La mission d'information organise une table ronde, ouverte à la presse, réunissant :
Mme Antonya Tioulong, vice-présidente du Haut conseil des Asiatiques de France et M. Pascal Liu, membre ;
Mme Laetitia Chhiv, présidente de l'Association des jeunes Chinois de France (AJCF) et M. Daniel Tran, vice-président ;
M. Zhongfei Zhang, président de l'Union des jeunes Chinois en France (UJCF) et de Mme Angelina Cai, déléguée générale.
La séance est ouverte à 11 heures 10.
Soyez les bienvenus à l'audition organisée dans le cadre de la mission sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme, initiée lors de la Conférence des présidents du 3 décembre 2019. Avec la rapporteure Mme Caroline Abadie qui se trouve à mes côtés, nous avons déjà entendu des universitaires, des historiens, des sociologues et des statisticiens. Les travaux menés jusqu'à présent nous ont permis d'approfondir notre réflexion sur les formes de racisme existant dans notre société.
Depuis une semaine, nous recevons des représentants d'associations afin d'établir un état des lieux à partir de témoignages de terrain. Nous avons notamment auditionné SOS racisme, la LICRA, le Club XXIème siècle et la Fédération nationale des maisons des potes, des associations ancrées depuis longtemps sur le territoire et bénéficiant d'un réseau qui leur permet de produire des informations de qualité.
Nous accueillons aujourd'hui l'Union des Jeunes Chinois en France (UJCF), l'Association des jeunes Chinois de France (AJCF), ainsi que le Haut conseil des Asiatiques de France (HCAF). Dans le cadre de notre mission, nous ne visons pas une forme de racisme en particulier, mais nous tentons d'en cerner les diverses manifestations. Or, le racisme anti-Chinois et anti-Asiatiques s'est exacerbé à l'occasion de la crise sanitaire. Avec notre collègue M. Buon Tan, nous souhaitons vous interroger aujourd'hui sur l'état de ce racisme en France.
Depuis la fin du mois de juin, les universitaires que nous avons auditionnés nous ont beaucoup aidés à préciser le champ de notre mission. Nous souhaiterions aujourd'hui que vous dressiez, en tant qu'acteurs associatifs, une vision d'ensemble des racismes que subissent en France les personnes que vous représentez, qu'il s'agisse du racisme primaire fondé sur la croyance en l'existence des races ou de préjugés enracinés dans des représentations issues de notre culture. Une troisième forme de racisme, que nous étudions également, résulte de la discrimination vécue dans différents domaines de la vie quotidienne, à l'école ou au travail notamment.
Je vous remercie de me donner l'opportunité de présenter l'association HCAF, les motifs de sa création et ses missions, dont beaucoup sont liées au sujet que vous traitez.
Le nombre d'Asiatiques établis en France a beaucoup progressé au cours des dernières décennies pour atteindre environ un million de personnes selon les dernières estimations. Ils sont présents dans tous les champs d'activité : les entreprises, les commerces, les sciences ou la culture. Leur intégration dans la société a souvent été citée comme exemple. Afin de consolider cette intégration, il est apparu important de créer une structure susceptible de les aider à obtenir une meilleure représentativité et à faire entendre leur voix. Le HCAF, qui a vu le jour en 2014, est une structure apolitique ayant pour ambition d'être une plateforme réunissant les communautés de tous les pays d'Asie, dont la Chine, l'Inde, le Japon, la Thaïlande, le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Corée du Sud, afin de favoriser et promouvoir leurs contributions dans la société et de travailler sur des préoccupations communes.
Les missions du HCAF sont de fédérer les Asiatiques de France et leurs associations, de faciliter les échanges entre les communautés asiatiques, de promouvoir leur identité et leur image, de préserver la culture et les traditions de chaque pays d'origine tout en favorisant l'apprentissage de la langue française et la connaissance de la culture française. Au niveau associatif, nous souhaitons renforcer la relation culturelle et économique entre la France et l'Asie et soutenir l'émergence de représentants d'origine asiatique dans les instances locales culturelles, économiques et politiques. Dans le cadre de ses missions, le HCAF espère contribuer à la lutte contre les formes d'intolérance et de discrimination existantes.
