Intervention de Mario Stasi

Réunion du mardi 15 septembre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Mario Stasi, président de la LICRA, avocat au barreau de Paris :

Considérer que la discrimination est l'application pratique du racisme, c'est amalgamer deux termes, et vider le racisme et l'antisémitisme de leur substance. Cette position est aujourd'hui défendue par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) : il faut le savoir. Il y a tout un courant de pensée, à mon avis mortifère pour la République, qui amalgame racisme et discrimination. C'est aussi la logique de la mission sur les violences dites « policières » dans le cadre de laquelle ne sont entendues que des associations de victimes ou des associations communautaristes. Il apparaît clairement que l'on va englober le racisme dans les discriminations.

Sauf que le racisme anti-Blancs existe, mais qu'il n'est pas discriminatoire. Dans l'affaire que j'ai plaidée où un homme s'était fait violemment agresser dans le métro, sous les cris « sale blanc, tu vas crever », le tribunal et la cour ont retenu, à titre de circonstance aggravante, le racisme. Ainsi, judiciairement, le racisme anti-Blancs existe. Mais ce racisme ne provoque aucune discrimination à l'embauche, à l'entrée des boîtes de nuit, ou dans le cadre de l'acquisition d'un bien immobilier. On peut dire qu'il existe un racisme qui n'est pas discriminant. Discriminations et racisme ne sont donc pas totalement identiques.

Je ne suis pas sûr d'avoir compris votre question concernant la police. Existe-t-il du racisme dans la police ? Oui. Est-ce que la police est raciste ? Non. Est-ce qu'un manifestant qui traite un policier noir de traître et de « sale black » est coupable d'un propos raciste ? Oui. On peut donc être policier et victime de racisme. Existe-t-il un racisme systémique, un racisme d'État ? Non, nous ne vivons pas dans l'apartheid. Il n'y a aucune loi, ni aucune institution raciste dans notre République, mais il existe bien sûr des déviances individuelles et, dans la police comme ailleurs, des individus racistes.

Ce n'est pas pour autant qu'il faut renoncer à former. On peut théoriser sur les mots, faire évoluer les concepts, sans produire aucun effet dans le combat contre le racisme, l'antisémitisme, et les discriminations. Je joue moins sur les mots que Michel Tubiana, que j'apprécie, mais dont la culture et la conception de la République ne sont pas les miennes. On ne peut pas rapprocher la situation et la violence policière aux États-Unis de ce qui existe en France. Par ailleurs, il ne faut surtout pas extrapoler à partir d'une affaire judiciaire non résolue l'existence de violences d'État systémiques.

Les victimes de racisme et d'antisémitisme rencontrent cela étant des difficultés avérées à déposer plainte dans les commissariats partout en France, soit parce qu'on les néglige quand elles n'ont pas d'avocat, soit parce que des fautes de procédure sont commises faute d'une formation suffisante. Les délits racistes relèvent de la loi de 1881, avec des règles de procédures très strictes. Il existe de graves insuffisances dans la réception de plaintes de racisme et d'antisémitisme en France.

Nous avons essayé d'intervenir dans le cadre de la formation continue des magistrats. Nous avons trouvé porte close. Nous avons essayé d'intervenir à l'école nationale de la magistrature (ENM). Nous avons également trouvé porte close. Nous avons initié à Paris des réunions avec le Parquet, mais cela n'existe qu'à Paris et un peu à Lyon. Combien de chambres correctionnelles sont formées ? En pratique, Paris, Nanterre et Lyon. Or l'arsenal juridique est tellement compliqué qu'un magistrat non formé va à l'erreur.

L'accueil policier est également insuffisant. La LICRA est en train de formaliser une convention triennale avec le ministère de l'intérieur, comme nous le faisons avec Jean-Michel Blanquer sur les lycées et les collèges, afin de mener des formations dans les écoles de police et de gendarmerie. Il s'agit d'un travail de moyen et long terme, mais au moins, les personnes formées sauront comment recevoir une victime. Le public est tellement habitué, sur les réseaux sociaux, à un langage non tenu, qu'il nous faut rappeler que certains mots sont illicites, et d'autres acceptables. Ceci constitue une question d'éducation, mais nous allons donc aussi rappeler le cadre de la loi.

Il faut également une formation des parquetiers et des magistrats sur les lois relatives au racisme. La réflexion est exactement la même pour la lutte contre les discriminations. Je discutais tout à l'heure avec l'avocate à la commission juridique, Galina Elbaz, spécialiste des discriminations, qui fait face à des défauts de compétence lorsqu'elle se rend devant le conseil de prud'hommes. On peut aussi s'interroger sur le rôle de l'inspecteur du travail. Je disais qu'un bon combat est celui qui n'a pas besoin d'aller jusqu'au procès : un inspecteur du travail peut proposer une médiation, ou faire valoir au chef d'entreprise qu'il existe un « dérapage ». Il peut même utiliser l'article 40 et dénoncer des faits au Parquet, mais il ne le fait presque jamais. Par ailleurs, il faut former les magistrats. Il y a sur ces domaines spécifiques une vraie carence.

La réponse apportée par les magistrats est l'aboutissement de la chaîne, qui commence par l'accueil des victimes par les policiers ou les gendarmes et la rédaction du procès-verbal, et il importe que le délai d'un an soit respecté. Ensuite, le procès-verbal est transmis au procureur, qui va citer devant le tribunal, et soutenir l'accusation, en espérant que la synthèse soit conforme à la plainte, puisqu'elle ne reprend souvent pas exactement ses termes. Les règles sont donc assez précises. Arrive alors l'audience. À l'audience, comme dans le royaume de Michel Tubiana, le mot n'y est qu'un mot. Il a fallu plus de dix condamnations avant que de la prison avec sursis soit requise contre M. Dieudonné M'Bala M'Bala. Ceux que nous attaquons font de l'audience une scène politique, et se font les hérauts de leurs causes. Ils n'attendent que cela ! Les parquetiers sont presque absents. Les trois magistrats, et c'est parfaitement normal, sont tétanisés, et se disent qu'ils vont leur donner la parole pour bien respecter les droits de la défense et être inattaquables. Cela dure des heures, alors qu'un malheureux est jugé en 35 secondes.

Je me souviens d'une audience avec Alain Soral, où nous avions réclamé des dommages et intérêts très importants. Il s'est retourné vers nous et nous a dit : « vous voulez me mettre sur la paille ». Nous avons alors compris qu'au vu de la carence de la réponse pénale, seul l'argent pouvait être un frein à la parole raciste. C'est dire si aujourd'hui, la réponse pénale, dans ce qu'elle a de sanction, d'exemplarité, pour les délits de mots, est insuffisante notamment en raison de ce courant de pensée qui est encore très fort, qui considère qu'il ne s'agit que de mots. On sait pourtant le rôle joué par la radio des mille collines au Rwanda, qui a exhorté à exterminer « les cafards » ce qui a provoqué un million de morts en trois mois. C'est un cas extrême, j'en ai conscience, mais dans lequel seuls les mots ont incité à la haine génocidaire.

Ne négligeons pas le pouvoir des mots. Il faut sortir la loi sur le racisme du droit de la presse. Il faut faire de ces délinquants des délinquants de droit commun.

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