Intervention de Évelyne Heyer

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Évelyne Heyer, biologiste, spécialiste de l'anthropologie génétique, professeure, directrice de l'unité d'Eco-Anthropologie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), co-commissaire de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » au Musée de l'Homme à Paris, membre du conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

. L'idée de l'exposition était donc de présenter ces éléments, une partie montrait où nous en étions du point de vue de la génétique. De ce point de vue, il nous semblait en effet important de rappeler que nous venons tous d'Afrique, que les différences génétiques sont minimes entre les individus qui viennent de continents différents, que nous avons tous des ancêtres migrants et que nous sommes tous cousins. Il nous semblait important de rappeler cette unité de l'espèce humaine et d'expliquer que par exemple la couleur de peau est une adaptation à des environnements différents. Aujourd'hui, avec la génétique, nous connaissons les gènes qui codent pour la couleur de peau : ils ne sont qu'un tout petit bout du génome et ne peuvent expliquer que la couleur de peau. Si un individu a une couleur de peau plus foncée en raison de mutations de ces gènes, ce n'est pas pour autant qu'il sera paresseux comme cela pouvait être décrit au XIXe siècle. Les données biologiques cassent donc l'essentialisation : il est impossible d'associer une apparence physique à quelque chose de moral, de psychologique, etc.

L'exposition comprenait également toute une partie sur les données actuelles concernant le racisme en France. Je pense que vous avez interviewé des personnes comme Cris Beauchemin ou Patrick Simon qui vous ont parlé de l'enquête Trajectoires et Origines que nous présentions au Musée de l'Homme, en mettant en avant une des statistiques fondamentales : 65 % des enfants d'immigrants se marient à l'extérieur de leur communauté d'origine. C'est un chiffre très fort. Pour vous donner un ordre de grandeur, aux États-Unis, les Afro-américains ne sont que 17 % à se marier à l'extérieur de leur « groupe » ou « communauté », selon la dénomination adoptée. La société française est une société fluide, bien qu'il reste des discriminations.

Nous présentions aussi dans l'exposition les données du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qui montre un baromètre de la France.

Le message de fin invitait à travailler à l'égalité, en tenant compte de la diversité.

Le bilan de l'exposition nous a donné largement satisfaction, parce qu'au moins 30 % des visiteurs avaient moins de 25 ans, et pas seulement les groupes scolaires. Le week-end, des jeunes venaient voir l'exposition, notamment beaucoup de jeunes des quartiers, par bouche-à-oreille – c'était vraiment une clientèle différente de celle que l'on trouve dans les musées habituellement. En ce sens, cela a été un beau succès.

L'exposition a également connu une vie itinérante dans plusieurs villes de France (à Valence, Nantes, Bordeaux, et en Alsace), aux États-Unis et au Canada. Des éléments de l'exposition sont allés en Allemagne, d'autres en Norvège et une version est en train d'être installée à La Réunion. Elle est toujours présente, sous la forme plus légère de kakémonos, dans différentes académies. Nous avons aussi reçu des demandes de sous-préfets de différentes préfectures pour organiser des formations auprès d'éducateurs et pour la diffuser dans les écoles. À Béziers par exemple, elle a été diffusée dans toute la région et l'arrière-pays.

C'est une exposition qui a bien marché et qui marche encore très bien. Elle porte un message simple avec toujours cette idée de catégorisation, hiérarchisation, essentialisation. C'est un résumé, mais cela permet de bien comprendre. Elle a un aspect éducatif très pertinent.

Pour ce qui est de la génétique, effectivement, les données génétiques permettent maintenant tracer des différences entre des populations humaines. Si vous avez suffisamment de marqueurs et des populations qui ont tendance à se marier entre elles, vous trouvez des différences génétiques. Mais vous les trouverez entre deux villages d'une vallée de l'Italie, ou alors, comme l'expérience l'a montré en Angleterre, entre le Devon et la Cornouailles. Cela alimentera-t-il un racisme entre le Devon et la Cornouailles, je ne sais pas. Je ne pense pas que la génétique amène au racisme, mais quelqu'un qui est raciste peut s'emparer de la génétique s'il veut justifier quelque chose. Inversement, toutes les données génétiques actuelles, et c'est l'objet du livre que je viens de produire et qui s'appelle L'Odyssée des gènes, montrent que nous avons tous des ancêtres migrants, c'est-à-dire que nous avons tous dans nos ancêtres des migrants, et que, pour ceux qui auront des descendants, nous aurons des migrants parmi eux et des descendants qui se marieront avec des migrants.

Je crains donc moins l'utilisation des données génétiques par rapport au racisme, d'autant qu'elles montrent qu'en fait très peu de différences existent entre les populations humaines. Je crois au contraire que c'est une discipline qui a tendance à casser les discours de racisme plutôt qu'à les renforcer.

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