Depuis sa création, le HCAF a mené des actions dans plusieurs domaines. Tout d'abord, en ce qui concerne l'histoire de la mémoire, il a participé à des cérémonies commémoratives officielles, notamment à l'Arc de triomphe, pour saluer la mémoire des Chinois et Indochinois qui furent présents aux côtés de l'armée française lors des deux guerres mondiales. Le HCAF a également initié avec le soutien de l'Hôtel de Ville et de la mairie du 13ème arrondissement l'édification d'un parc public et d'une stèle dédiée aux victimes du régime des Khmers rouges. Paris est la première capitale occidentale à accueillir un tel mémorial. Le HCAF a également aidé à l'obtention de subventions pour les avocats français qui œuvrent bénévolement pour représenter des parties civiles au procès des Khmers rouges qui se tient encore actuellement à Phnom Penh.
Dans le domaine économique, le HCAF a organisé en 2016 un dîner-débat entre des entrepreneurs et commerçants asiatiques et Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie. Dans le domaine culturel, le HCAF a contribué au lancement d'une revue bimestrielle centrée sur l'Asie qui s'appelle Koï et dont le dix-huitième numéro vient de paraître. Cela montre qu'elle a trouvé un public. De plus, des spectacles de danse et de musique gratuits sont organisés lors du nouvel an asiatique à la mairie du 13ème et à l'Hôtel de Ville. Ils mettent en valeur la diversité des expressions artistiques de pays différents. Nous projetons aussi la création d'un salon du livre consacré à l'Asie. Ces échanges culturels nous semblent importants, car ils constituent un moyen privilégié de combattre efficacement et durablement le rejet ou la méfiance qui pourraient être ressentis face à l'étranger.
La perception que j'ai du racisme est sans doute restrictive, car jusqu'ici, le HCAF n'a pas rencontré de problème de racisme dans ses activités. Sur le plan politique, le terme de « Khmer vert », utilisé récemment à mauvais escient, nous a heurtés. Sur un plan plus personnel, après bientôt 50 ans de vie passée en France, ni moi ni ma famille n'avons subi de paroles ou de gestes racistes graves. Bien sûr, nous avons entendu des insultes comme « sale Chinoise », « sale jaune » ou « indigène », ceux qui les proféraient ignorant que les indigènes désignent les populations locales, en l'occurrence les Français. Néanmoins, ces insultes relèvent plutôt de comportements individuels isolés.
Nous n'avons pas non plus été victimes de discriminations, à une exception près. Au début des années 1980, l'une de mes sœurs, à peine diplômée de Sciences Po Paris, avait entendu lors de son embauche dans une grande banque qu'étant une étrangère et une femme, son salaire était diminué de 20 % par rapport à celui de ses collègues. Je ne pense pas que ce type d'aberration pourrait encore se rencontrer aujourd'hui.
Je crois qu'il convient de distinguer le racisme anti-asiatique avant et après la covid. Avant la covid, le racisme était principalement fondé sur des préjugés. Les Asiatiques ou les Chinois – l'amalgame étant fréquemment effectué entre les deux – sont travailleurs, ont de l'argent et sont discrets. Ces préjugés, s'ils semblent presque positifs, entraînent néanmoins des conséquences graves qui ont provoqué des agressions parfois mortelles. Le racisme se combat par l'ouverture, le partage de culture et les échanges, mais une population qui se fait régulièrement agresser a plutôt tendance à vouloir se renfermer. Les communautés agressées tendent à s'isoler dans des bulles et elles dialoguent de moins en moins avec l'extérieur, ce qui crée un cercle vicieux.
L'après-covid a donné lieu à un racisme beaucoup plus violent et direct, que j'illustrerai sur trois plans : à titre personnel, à titre professionnel et dans une perspective politique. Sur le plan personnel : il y a quelques semaines, alors que je revendais un objet d'occasion, une personne qui passait dit à mon interlocuteur : « attention, lui, il a la covid ». À titre professionnel, j'ai reçu des témoignages d'amis travaillant dans la restauration, un domaine qui a été frappé successivement par les gilets jaunes, par les grèves et par la covid, et qui a subi un grand nombre d'annulations à cause de l'épidémie. Petit à petit et sous l'effet d'une certaine communication, les personnes ont fini par identifier la covid à l'Asie. Le troisième facteur de développement du racisme anti-asiatique, plus politique, est lié à ce qui se passe entre les États-Unis et la Chine, et à la position adoptée par la France et l'Europe. Les propos de Donald Trump qui n'a cessé de parler du « virus chinois », ont fini par faire écho. Si l'on voit un Asiatique dans la rue, on a tendance à l'associer au virus. Le phénomène a entraîné une hausse significative des agressions envers les Asiatiques aux États-Unis et au Canada. Ces communications suscitent également un climat de méfiance et d'agressivité envers la communauté asiatique en France.
