et de dépréciation, nous ne pourrons pas réellement lutter contre un certain type de stéréotypes. Vous allez me dire qu'il est difficile de remettre en place un autre ordre international. En revanche, nous pouvons peut-être plus intervenir sur des actions, comme la circulation des stéréotypes. Parce que si les individus les utilisent, c'est qu'ils circulent dans la société, et notamment dans la presse. Des études de sociologue montrent bien que les jeunes de banlieue sont toujours présentés avec des stéréotypes négatifs, par exemple dans les journaux télévisés, dans la presse, dans d'autres lieux de l'espace public, et notamment dans le monde politique. Des hommes politiques se laissent parfois aller à l'utilisation de visions dépréciatives et dévalorisantes sur des catégories de population comme les Roms, pour prendre un exemple parmi tant d'autres.

Le racisme n'est pas seulement un problème à l'échelle des individus, c'est un problème d'ensemble de la société. Il faut identifier tous les acteurs qui interviennent, les médias, les intellectuels et le monde politique. Des intellectuels à qui on accorde de très grandes tribunes et donc beaucoup de place dans l'espace médiatique propagent aussi des stéréotypes quand ce ne sont pas directement des propos racistes. Une grande mobilisation de tous ces acteurs me semble nécessaire pour dire stop aux stéréotypes. La presse en a pris conscience. Suite aux études que j'ai évoquées, un travail de réflexion et de vigilance a été engagé pour éviter que les stéréotypes ne circulent dans la presse, mais il faut aller plus loin.

Maintenant, il faudrait vraiment une mobilisation et une volonté politique très forte. J'ai cité quelques exemples, mais on peut aussi évoquer le monde scolaire parce que, finalement, c'est aussi l'éducation qui doit intervenir dans la lutte contre les stéréotypes. Les manuels scolaires montrent ainsi quelques avancées. En cinquième, un court chapitre évoque un petit peu les stéréotypes, quand l'enseignant en a le temps, mais comme l'éducation morale et civique n'est pas la priorité, il ne le trouve souvent pas. On n'agit pas cependant assez dans le domaine de l'éducation et au sein du ministère de l'éducation nationale.

Outre ces quelques pistes que nous vous proposons, notre mot d'ordre est d'appeler à une mobilisation à l'échelle nationale pour lutter, dans les différents domaines, contre la circulation des stéréotypes qui amènent au racisme.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. L'idée de l'exposition était donc de présenter ces éléments, une partie montrait où nous en étions du point de vue de la génétique. De ce point de vue, il nous semblait en effet important de rappeler que nous venons tous d'Afrique, que les différences génétiques sont minimes entre les individus qui viennent de continents différents, que nous avons tous des ancêtres migrants et que nous sommes tous cousins. Il nous semblait important de rappeler cette unité de l'espèce humaine et d'expliquer que par exemple la couleur de peau est une adaptation à des environnements différents. Aujourd'hui, avec la génétique, nous connaissons les gènes qui codent pour la couleur de peau : ils ne sont qu'un tout petit bout du génome et ne peuvent expliquer que la couleur de peau. Si un individu a une couleur de peau plus foncée en raison de mutations de ces gènes, ce n'est pas pour autant qu'il sera paresseux comme cela pouvait être décrit au XIXe siècle. Les données biologiques cassent donc l'essentialisation : il est impossible d'associer une apparence physique à quelque chose de moral, de psychologique, etc.

L'exposition comprenait également toute une partie sur les données actuelles concernant le racisme en France. Je pense que vous avez interviewé des personnes comme Cris Beauchemin ou Patrick Simon qui vous ont parlé de l'enquête Trajectoires et Origines que nous présentions au Musée de l'Homme, en mettant en avant une des statistiques fondamentales : 65 % des enfants d'immigrants se marient à l'extérieur de leur communauté d'origine. C'est un chiffre très fort. Pour vous donner un ordre de grandeur, aux États-Unis, les Afro-américains ne sont que 17 % à se marier à l'extérieur de leur « groupe » ou « communauté », selon la dénomination adoptée. La société française est une société fluide, bien qu'il reste des discriminations.

Nous présentions aussi dans l'exposition les données du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qui montre un baromètre de la France.

Le message de fin invitait à travailler à l'égalité, en tenant compte de la diversité.

