L'opinion publique européenne voit l'immigration comme un processus continu, avec l'idée que cela a commencé dans les années 60 et que nous sommes maintenant dans d'autres vagues d'immigration, comme si c'était un processus continu amenant une population croissante d'origine musulmane à s'établir sur notre territoire. En fait, c'est plus complexe : nous avons connu une immigration musulmane massive dans les années 60 et 70, dans tous les grands pays européens, pas du tout pour des raisons religieuses. N'oublions pas que ce sont nos entreprises qui sont allées chercher des travailleurs dans les années 60. En 1973, les gens arrivaient avec un contrat de travail. La France a puisé dans le Maghreb, son ancienne colonie, les Britanniques ont largement puisé dans le Pakistan et le sous-continent indien, les Allemands, en Turquie. Nous avons donc accueilli une population nombreuse, d'un niveau socioculturel bas, avec peu d'éducation, pauvre, venant de la campagne, etc., qui s'est « translatée » en Europe et qui, du fait d'une politique de logement assez malencontreuse, s'est retrouvée ghettoïsée. C'est un processus connu dans toutes les villes. Dans ma ville, à Dreux, on l'a très bien vu. Quand je suis arrivé dans les années 70, il n'y avait pas de quartiers puis progressivement sont apparus un quartier marocain, un quartier turc, etc. Les Français de souche sont partis ailleurs. Cela a suscité le sentiment d'avoir deux groupes de population.
L'immigration actuelle est complètement différente : ce n'est pas une immigration familiale, c'est une immigration beaucoup plus mobile, avec des gens qui circulent beaucoup. Elle compte beaucoup de musulmans, mais ce n'est pas un facteur. Vous avez également parmi les Africains beaucoup de chrétiens, de Chinois, etc. Les niveaux socioculturels sont également beaucoup plus variés. Typiquement, l'Allemagne par exemple a pris d'un seul coup un million de Syriens. Or l'intégration des Syriens se passe bien. On peut même dire qu'ils sont maintenant mieux intégrés que certains Turcs qui sont là depuis quarante ans. La raison en est très simple, elle tient au milieu socioprofessionnel. Les Syriens sont arrivés avec des diplômes et, même si les diplômes d'un médecin syrien ne sont pas reconnus en Allemagne, il pourra travailler comme infirmier et poussera ses enfants à faire des études.
La population immigrée sera donc d'autant plus facile à intégrer qu'elle sera plus aisée d'un point de vue socioéconomique. Il n'empêche qu'il faut mener une politique subtile de contrôle sinon cela ne marchera pas. D'autres enjeux se posent, tels que la chute démographique en Allemagne ou en Italie. Le gouvernement italien a ainsi décidé que les personnes qui travaillent dans les familles ne sont pas considérées comme des clandestins. Les enjeux sont donc complexes, beaucoup plus fluides qu'ils ne l'étaient auparavant, et c'est le rôle des États de trouver des politiques adaptées et de ne pas laisser cela à l'émotion. Or, aujourd'hui, nous sommes très largement dans l'émotion.