Avec Mme Laetitia Chhiv, présidente de l'AJCF, nous tenterons de vous présenter un bref état des lieux du racisme dans les différents domaines où intervient l'association. Sur internet tout d'abord, les insultes, la haine et le racisme en ligne ne datent pas d'hier. On les trouvait auparavant sur certains sites ou sur des blogs. Ils ont récemment évolué sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram et Tiktok entre autres. On observe une augmentation du racisme anti-Asiatiques surtout liée à l'actualité.
Au début de la covid, nous avons assisté à un déferlement de haine. Par exemple, la page Facebook « les petits mandarins », une école en ligne qui propose des cours de chinois, a fait l'objet du commentaire suivant : « Les Chinois, avec la merde qu'ils ont foutue dans le monde, non merci ». D'une part, pour assurer une modération efficace, il faut avoir du temps, de la motivation et les compétences appropriées. D'autre part, le processus de signalement, que peu de victimes décident d'appliquer, s'avère le plus souvent inefficace. Nous avons signalé plusieurs commentaires haineux à Facebook et à Pharos, mais ils sont restés sans suite.
Concernant le divertissement et l'audiovisuel, dans lequel j'inclus la télévision, la radio, Youtube et les spectacles, un sketch de Gad Elmaleh et Kev Adams diffusé en 2016 sur M6 a blessé de nombreuses personnes d'origine asiatique. Elles se sont senties ridiculisées par l'accent, les clichés et les costumes portés par les humoristes. Les plaintes et les signalements adressés au CSA ont été classés sans suite. Deux ans après, le même sketch a été diffusé sur la même chaîne. En 2019, suite à une séquence jugée raciste envers les Asiatiques dans l'émission Un dîner presque parfait, le CSA a rappelé à l'ordre le groupe M6. Peut-être ont-ils enfin compris.
Dans le domaine de la musique, un rappeur a sorti en mai 2017 une chanson intitulée « Ching Chang Chong ». Elle a été diffusée sur Youtube, puis à la télévision et à la radio ; sur Youtube, la chanson a obtenu plus de 600 millions de vues. Je vous en cite les deux premières phrases : « Ching chang chong, elle parle en thaïlandais. Elle va te ching chang chong ». Intervenant régulièrement dans les écoles, je puis vous affirmer que cette chanson a eu des conséquences désastreuses pour tous les enfants d'origine asiatique, qui ont subi énormément de moqueries de la part d'autres élèves.
S'agissant de la presse, en 2012, Le Point titrait un article : « l'intrigante réussite des Chinois en France ». À la fin du texte, on trouvait les cinq commandements de l'entrepreneur chinois : « tu travailleras 80 heures par semaine, tu dormiras dans ta boutique ou dans ton restaurant, tu ne rémunéreras pas tes employés, car ce sont des membres de ta famille, tu ne cotiseras pas, tu ne paieras pas d'impôts. Et à la fin, tu gagneras 10 000 euros par mois, tu auras une limousine et tu seras assuré d'avoir une retraite dorée ». L'AJCF a porté plainte dès 2012 avec l'aide de SOS Racisme. La justice a condamné Le Point en 2014 à 1 500 euros d'amende pour diffamation. Plus récemment, au début de la crise de la covid 19, le Courrier picard a titré « Coronavirus chinois, alerte jaune », faisant référence au « péril jaune ». Enfin, en avril, pendant la diffusion sur BFM TV de l'hommage rendu aux victimes du coronavirus en Chine, l'éditorialiste Emmanuel Lechypre s'est permis de chuchoter, pensant que son micro était fermé : « Ils enterrent des pokémons ». Cela se passe de commentaire.
Le quatrième domaine est l'éducation au sens large. Dans les classes maternelles, une comptine intitulée Chang le petit chinois comporte les paroles suivantes : « Chang est assis, ses yeux sont petits, riquiquis… T'as mal dans tes tongs, ta tête fait ping-pong. » Au collège et au lycée, peu d'actions de sensibilisation au racisme sont menées. En France, depuis les attentats de 2015, une semaine d'éducation et d'action est organisée contre le racisme et l'antisémitisme au mois de mars. Elle inclut également la journée internationale de l'ONU pour l'élimination de la discrimination raciale, le 21 mars. Malgré cela, de nombreux établissements ne connaissent pas ces dates ou bien s'ils les connaissent, ils n'en tiennent pas compte. Bien souvent, la direction, le conseiller principal d'éducation, le corps enseignant et les assistants sont eux-mêmes assez peu sensibilisés aux enjeux du racisme. Il serait souhaitable de rendre cette sensibilisation obligatoire dans tous les établissements, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants et les intendants.