Le bilan de l'exposition nous a donné largement satisfaction, parce qu'au moins 30 % des visiteurs avaient moins de 25 ans, et pas seulement les groupes scolaires. Le week-end, des jeunes venaient voir l'exposition, notamment beaucoup de jeunes des quartiers, par bouche-à-oreille – c'était vraiment une clientèle différente de celle que l'on trouve dans les musées habituellement. En ce sens, cela a été un beau succès.

L'exposition a également connu une vie itinérante dans plusieurs villes de France (à Valence, Nantes, Bordeaux, et en Alsace), aux États-Unis et au Canada. Des éléments de l'exposition sont allés en Allemagne, d'autres en Norvège et une version est en train d'être installée à La Réunion. Elle est toujours présente, sous la forme plus légère de kakémonos, dans différentes académies. Nous avons aussi reçu des demandes de sous-préfets de différentes préfectures pour organiser des formations auprès d'éducateurs et pour la diffuser dans les écoles. À Béziers par exemple, elle a été diffusée dans toute la région et l'arrière-pays.

C'est une exposition qui a bien marché et qui marche encore très bien. Elle porte un message simple avec toujours cette idée de catégorisation, hiérarchisation, essentialisation. C'est un résumé, mais cela permet de bien comprendre. Elle a un aspect éducatif très pertinent.

Pour ce qui est de la génétique, effectivement, les données génétiques permettent maintenant tracer des différences entre des populations humaines. Si vous avez suffisamment de marqueurs et des populations qui ont tendance à se marier entre elles, vous trouvez des différences génétiques. Mais vous les trouverez entre deux villages d'une vallée de l'Italie, ou alors, comme l'expérience l'a montré en Angleterre, entre le Devon et la Cornouailles. Cela alimentera-t-il un racisme entre le Devon et la Cornouailles, je ne sais pas. Je ne pense pas que la génétique amène au racisme, mais quelqu'un qui est raciste peut s'emparer de la génétique s'il veut justifier quelque chose. Inversement, toutes les données génétiques actuelles, et c'est l'objet du livre que je viens de produire et qui s'appelle L'Odyssée des gènes, montrent que nous avons tous des ancêtres migrants, c'est-à-dire que nous avons tous dans nos ancêtres des migrants, et que, pour ceux qui auront des descendants, nous aurons des migrants parmi eux et des descendants qui se marieront avec des migrants.

Je crains donc moins l'utilisation des données génétiques par rapport au racisme, d'autant qu'elles montrent qu'en fait très peu de différences existent entre les populations humaines. Je crois au contraire que c'est une discipline qui a tendance à casser les discours de racisme plutôt qu'à les renforcer.

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. Merci pour cette réponse très claire qui va dans le sens que j'espérais parce que nous avons tous envie de lutter contre le racisme et si la génétique nous y aide aussi, c'est parfait.

Vous parliez d'un processus de hiérarchisation et disiez que ce sont les identités qui se racialisent, et non l'inverse, si j'ai bien compris. Vous pourriez peut-être nous expliquer cela plus précisément.

Sur la prophétie de l'auto réalisation que vous évoquiez, une personne l'a soulignée ce matin en traitant du racisme, mais l'a illustrée avec d'autres études sur l'égalité homme-femme et une expérience conçue par des sociologues. Quand on prédit à une jeune fille qu'elle sera mauvaise en maths, elle échouera nécessairement à son exercice de géométrie. C'est exactement ce que vous entendez par là. Les gens répondent plutôt aux stéréotypes qu'on attend d'eux.

Nous essayons de lutter contre les préjugés racistes des individus qui sont racistes, mais comment faisons-nous pour que les victimes du racisme puissent elles aussi combattre leur propre attente, leur propre prophétie, ce qu'elles vont autoréaliser, sachant que cela touche à quelque chose de beaucoup plus intime, j'imagine, qui est peut-être lié à une transmission familiale ? Pour casser une catégorie, dès le début de la vie, comment s'y prendre ?

S'agissant des mariages mixtes, question que nous n'avions pas encore trop creusée, si la France est l'une des meilleures nations en la matière, comment cela se fait-il que le racisme soit de plus en plus virulent dans notre pays ? Est-ce que des 65 % de mariages mixtes ne toucheraient pas tout le monde ou ne se verraient pas ? Aux États-Unis, il suffit d'une seule goutte de sang (« one drop ») pour rester « racisé ». En France, où nous n'avons pas cette culture, ces mariages mixtes ont-ils des conséquences positives ?

