Intervention de Kamel Daoud

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Kamel Daoud, écrivain et journaliste :

Je ne peux pas répondre avec efficacité à cette question. J'observe de loin et de près l'actualité française, son histoire et la façon que la France a de s'interroger et de revenir sur ses passés pluriels, et en même temps j'observe ce qu'il se passe dans le monde qu'on appelle arabe, surtout le Maghreb, et de quelle manière cela impacte la France. Mais je ne peux pas avoir un avis tranché sur les politiques d'intégration ou d'assimilation que je n'ai pas vécues. Ce que je sais, vois et constate toutefois, c'est qu'il existe un impact direct sur la représentation du pays d'origine, les imaginaires liés au pays d'origine, ou les imaginaires confectionnés pour certains besoins à propos de l'histoire, et non à partir de celle-ci.

Je suis d'accord avec vous s'agissant de la nécessité de restaurer les généalogies de la France et ses histoires plurielles. Il s'agit d'une question de sécurité, de stabilité et d'avenir pour la France. Il importe d'accepter et d'assumer toutes ces histoires plurielles qu'elles soient fragiles ou malheureuses, car cela peut aussi rétablir une forme de vérité dans le lien, souvent fantasmé, avec le pays d'origine. Actuellement, l'on se définit davantage en termes de religion, d'appartenance, de négociation vis-à-vis de la francité que par rapport à une maghrébinité d'origine. On accepte que l'islam soit défini également par rapport à une orthodoxie d'origine ; on refuse que la question soit propre à la France, mais l'on accepte d'en déléguer la représentation et la gestion par l'islam consulaire, les imans que l'on importe d'un pays d'origine. D'un côté, il est demandé à une communauté de s'intégrer, mais, d'un autre, ses référents sont définis par rapport à un pays d'origine. Nous faisons face à une forme de contradiction, qui m'a surpris à ses débuts.

En parallèle, comme je l'indiquais en début d'audition, nous posons l'islamité (une confession) face à la francité (une appartenance). Nous nous trouvons dans cette situation de contradiction assez surprenante. Aussi, je ne peux pas répondre à votre question, car je n'ai pas d'avis tranché à son endroit, mais ce qui me surprend c'est la volonté en France de définir une assimilation ou une intégration tout en posant des valeurs de référence à une communauté extérieure à la France : la culture, l'authenticité et l'islam sont définis par rapport à un pays d'origine, de manière exogène. Il existe, à mon sens, une contradiction de fond. Soit il faut dire que l'islam est français et géré en France, soit il faut dire que l'islam n'est pas français : et de fait, ces communautés ne sont plus françaises ; c'est l'échec absolu de toute politique d'intégration ou d'assimilation.

À cet égard, il me semble extraordinaire que le ministre algérien des Affaires religieuses puisse avoir un avis sur l'islam de France, comme si la France et l'Algérie avaient accepté que l'islam de France soit géré par délégation. Je ne comprends pas pour quelle raison chaque réforme ou tentative de réflexion ouverte sur l'islam de France soit l'occasion d'inviter, comme autorités, les élites religieuses de pays non français. C'est une contradiction incompréhensible. Il n'est pas possible de poser un débat d'autorité sur l'islam de France si l'on accepte que le référent soit exogène, et qu'un pays comme l'Algérie – parce qu'il y a une communauté algérienne installée en France – puisse décider, ou avoir un avis sur cette islamité. Ces contradictions profondes produisent un discours d'intégration ou d'assimilation incohérent, car alors celui est né là-bas, qui vient d'ailleurs, a toujours le statut d'invité identitaire plutôt qu'une identité à part entière.

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