Enfin, s'agissant des études supérieures, même dans les écoles les plus prestigieuses, comme HEC, nous avons enregistré en 2018 un cas de racisme. Une étudiante chinoise qui avait perdu ses airpods l'a annoncé sur un forum interne. Un autre étudiant lui a répondu « Salut Ching chong, je ne sais pas où sont tes airpods, par contre j'ai les miens ». Nous saluons la décision du président de HEC qui, très sensible à la lutte contre le racisme, a pris les mesures nécessaires contre ce type de comportement.
Tous les faits qui viennent d'être décrits reflètent un même phénomène, la banalisation du racisme anti-Asiatiques. Il est regrettable que ce phénomène soit jusqu'à présent ignoré par une grande partie de l'opinion, bien qu'il soit dénoncé par de nombreux représentants et militants associatifs. Lorsque nous parlons de banalisation du racisme, nous nous référons à un ensemble de préjugés communément admis ou de propos irrespectueux, voire injurieux et haineux, que beaucoup de personnes ne qualifieront cependant pas de racistes.
L'épidémie de la covid 19 en a été une parfaite illustration. Cette crise a ouvert la voie à l'expression de sentiments négatifs, autrefois latents ou non assumés à l'égard des populations d'origine asiatique, et ce notamment dans les lieux publics. Je pense au témoignage d'un jeune étudiant de Strasbourg, d'origine chinoise, invectivé dans un supermarché par une autre cliente qui lui ordonne de ne pas toucher les fruits et légumes du rayon frais sous prétexte qu'il serait porteur du virus. Je pense aussi à ces dizaines de témoignages que nous avons recueillis de personnes asiatiques prises à partie et exclues des transports en commun par d'autres voyageurs, sans parler des cas avérés d'agression physique, comme cette adolescente du Morbihan, frappée et insultée à son retour du lycée.
Il est grand temps de reconnaître et de qualifier cette forme particulière de racisme et de la combattre en amont au moyen d'actions préventives. Nous insistons sur la gravité de ces phénomènes, car leurs conséquences sont terribles. Nous nous rappelons tous de Monsieur Chaolin Zhang, décédé à Aubervilliers en 2016 des suites de son agression. Celle-ci était motivée par le fait que « les Chinois ont de l'argent sur eux ».
Aujourd'hui encore, les vols avec violence et les agressions touchant la communauté asiatique se poursuivent. D'après les acteurs de terrain, au moins une personne d'origine asiatique est agressée tous les deux jours en Île-de-France. Selon la procureure de Seine‑Saint‑Denis, deux à trois vols avec violence sur des personnes asiatiques ont lieu chaque semaine dans le département du 93. Si l'on note une amélioration relative de la situation dans quelques communes, tel n'est pas le cas partout. Pour combattre cette violence, l'éducation, la lutte contre les préjugés et la formation de référents et de médiateurs sociaux sont nécessaires. Des moyens dissuasifs, tels qu'une augmentation de la présence policière et l'installation de caméras de vidéosurveillance, toujours absentes dans des zones très sensibles, le sont également.
Les condamnations pénales ont également une fonction exemplaire, même si dans le cas des agressions évoquées, nous avons observé une certaine prise de conscience de la part des tribunaux. À ce titre, nous saluons les décisions de justice prises dernièrement. Tout d'abord, au tribunal de Créteil, trois individus ont été condamnés en mai dernier pour vol et agression avec ciblage raciste. Début septembre, une condamnation a été prononcée pour des faits semblables survenus en Seine-Saint-Denis, la motivation raciste ayant également été retenue. Nous sommes soulagés de voir que le ciblage ethnique de ce type d'agression, que nous dénonçons depuis des années, est désormais susceptible d'être reconnu par la justice.
La prise de conscience des représentants de l'ordre est tout aussi importante. C'est pourquoi nous jugeons nécessaire de renforcer voire d'entamer la formation et la sensibilisation de l'ensemble des agents de police à ces problématiques, et de systématiser la mise en place de référents sur la lutte contre le racisme. En effet, nous ne comptons plus le nombre de mauvais retours de la part de victimes d'origine asiatique concernant le traitement qu'elles ont reçu lors de leur dépôt de plainte. Nous déplorons également la pauvreté des dispositifs d'aide aux victimes, par exemple le déficit de traduction dans les commissariats. Les outils d'accès au droit, l'aide judiciaire et l'accompagnement psychologique font également défaut. Par conséquent, les représentants associatifs se trouvent le plus souvent devoir exécuter ces tâches, pour lesquelles ils ne sont pas formés et encore moins rémunérés.
