Intervention de Dominique Sopo

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Dominique Sopo, président de SOS Racisme :

. Je songeais surtout aux étudiants lorsque je parlais de la question de la circulation. Lorsqu'on a fini ses études sur le sol français, comment en faire bénéficier son pays d'origine ? Parfois, cela nécessite de rester un peu ici, d'avoir des revenus. Il faudrait un dispositif intelligent qui puisse être testé, pour voir ce qu'il donne.

Les rancœurs sont multiples. Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années sur la question de l'Algérie. Dans ce domaine, les rancœurs sont gigantesques, de toutes parts. Les pieds-noirs ont de la rancœur. Les familles d'appelés ont des traumatismes, de la rancœur et de la honte. Je crois que l'on estime à 10 ou 15 millions le nombre de personnes qui sont touchées, plus ou moins directement, par la guerre d'Algérie. Ce n'est pas rien. Traiter la rancœur, c'est – me semble-t-il – ouvrir des espaces de débat. On remarque qu'ouvrir des espaces de débat permet aux individus de se délester d'un poids. Pour parler de ce passé et de ce qu'il entraîne, imaginez que nous sommes en train de regarder un film, assis dans un canapé, et qu'entre nous il y ait un cadavre. Et que tout le monde fasse comme si de rien n'était. On pourrait prendre le cadavre, le sortir, l'enterrer, aérer la pièce ; et cela irait mieux après. Mais nous sommes tétanisés par cette situation ; aussi personne ne bouge, et l'on fait comme s'il n'y avait pas de cadavre.

Ce qui est dangereux, c'est de ne pas en parler. Pour pouvoir tourner une page, il faut d'abord l'avoir lue. Les traumatismes resurgissent toujours, et de façon extrêmement dégradée, lorsqu'on n'en parle pas. Des personnes qui se présentent comme des militants antiracistes sont parfois des caricatures de traumatisés de la guerre d'Algérie. La France a été violente dans la colonisation de l'Algérie, c'est le moins que l'on puisse dire ; elle a été violente dans la guerre d'indépendance ; donc elle reste violente avec nous – c'est une boucle dont on ne sort jamais. Pour citer un autre exemple, Éric Zemmour est une caricature : il a beau être né ici, manifestement il est toujours « là-bas ». Formellement, c'est au nom de la République et de l'histoire de France qu'il parle, mais c'est d'un autre traumatisme qu'il parle.

Cette absence de débat ne protège pas de l'expression des mauvaises passions. Les mémoriaux effectuent un travail extrêmement utile. Tandis que l'on continue d'aller chercher les personnes les plus « excitées » pour faire le « buzz », le travail de fond qui est réalisé commence, lui, à porter ses fruits. Il va créer des phénomènes d'apaisement et de dépassement. Si l'on en croyait les réseaux sociaux, nous aurions dû voir surgir après les élections municipales trois quarts de villes SS et un dernier quart de villes SA. Ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé, me semble-t-il. Ce sont plutôt les différents partis et forces politiques qui se réclament de l'égalité, de la République, etc., qui ont remporté les élections. Il ne faut pas se laisser entraîner par les phénomènes d'excitation. En outre, ce n'est pas parce que des personnes expriment des passions à un moment donné qu'elles ont envie d'y rester enfermées. Il y a aussi des effets de défouloir. Les individus peuvent faire la distinction entre leur comportement dans des moments de défoulement et ce qu'ils ont envie de construire ensemble sur le plan politique dans la société française.

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