La nature a horreur du vide, et le vide a été comblé par des courants, heureusement encore minoritaires. J'ai bien conscience que ceux-ci ne sont pas la simple expression d'une colère, mais qu'il s'agit d'un courant de pensée politique. Ce n'est pas un hasard si j'ai considéré que le combat que nous menons est un combat politique, car deux blocs s'affrontent. Le premier est ambitieux, c'est le bloc universaliste. Cela peut sembler un cliché, mais l'universalisme, c'est expliquer qu'il ne faut pas être blanc pour défendre les Blancs, noir pour défendre les Noirs, qu'il n'y a pas de races, et que nous sommes tous ensemble.
Par cet exemple, je vous ai montré comment « déringardiser » des concepts. Je suis d'accord que nous avons là un problème. Je vous ai dit tout à l'heure que nous étions « plus convaincants que séduisants ». Encore faut-il aller vers celui qu'on cherche à séduire ou à convaincre ! On peut réfléchir des années à des concepts en cherchant à se rendre moins « ringard », mais si on ne va pas au combat, on ne change rien. Le problème n'est pas que nous ayons baissé les bras, mais que nous ayons laissé la place. Certains me disaient que nous avons une génération de perdue, et qu'il faudra quinze ans avant de pouvoir reformer une génération d'enfants avec des notions républicaines. Il faut donc combler ce vide.
Par ailleurs, il faut de la diversité dès le plus jeune âge, à l'école : c'est-à-dire un enfant handicapé, à côté d'un enfant valide, un enfant noir, à côté d'un enfant blanc. Notre mission a peut-être échoué, mais le Ku Klux Klan n'a pas le droit de défiler à Paris en hurlant « mort aux Noirs ». Notre corpus républicain est ébranlé, mais nous n'en sommes pas à une situation comparable à celle des États-Unis, et heureusement. Je ne sais pas si notre mission a échoué, mais je sais que notre corpus est remis en cause.
Je sais que le travail de reconquête durera de dix à quinze ans. Il n'y a pas plus « ringard » qu'une association antiraciste. Ou nous changeons de logiciel, ou nous continuons à dénoncer et à faire de la morale. Il y a une certaine jouissance à gagner des procès, mais nous n'aurons rien conquis.
Je ne pense pas que nous ayons échoué. Nous sommes au bord du gouffre. Des syndicats, des associations défendent la non-mixité, parlent de « racisés » et interdisent ceux qui ne le sont pas. Cela est contraire à l'esprit républicain. Il faut rétablir un rapport à l'autorité, mais à une autorité équitable pour tous. Il faut recréer un lien vertical, à partir de certaines valeurs, et à partir d'une certaine ambition. C'est peut-être utopique, mais je ne connais pas d'ambition qui ne le soit pas. On ne réussira certainement pas à faire disparaître le racisme et l'antisémitisme, mais on arrivera à les résorber jusqu'à des niveaux acceptables.
Ces courants de pensée sont aujourd'hui minoritaires. Les réseaux sociaux viennent aujourd'hui polluer la jeunesse en instrumentalisant une colère, une frustration ou une discrimination, pour en faire des éléments d'un magma idéologique mortifère. Le jour où nous arriverons à les réguler, un canal aura été coupé. Or si le courant minoritaire ne trouve plus à s'exprimer par les réseaux sociaux, comment fera-t-il ?
Il faut réinvestir la rue, les lycées, les quartiers, les zones périurbaines, et les zones agricoles. Nous avons commencé un travail avec l'ancien ministre de l'agriculture dans les lycées agricoles, et il faut que la République aille de nouveau former ces jeunes, car le racisme, l'intégrisme, et le communautarisme commencent à y porter leurs fruits. On oublie trop souvent ce milieu. Il faut ne pas « laisser la place ». Cela peut paraître ambitieux, mais sans cela, dans quarante ans, les mêmes associations antiracistes feront le même constat, dont nous sommes aussi responsables.