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. Oui, les mariages mixtes ont des conséquences positives. L'enquête Trajectoires et Origines examine d'ailleurs non seulement les mariages, qui sont une manière de mesurer les mélanges, mais aussi les réseaux amicaux, qui sont aussi très mixtes.

Sur le sentiment de racisme en France, ce que j'appelle « le paradoxe de Tocqueville » compte beaucoup : plus vous vous rapprochez d'une société idéale que vous voulez atteindre, c'est-à-dire non raciste sans déni d'égalité, plus vous avez un fort ressenti. D'ailleurs, les enquêtes montrent bien, et à juste titre, que ce sont les enfants ou petits-enfants d'immigrants qui font des études et qui sont donc d'autant plus sensibles au déni d'égalité qu'ils peuvent recevoir en fonction de leur origine et qui est certainement beaucoup plus insupportable pour eux que pour leurs grands-parents ou parents. Cet aspect-là fait d'ailleurs progresser. Ce sont des faits, des statistiques, et je pense que notre société est beaucoup moins raciste qu'elle ne l'était pour nos parents ou grands-parents.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. S'agissant des travaux de la CNCDH, l'évolution est quand même très claire et très favorable. Cette tolérance que la commission essaie de mesurer depuis les années 90 augmente dans la société française. C'est un peu paradoxal, parce que nous avons aussi l'impression d'un racisme violent, mais c'est en fait tout à fait compatible. Dans l'ensemble, la société peut devenir de plus en plus tolérante, c'est ce que montrent les enquêtes de la CNCDH, mais en même temps une frange minoritaire, extrêmement radicale, peut commettre des crimes.

Par ailleurs, un vote d'extrême droite s'est installé dans le paysage politique. Il est en partie inquiétant sur le thème du racisme parce que les études de sociologie électorale montrent que les Français qui votent Front national ne votent pas forcément sur des mobiles ou motivations à caractère raciste, mais plutôt sur des questions économiques et sociales. Il n'empêche qu'ils choisissent un parti qui a des positions extrêmement ambiguës.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. À l'heure actuelle, beaucoup de travaux sont menés pour révéler les discriminations, qui peuvent être implicites, parce que c'est ce qui heurte le plus les gens que l'on dit « racisés ». Selon moi, des actions positives ont été lancées, comme les tests de curriculum vitae anonymes dans les entreprises. Le fait de mettre à jour ces discriminations constitue le premier pas parce que certains, sans le vouloir, discriminent des gens, juste parce qu'ils n'en ont pas conscience. Beaucoup d'exemples le prouvent sur l'orientation scolaire, sur l'attribution des logements, alors que les agents responsables n'avaient pas du tout conscience de ces discriminations et, même, qu'ils croyaient bien faire.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. J'ajouterai que le registre moral est important, mais le parti-pris de l'exposition et du propos que nous développons est de dire qu'il faut comprendre comment cela se met en place.

Pour répondre à votre question sur la prophétie autoréalisatrice, si nous arrivons à expliquer, à travers les programmes scolaires, quels sont ces mécanismes en jeu, les enseignants prendront conscience qu'ils peuvent être porteurs de jugements qui se traduiront en prophétie. Les élèves peuvent aussi devenir conscients de ce mécanisme. Comprendre le phénomène permet ensuite de mieux le maîtriser en luttant à l'endroit où il faut.

La formation des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales est bien sûr un point crucial et, dans le cas présent, la formation des enseignants n'est pas prise en charge actuellement.

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Vous avez parlé de la fréquentation d'un public relativement jeune, que ce soient les scolaires ou les jeunes adultes venus par eux-mêmes. Sur la base de votre expérience, pourriez-vous nous citer des exemples assez concrets de préjugés déconstruits par l'exposition, qui ont particulièrement marqué ce public ou sur lesquels vous avez eu des retours particuliers quant à la pertinence de ce qui a été déconstruit ?

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. J'ai vraiment apprécié d'entendre des jeunes qu'on dit « issus de l'immigration » dire qu'ils comprenaient mieux ce qu'ils vivaient en parcourant l'exposition, surtout lors des parties où différents sociologues analysaient par exemple les discours des médias. Ils comprenaient mieux les mécanismes dans lesquels ils se faisaient entraîner.

