Intervention de Catherine Coquery-Vidrovitch

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 15h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure émérite d'histoire de l'Afrique subsaharienne, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage :

Supprimer le mot « race » ne supprime pas le racisme. Cela me paraît absurde, puisque le racisme existe. Il faut bien en faire état.

Il existe par ailleurs un faux-ami anglais qui fait des ravages, y compris dans les polémiques entre intellectuels. Le mot « race » en français renvoie au racisme, au fait de croire aux races. En anglais, le mot race repose aussi sur des idées racistes, mais également sur une histoire de la ségrégation qui a créé des catégories statistiques qui ont été conservées par la suite aux États-Unis comme en Afrique du sud.

Il y a une incompréhension totale dans le public – le public éclairé, comme le public politique et législatif – sur ce malentendu dans l'emploi du mot « race ». De nombreux chercheurs utilisent ainsi ce mot en français, alors qu'il s'agit du mot race. Cela tient au fait que de nombreux travaux sont écrits en langue anglaise sur ce sujet.

J'ai fait paraître en 2009 un ouvrage intitulé Enjeux politiques de l'histoire coloniale, à un moment où se produisait une grande confusion entre savoir et morale sur ces questions. L'histoire de l'esclavage revêt également des enjeux politiques, comme toutes les notions qui lui sont liées. Pap Ndiaye mentionnait plus haut les idées postcoloniales et les idées décoloniales. Le concept postcolonial a été très développé par les anglophones, quand le concept décolonial a été inventé par les Sud-Américains, pour se distinguer d'une certaine façon des concepts nord-américains. Or ces mots signifient un certain nombre de choses, qui échappent à beaucoup d'intellectuels qui montent sur leurs grands chevaux au lieu d'essayer de comprendre.

Les études décoloniales portent ainsi une idée intéressante consistant à dire qu'au-delà des classes sociales, d'autres éléments comptent comme la race, entendue au sens anglais du terme, et le genre. Le bon sens dit par exemple qu'une jeune Noire d'un quartier difficile peinera davantage à trouver du travail qu'un jeune Blanc des beaux quartiers, car elle est issue d'une classe sociale défavorisée, femme et noire. Il existe donc des facteurs qui nuancent la notion d'inégalité sociale.

À partir de là, comme à chaque invention d'un nouveau concept, une nuée de penseurs, de néo-penseurs et de mauvais penseurs font des publications plus ou moins intéressantes. Pour autant, tout n'est pas à jeter. Il faut étudier, lire et s'interroger sur les raisons qui président au lancement de ces idées.

Il faut expliquer, enseigner, montrer que le fait d'utiliser le mot « race » n'est pas être raciste, comme je l'ai lu dans plusieurs déclarations d'intellectuels. Il faut faire appel pour cela à des spécialistes qui connaissent la question. Ce qui me frappe beaucoup dans les tribunes qui paraissent actuellement dans Le Monde ou Libération, c'est que d'une façon générale elles sont toutes signées par des Blancs qui pensent en Blancs – alors que précisément nous essayons de dire que l'être humain n'a pas à être jugé sur sa couleur. C'est difficile, car c'est la première chose que l'on voit. Une brillante psychologue antillaise de ma connaissance me disait que la première question qu'on lui posait était : « D'où êtes-vous ? », alors qu'elle voulait qu'on lui demande sa profession.

La couleur ne devrait avoir aucune espèce d'importance. Or elle en a. Il faut lutter contre ce préjugé raciste fondamental ancré dans l'histoire. Mon fils a été adopté lorsqu'il avait trois mois. Il est métis. Je lui disais toujours de ne pas oublier sa carte d'identité lorsqu'il sortait à 17-18 ans. Un jour je lui ai demandé s'il lui arrivait d'être contrôlé. Il m'a répondu très naturellement : « oui, tout le temps ». Il s'agissait d'un fils de la bonne bourgeoisie intellectuelle, il n'y avait aucune raison de le plaquer contre un mur pour lui demander sa carte d'identité – mais il était métis, et jeune. Les citoyens français non-noirs, non-métis, ne le savent pas, ni ne le sentent ni ne le vivent. Aussi faut-il expliquer à tout le monde, pas seulement aux gens de couleur, que lorsqu'on n'est pas tout à fait comme tout le monde, on est néanmoins comme tout le monde.

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