Le BUMIDOM est un organisme créé au début des années 1960 pour organiser la migration vers la France hexagonale de populations de La Réunion, de Martinique et de Guadeloupe. Plus de la moitié d'entre elles proviennent en réalité de La Réunion, et ce sont plutôt des Réunionnais qui travaillent dans l'administration pénitentiaire.
Cette politique a plusieurs origines. Il ne s'agissait pas seulement de faciliter la venue en métropole de ces populations, c'était un outil de contre-insurrection conçu au moment des indépendances, à l'époque où naissaient des mouvements nationalistes en outre-mer. Après les premières émeutes urbaines en Martinique en 1959, c'était un moyen de déplacer les jeunes, pauvres, peu qualifiés, qui risquaient de se révolter. Pourquoi se révoltaient-ils ? Les anciennes colonies sont devenues des départements en 1946, et cela s'assortissait d'une promesse d'égalité. C'était un peu l'acte II de l'égalité qui a suivi l'abolition de l'esclavage. Après la transformation de l'esclave en citoyen, la départementalisation était envisagée comme une voie vers une véritable égalité. Or, des années plus tard, le compte n'y était pas.
Face à l'effondrement de l'ancienne économie sucrière et à l'expansion démographique, l'une des solutions a été de déplacer les gens. Le but était d'éviter les révoltes, mais aussi de réduire le chômage, très important sur place. Cette politique a eu des conséquences catastrophiques en Martinique et en Guadeloupe, deux terres qui se dépeuplent. La diminution constante de la population depuis dix ans est le résultat de plusieurs dizaines d'années de migrations organisées.
Les archives du BUMIDOM montrent ce qui a été mis en œuvre pour faire partir les gens, et la façon dont ils étaient catégorisés, alors même que c'étaient des citoyens français. L'historien Sylvain Pattieu a travaillé sur la façon dont les administrations traitent leurs agents venus d'outre-mer. Plusieurs considérations relèvent à certains égards du racisme biologique – notamment certains stéréotypes sur la nonchalance supposée des Antillais.
Je ne parlais donc pas seulement des dispositifs spécifiques comme les congés bonifiés, même si plusieurs outils accessibles aux fonctionnaires en outre-mer et aux personnes originaires d'outre-mer en France métropolitaine ne sont pas complètement déconnectés de cette histoire. En effet, il s'est d'abord agi de bénéfices réservés aux métropolitains en poste en outre-mer, qui ont été étendus à la suite de luttes.
Je parlais particulièrement de la manière dont la population était sélectionnée, placée dans certains canaux pour intégrer certaines administrations et pouvait faire l'objet de formations particulières, à l'aune de catégorisations pratiquées par des agences d'État. Des travaux sont menés, par exemple, sur l'accès aux logements HLM pour les personnes venues d'outre-mer. Le BUMIDOM devait parfois se battre pour expliquer aux agences qu'il s'agissait de citoyens français qui, pour défendre leur droit à accéder à un logement, pouvaient aussi entrer dans des formes de catégorisations raciales. Les travaux sociologiques portant sur l'attribution de logements sociaux montrent comment des populations ont été catégorisées, et comment des familles ont pu être empêchées de vivre dans certains immeubles au motif que l'on pensait avoir atteint une sorte de seuil de tolérance. Ces phénomènes sont bien documentés.
Pour revenir sur ce que vous disiez à propos de Kamel Daoud, il est important de connaître l'histoire longue, mais aussi de voir qu'une partie des revendications qui ont à voir avec l'histoire ont pour origine la tension qui existe dans notre pays entre la manière dont on apprend les principes républicains et la réalité de l'expérience des gens et de ce qu'ils peuvent savoir de l'histoire. C'est un enjeu historique important, mais ce n'est pas seulement un enjeu historique.
Il est très important d'avoir le regard de Kamel Daoud, et aussi de comprendre que les questions posées ne sont pas seulement d'ordre historique. Elles sont adressées à la société et aux politiques, davantage qu'aux historiens.