Intervention de Laetitia Chhiv

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Laetitia Chhiv, présidente de l'AJCF :

Tous les faits qui viennent d'être décrits reflètent un même phénomène, la banalisation du racisme anti-Asiatiques. Il est regrettable que ce phénomène soit jusqu'à présent ignoré par une grande partie de l'opinion, bien qu'il soit dénoncé par de nombreux représentants et militants associatifs. Lorsque nous parlons de banalisation du racisme, nous nous référons à un ensemble de préjugés communément admis ou de propos irrespectueux, voire injurieux et haineux, que beaucoup de personnes ne qualifieront cependant pas de racistes.

L'épidémie de la covid 19 en a été une parfaite illustration. Cette crise a ouvert la voie à l'expression de sentiments négatifs, autrefois latents ou non assumés à l'égard des populations d'origine asiatique, et ce notamment dans les lieux publics. Je pense au témoignage d'un jeune étudiant de Strasbourg, d'origine chinoise, invectivé dans un supermarché par une autre cliente qui lui ordonne de ne pas toucher les fruits et légumes du rayon frais sous prétexte qu'il serait porteur du virus. Je pense aussi à ces dizaines de témoignages que nous avons recueillis de personnes asiatiques prises à partie et exclues des transports en commun par d'autres voyageurs, sans parler des cas avérés d'agression physique, comme cette adolescente du Morbihan, frappée et insultée à son retour du lycée.

Il est grand temps de reconnaître et de qualifier cette forme particulière de racisme et de la combattre en amont au moyen d'actions préventives. Nous insistons sur la gravité de ces phénomènes, car leurs conséquences sont terribles. Nous nous rappelons tous de Monsieur Chaolin Zhang, décédé à Aubervilliers en 2016 des suites de son agression. Celle-ci était motivée par le fait que « les Chinois ont de l'argent sur eux ».

Aujourd'hui encore, les vols avec violence et les agressions touchant la communauté asiatique se poursuivent. D'après les acteurs de terrain, au moins une personne d'origine asiatique est agressée tous les deux jours en Île-de-France. Selon la procureure de Seine‑Saint‑Denis, deux à trois vols avec violence sur des personnes asiatiques ont lieu chaque semaine dans le département du 93. Si l'on note une amélioration relative de la situation dans quelques communes, tel n'est pas le cas partout. Pour combattre cette violence, l'éducation, la lutte contre les préjugés et la formation de référents et de médiateurs sociaux sont nécessaires. Des moyens dissuasifs, tels qu'une augmentation de la présence policière et l'installation de caméras de vidéosurveillance, toujours absentes dans des zones très sensibles, le sont également.

Les condamnations pénales ont également une fonction exemplaire, même si dans le cas des agressions évoquées, nous avons observé une certaine prise de conscience de la part des tribunaux. À ce titre, nous saluons les décisions de justice prises dernièrement. Tout d'abord, au tribunal de Créteil, trois individus ont été condamnés en mai dernier pour vol et agression avec ciblage raciste. Début septembre, une condamnation a été prononcée pour des faits semblables survenus en Seine-Saint-Denis, la motivation raciste ayant également été retenue. Nous sommes soulagés de voir que le ciblage ethnique de ce type d'agression, que nous dénonçons depuis des années, est désormais susceptible d'être reconnu par la justice.

La prise de conscience des représentants de l'ordre est tout aussi importante. C'est pourquoi nous jugeons nécessaire de renforcer voire d'entamer la formation et la sensibilisation de l'ensemble des agents de police à ces problématiques, et de systématiser la mise en place de référents sur la lutte contre le racisme. En effet, nous ne comptons plus le nombre de mauvais retours de la part de victimes d'origine asiatique concernant le traitement qu'elles ont reçu lors de leur dépôt de plainte. Nous déplorons également la pauvreté des dispositifs d'aide aux victimes, par exemple le déficit de traduction dans les commissariats. Les outils d'accès au droit, l'aide judiciaire et l'accompagnement psychologique font également défaut. Par conséquent, les représentants associatifs se trouvent le plus souvent devoir exécuter ces tâches, pour lesquelles ils ne sont pas formés et encore moins rémunérés.

Pour conclure, la prise en compte de la réalité du racisme anti-Asiatiques et de ses conséquences parfois tragiques doit se traduire en actes, aussi bien du côté des forces de police que de celui de la justice. En parallèle, nous insistons sur l'urgence qu'il y a à améliorer la qualité et la quantité des moyens préventifs de lutte contre le racisme. L'éducation de la société et la sensibilisation des différentes catégories de la population contribueront à renforcer l'immunité de nos sociétés contre le virus de la haine. Telle a été la préconisation émise le 8 mai dernier par le secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres.

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