Intervention de Catherine Coquery-Vidrovitch

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure émérite d'histoire de l'Afrique subsaharienne, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage :

Les tabous de l'esclavage étaient généralisés jusqu'à la fin du siècle dernier chez les descendants d'esclavagistes comme chez les descendants d'esclaves, en particulier antillais. Pour les uns, c'était un passé peu agréable que l'on n'avait pas envie d'enseigner. Quant aux autres, cela faisait trois siècles qu'on leur expliquait qu'ils valaient moins que les autres et cette idée était d'une certaine façon intériorisée. Le sujet de l'esclavage était donc honteux.

Une élève de troisième m'a dit il y a une dizaine d'années qu'elle était fière d'être descendante d'esclave, mais c'était nouveau. Avant, nous n'en parlions pas, y compris dans les sociétés africaines où traiter quelqu'un d'esclave était l'injure suprême.

L'esclavage a existé partout et depuis toujours. Dans les sociétés dépourvues de moyens techniques, l'être humain était l'outil principal. L'esclavage était cependant tabou, mais le tabou a été levé presque partout à la même date. En France, cela s'est fait au travers de la loi Taubira en 2001. À Bamako, au congrès des historiens africains, un jeune historien sénégalais – désormais recteur de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) –, Ibrahima Thioub, a fait une communication sur l'esclavage dans la société wolof au Sénégal et s'est fait injurier à sa sortie par deux de ses collègues qui étaient des descendants de grands chefs esclavagistes. De même que Myriam Cottias a ouvert un laboratoire au CNRS sur la question, Ibrahima Thioub a lancé un réseau interafricain et international sur ce sujet. Désormais, les historiens africains en parlent. Cela ne signifie pas que tout le monde a envie d'en parler – comme chez nous – mais ce n'est plus un tabou.

Il ne faut donc plus avoir le sentiment que ce sont des sujets sensibles, mais au contraire les désensibiliser. Il nous revient d'expliquer qu'il s'agit de faits historiques, non de jugements, et pourquoi ils ont eu lieu.

Oui, l'esclavage existait dans les sociétés africaines anciennes. Un grand colloque international interafricain a eu lieu en 2014 à Nairobi réunissant de nombreux historiens africains. À cette occasion, j'ai été moi-même surprise de voir à quel point l'esclavage existait dans toutes les sociétés dont il était question. L'esclavage a donc existé partout. Il a pris des formes différentes lors des traites internationales qui ont renforcé et transformé le phénomène. Il n'y a pas de tabou à avoir. Il est important de l'enseigner. Ce n'est pas une chose interdite ni honteuse, c'est un fait historique. Nous n'avons pas à porter de jugement. Toute la difficulté du travail de l'historien est de montrer comment les gens pouvaient penser aux XVIe et XVIIe siècles et comment ces pensées demeurent dans de nombreuses sociétés. Il y a tout un travail scientifique à mener pour démonter ces aberrations historiques.

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