Cela étant, dans une exposition, on ne peut malheureusement pas tester les gens avant et après pour savoir exactement en quoi ils ont changé. Pour ceux qui subissaient le racisme, cela a été très important et c'est la raison pour laquelle beaucoup de jeunes gens de banlieue sont venus : l'exposition leur a permis de se replacer dans un contexte, de comprendre ce qui pouvait leur arriver et d'être mieux armés pour y répondre autrement que par la colère.

Quant aux jeunes qui, sans être racisés, étaient intéressés par ces questions-là, pour le mieux vivre ensemble, ils étaient très contents de trouver des phrases et des arguments simples (« on vient tous d'Afrique, on est tous cousins », « on a tous des ancêtres migrants ») pour pouvoir débattre avec des individus racistes. Ce sont des phrases simples qui permettent, dans un débat ou dans une argumentation, de faire des jeunes des porte-parole. Suite à l'exposition, j'ai travaillé sur des master class à l'UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture). Nous allons voir des jeunes et cette organisation permet aussi leur venue afin que nous leur présentions le fonctionnement du racisme. Eux-mêmes doivent ensuite proposer des solutions pour lutter contre le racisme.

Je dirais que l'exposition est une boîte à outils. Les gens peuvent ensuite s'emparer de ce qu'ils veulent.

Quant aux visiteurs qui étaient à tendance raciste, le discours qui fonctionnait bien concernait par exemple la prophétie auto-réalisatrice : c'est tout de même quelque chose de comprendre qu'à force de dire à quelqu'un qu'il n'est pas bien, il va devenir ainsi.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. L'exposition comporte des jeux interactifs et notamment un qui présente le test que vous avez évoqué tout à l'heure sur les filles qui réussissent moins bien l'exercice de géométrie. Les visiteurs sont face à l'ordinateur, le test leur est présenté et, à la fin, un message explique que si l'on fait varier la consigne, quand on dit simplement que c'est un exercice, les filles réussissent aussi bien, alors que, si l'on ajoute le nom « géométrie », elles réussissent moins bien. Les visiteurs sont donc directement confrontés au test de psychologie sociale.

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Merci pour ces propos très intéressants qui donnent envie de visiter cette exposition. Je voulais revenir sur le titre de cette exposition : « Nous et les autres, des préjugés au racisme ». Vous avez parlé de l'importance de la formation, de l'éducation, et je crois que ces sujets doivent vraiment être abordés partout et en particulier dans les lieux de la République comme l'Assemblée nationale.

Je voulais vous exposer une situation que j'ai vécue en début de mandat, qui m'a choquée. J'ai reçu un groupe de jeunes d'une dizaine d'années de ma circonscription, dont beaucoup issus de l'immigration. Nous organisions une visite de l'Assemblée nationale avec un fonctionnaire pour leur faire découvrir les institutions de la République et la démocratie. Lors de la présentation, l'agent en question présente un buste de Marianne et leur indique, je ne me souviens plus précisément du propos : « Chez nous, le buste de Marianne est ceci, alors que chez vous… » J'ai eu un moment de blocage total et me suis dit que ce n'était pas possible, ces enfants sont français, en tout cas la plupart. Comment pouvons-nous dire « chez nous » et « chez vous » ? Ils sont chez eux, particulièrement à l'Assemblée nationale. Ils sont chez eux et demain ils voteront, ce seront des citoyens français à part entière.

J'ai trouvé que le titre de cette exposition était vraiment porteur de sens et ce « nous et les autres » m'a rappelé cette situation qui m'a profondément choquée. C'est pourquoi je crois à l'importance de former et de sensibiliser partout les professionnels dans l'éducation, dans le milieu de l'entreprise et dans les institutions pour que ce type de discours-là ne vienne pas donner le sentiment à des enfants qui sont français qu'ils ne sont pas des Français à part entière, mais des Français de seconde zone. Non, ce sont des Français comme les autres.

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J'ai une question peut-être annexe. Dans Le Monde aujourd'hui on parle beaucoup de la mobilisation des sportifs, notamment des sportifs de basket, sur la façon de boycotter certaines compétitions pour exprimer un désaccord. Je me demandais pourquoi l'héroïsation de certaines personnes de couleur, notamment dans le milieu sportif, ne contribue pas à aplanir ces préjugés que l'on peut avoir.

