Intervention de Olivier Roy

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 16h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Olivier Roy, politologue, professeur à l'Institut universitaire européen à Florence :

Elle reste parfaitement adaptée et je ne connais pas, à part quelques individus, de musulmans ou d'imams qui demandent un changement de la loi de 1905. C'est une loi de liberté religieuse, de non-interférence de l'État, alors qu'aujourd'hui, nous sommes dans une situation où l'État français veut intervenir dans le domaine religieux. M. Gérald Darmanin, notre actuel ministre de l'intérieur, avait expliqué, avant d'être ministre, qu'il fallait, avec l'islam, utiliser les méthodes de Napoléon avec les juifs. C'est aberrant parce que la manière dont Napoléon a formaté le judaïsme est le fait d'un empire autoritaire et d'un État concordataire, tandis que notre République est démocratique et non concordataire. La loi de 1905 est le contraire du concordat, c'est-à-dire qu'on ne signe rien avec les Églises.

La seule question qui fait débat chez les musulmans, comme par le passé chez les protestants, concerne l'inégalité au niveau du patrimoine. En 1905, l'Église catholique disposait d'un patrimoine qu'elle conserve toujours et qui est financé par l'État (en tout cas les réparations), alors que les religions arrivées après n'étaient pas sur le même régime et que les protestants avaient un peu naïvement donné leurs écoles à l'État. Cela étant, cette question du financement n'est pas très grave. On en fait une montagne, mais, selon moi, le financement devrait venir des croyants. Pour le moment, sociologiquement, les croyants musulmans ne se trouvent pas dans les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, mais la situation change avec la montée d'une bourgeoisie d'origine musulmane, certains étant croyants, d'autres pas, et même l'apparition de millionnaires musulmans français. Je pense donc que cette question de l'autofinancement doit être résolue à l'intérieur de cette communauté. Je pense qu'il faut effectivement surveiller les financements étrangers, mais là, l'État est coupable. Cela fait trente ans que l'État français appelle de ses vœux un islam français, tout en signant avec des pays musulmans pour la formation et l'encadrement de l'islam de France. En ce moment, c'est le cas avec le Maroc et la Turquie – c'est complètement aberrant.

Je dirais donc qu'il faut non seulement garder la loi de 1905, mais en développer la logique. L'État doit cesser de se mêler de l'organisation interne du culte, il doit contrôler les influences étrangères dans les limites de la loi, qui n'interdit pas tout financement étranger. La communauté religieuse musulmane doit être constituée non pas de gens d'origine musulmane, mais de gens qui s'affirment comme croyants et pratiquants et qui prennent en main la gestion des lieux de culte. Entre nous, c'est déjà ce qu'il se passe : la communauté musulmane de France (je parle des croyants) n'a jamais demandé de mosquée cathédrale. Les mosquées cathédrales ont toutes été construites à partir d'un contrat ou d'un accord entre la République et un pays étranger comme l'Arabie saoudite. Cela ne correspond pas du tout à une demande de la population. La population musulmane veut des mosquées de quartier, de proximité, de socialisation, elle ne veut pas de grandes mosquées cathédrales. Les difficultés à les financer s'expliquent par cette raison.

Le postulat doit être qu'il appartient aux citoyens français de confession musulmane de gérer leur rapport au religieux. Ils ne le géreront bien sûr pas sur le modèle de l'Église catholique. Un autre problème de la République française est qu'elle a une vision catholique de la religion, selon laquelle il faudrait une hiérarchie, un responsable, que quelqu'un dise le dogme accepté, etc. Or le modèle musulman est celui des protestants ou des juifs, c'est-à-dire que l'important est la communauté de base locale. Le pasteur ou le rabbin n'a pas de statut particulier, il est largement choisi par la communauté locale, ce qui conduit à une grande variété de positionnements théologiques au lieu d'une seule tête ou d'une seule soutane. Vous avez des évangéliques, des réformés, des anabaptistes et parmi toutes ces tendances, certaines sont un peu plus radicales que d'autres. Il en est de même chez les musulmans. Pourquoi essaie-t-on à tout prix de leur imposer une direction, un leadership et une théologie alors que la loi de 1905, par définition, interdit à l'État de se mêler de théologie et de l'organisation du culte ? L'État doit simplement assurer l'ordre public. Bien entendu, si un religieux tient en chaire des propos inacceptables sur le plan de la loi, par exemple un appel au meurtre, il doit être puni, mais il ne faut surtout pas en faire une question théologique. L'État ne doit pas reconnaître la dimension théologique, ce n'est pas son affaire, or aujourd'hui on ne parle que de cela. Je crois qu'il nous faut être encore plus républicains dans l'approche du religieux.

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