Est-ce un sujet que vous avez déjà abordé dans votre exposition ou une question que des personnes ayant visité votre exposition vous auraient posée ?

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. Cette héroïsation peut être extrêmement bénéfique, mais d'un autre côté, nous sommes là aussi souvent confrontés à des stéréotypes sur les sportifs noirs qui, génétiquement, seraient meilleurs que les autres et qui auraient des prédispositions.

Or les sociologues nous montrent bien que tout cela est avant tout culturel puisqu'il y a cinquante ans, les Noirs n'étaient pas du tout présents dans les disciplines où ils excellent aujourd'hui. Des études très précises sur les coureurs marocains, ou sur d'autres sportifs, ayant des origines différentes le montrent. Là aussi, la presse sportive véhicule beaucoup de stéréotypes. C'est ce sens commun qui s'appuie sur des représentations fausses de la génétique d'aujourd'hui.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. Il est positif que des héros représentent la diversité, mais il ne faudrait pas que cela se limite au sport.

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. Oui, mais on reste dans le stéréotype. Des chercheuses d'origine asiatique avaient mené des recherches sur les stéréotypes positifs qui touchent la communauté asiatique. Les gens en souffrent autant parce qu'on attend d'eux qu'ils soient travailleurs à l'école, calmes et disciplinés ou éventuellement bons en informatique.

Un stéréotype, qu'il soit positif ou négatif, reste un stéréotype et donc un préjugé raciste qui enferme quelqu'un dans une case ou dans une attente que la société pourrait avoir de lui.

Comment chacun pourrait-il avoir sa liberté de destin, de détermination ? Comment faire pour que les gens puissent sortir d'une case ? Cela me permet aussi rebondir sur quelque chose que vous avez évoqué : « de quelle couleur sont les blancs ? » Comment fait-on pour que tout le monde soit libre et que le privilège blanc ne soit pas qu'un privilège blanc ?

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. La notion de modernité est vraiment celle de pouvoir choisir ses identités. C'est son courant fort. Il faut rappeler aux gens une idée fondamentale, à savoir que nous avons plusieurs identités et que nous pouvons choisir les identités que nous mettons en avant. C'est la différence entre l'identité choisie et l'identité assignée. Aujourd'hui, je me présente comme scientifique. Je peux ensuite me présenter à un autre endroit comme femme, à un autre comme quelqu'un du Jura, etc., et cela ne pose pas de problèmes d'avoir toutes ces identités.

Je pense qu'il est important de travailler auprès des jeunes et de dire que, dans une société moderne, vous avez la liberté de mettre en avant les identités que vous voulez choisir et qu'il ne faut pas s'en laisser imposer une. Le concept d'identité multiple est vraiment quelque chose de fort à travailler.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. Vous avez posé la question du comment, et je crois que l'éducation nationale occupe une place centrale, c'est-à-dire qu'on doit faire cette histoire de la construction des stéréotypes. Plutôt que de parler de déconstruction, il me semble préférable de dire qu'il faut absolument insérer ce sujet dans les programmes scolaires et mobiliser la communauté enseignante et éducative au sens large pour que l'on puisse expliquer aux enfants qu'un stéréotype se construit à un moment donné et continue à circuler en raison des enjeux économiques et politiques.

Il faut éclairer ces mécanismes, en commençant évidemment par les enfants, mais sans abandonner les autres générations. Ce travail doit passer par la formation des fonctionnaires et par une mobilisation de tous les acteurs qui interviennent dans l'espace public.

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Vos dernières remarques m'interpellent au même titre que l'une des précédentes auditions. Vous parlez des stéréotypes, mais face à leur force, quelle force contraire peut-on opposer ? Cela m'interroge sur la faiblesse, aujourd'hui, de symboles qui devraient être forts, à savoir ceux de la République. Ce qui devrait peut-être aussi nous interroger sur la citoyenneté que l'on souhaite partager tous ensemble. Je voulais savoir où était aujourd'hui cette symbolique sur ces questions qui doivent nous unir, au-delà de l'identité de chaque individu.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. Je rebondis sur quelque chose de très intéressant. En psychologie sociale, les chercheurs se sont interrogés sur la façon de sortir des catégories. Dans les années 70, ils ont mené des expériences sur le sujet, en mettant des groupes en situation de concurrence pendant quelque temps (ce qui ne serait plus permis maintenant, heureusement). Celles-ci ont montré que, pour que la division de groupe s'atténue, il faut faire travailler les gens sur des projets en commun et les mettre dans des situations où l'on coopère pour quelque chose de « supérieur ».

À mon avis, cela ne suffit pas de rappeler l'existence de valeurs supérieures. Il faut imaginer des systèmes où on fait faire des choses aux gens ensemble. C'était peut-être un des rôles du service militaire. C'était mal fait – je suis plutôt pacifiste –, et le remplacement par un service civique correspond plus à mes idéaux, mais cette idée de réunir des gens qui a priori viennent de catégories sociales différentes, pour un temps donné et pour faire quelque chose ensemble, est le meilleur moyen de sortir des catégories.

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Vous avez tout à fait raison et c'est justement à ces propos que je voulais qu'on arrive. Bien sûr, face à des stéréotypes, il faut opposer des symboles très forts, mais au-delà des symboles qu'apporte la République, il faut des rituels qui permettent à chacun de partager et de communier autour de ces valeurs communes. Aujourd'hui, malheureusement, j'ai l'impression que ces espaces restent à reconstruire. Bien sûr, il y a tout un ensemble d'espaces, comme le service national universel, la réserve citoyenne, où nous devons multiplier cette porosité pour faire en sorte que les uns et les autres puissent se parler. Je pense que c'est dans l'intérêt et à l'avantage de chacun que d'aller dans ce sens.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. Il ne s'agit pas seulement de se parler, mais de faire quelque chose ensemble.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. Je ne sais pas s'il faut en rester aux symboles, cela me semble être un discours IIIe République. Dans l'état de la société actuelle, je pense que nous avons besoin d'autre chose. Des jeunes s'approprient les catégories, s'en revendiquent, adhèrent à la catégorisation, l'utilisent ou cherchent à « bricoler » quelque chose d'autre puisqu'ils sont stigmatisés. Ils cherchent à revaloriser leur catégorie. À ce sujet, les sociologues parlent de « bricolage identitaire ». Ces jeunes essaient de se construire une identité plus positive et, finalement, s'enferment dans leur catégorisation qui, nous l'avons vu, pose tant de problèmes.

Ce sont plutôt une éducation à la catégorisation, une explication et un regard critique sur ces processus de catégorisation qui peuvent permettre aux jeunes d'aujourd'hui de ne pas s'engager, si profondément et sans esprit critique, dans ces catégories et ces stéréotypes qui y sont associés.

Je pense qu'il faut maintenant sortir de cette mythologie autour des symboles de la République, sans les abandonner, mais en passant à autre chose.

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Merci beaucoup pour votre contribution. Si vous souhaitez apporter des éléments nouveaux à la mission, n'hésitez pas à nous les transmettre. De notre côté, nous avancerons sur l'élaboration de notre rapport et vous tiendrons, bien sûr, informées des travaux menés, y compris avec votre contribution.

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Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

. L'exposition ouvre à La Réunion et à Bordeaux également.

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Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue, Université de Bourgogne, co-commissaire scientifique de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris

. L'exposition se déploie sur 600 mètres carrés comme au Musée de l'Homme, puis sur 200 comme à Montpellier et également sur des formules avec un ordinateur et les jeux évoqués tout à l'heure.

En Rhône-Alpes, depuis deux ans, un réseau associatif que vous connaissez peut-être, qui s'appelle Traces, rassemble des associations liées à l'histoire de l'immigration en France. Grâce à ce réseau, l'exposition circule dans des Maisons des jeunes et de la culture (MJC), dans des centres sociaux, au plus près des populations. Je l'accompagne de temps à autre. Je suis par exemple allée à Rillieux-la-Pape, en banlieue lyonnaise. Tout un travail de terrain se déroule à petite échelle, mais le Musée de l'Homme est prêt à continuer à assurer la réalisation et la circulation de cette exposition, à l'échelle que l'on souhaite.

Avis aux parlementaires si vous souhaitez la faire circuler dans vos régions.

La séance est levée à 16 heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15 heures 10.

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Stéphanie Atger, M. Bertrand Bouyx, Mme Fiona Lazaar, M. Robin Reda, Mme Nathalie Sarles