Pour conclure, la prise en compte de la réalité du racisme anti-Asiatiques et de ses conséquences parfois tragiques doit se traduire en actes, aussi bien du côté des forces de police que de celui de la justice. En parallèle, nous insistons sur l'urgence qu'il y a à améliorer la qualité et la quantité des moyens préventifs de lutte contre le racisme. L'éducation de la société et la sensibilisation des différentes catégories de la population contribueront à renforcer l'immunité de nos sociétés contre le virus de la haine. Telle a été la préconisation émise le 8 mai dernier par le secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres.
Mesdames et messieurs, je ne saurais vous remercier assez pour cette opportunité de s'exprimer donnée à des militants associatifs français d'origine chinoise.
Je suis bénévole à l'association interculturelle franco-chinoise depuis 1995 et en suis devenue présidente. Vivant en France depuis les années 1980 et naturalisée française, à ma demande, il y a vingt ans, je présente le parcours d'un immigré « classique ». Pour l'UJCF, combattre le racisme est une forme d'intégration dans la société française. Cet engagement permet notamment de défendre les valeurs de la France, c'est-à-dire la liberté, l'égalité et la fraternité. En l'an 2010, suite à mon appel dans les réseaux sociaux, environ 50 000 personnes sont descendues dans la rue, brandissant les slogans « sécurité pour tous », « stop violence » et « non au racisme ». Je suis également coordinatrice des associations professionnelles et culturelles chinoises en Ile-de-France. Enfin, je suis référente pour les questions de sécurité auprès du préfet de Seine-Saint-Denis.
Je définirais le racisme comme la peur de la différence renforcée par l'ignorance. Le racisme est aussi un trait de caractère facilité par les difficultés économiques, sociales, environnementales et désormais sanitaires. Pour les personnes que je représente, le racisme se manifeste de manière visible et de manière invisible. Les formes visibles sont les insultes. Nous nous faisons traiter de « chinetoques », etc., non seulement dans la sphère privée, mais aussi dans la sphère publique. La presse nous accuse et nous stigmatise parfois comme responsables de la covid. Toutes les semaines, voire tous les jours, les associations font état d'agressions plus ou moins graves. J'ai été moi-même agressée et suivie jusque chez moi récemment. Ces violences ont pour conséquence première le repli communautaire, qui permet de ne pas se sentir isolé. Le sentiment d'impunité grandit, et avec lui la colère des personnes d'origine chinoise. Très peu d'élus abordent cette question et, si elle n'est pas traitée avec intelligence, le risque est d'en venir à faire justice soi-même par désespoir.
Les formes invisibles du racisme sont principalement le manque d'opportunités sociales et professionnelles et le manque de diversité citoyenne. Elles enferment les Français d'origine asiatique dans le mutisme et l'autocensure qui viennent nourrir leur colère.
Nous savons qu'il n'existe pas de recette magique pour supprimer la peur de l'autre. Notre première proposition serait la mise en place de caméras de vidéosurveillance et d'éclairages supplémentaires, afin de créer un environnement sécurisé. Le personnel de police devrait être mieux formé. Si les victimes d'actes racistes viennent rarement déclarer une agression, c'est par manque d'information, par peur ou en raison du sentiment d'être abandonnées des institutions.
Deuxièmement, dans les écoles primaires et secondaires, il conviendrait d'expliquer clairement que les personnes d'origine chinoise n'ont aucun lien avec la création de la covid. Mon fils doit aujourd'hui faire profil bas sur ce sujet à cause des informations véhiculées dans les médias.
Troisièmement, il serait souhaitable de renforcer le dialogue avec la Chine et les signes d'amitiés de la France envers la Chine.
Quatrièmement, il est important de ne pas américaniser la problématique du racisme, car la France n'est pas les États-Unis.
À moyen terme, il faudrait réviser la politique du logement pour développer une mixité sociale et urbaine. Il serait également souhaitable de promouvoir la formation des encadrants en charge de la sécurité et de l'éducation à la pratique de l'inter-culturalisme, afin de construire des relations respectueuses avec l'autre et de mieux comprendre les différences culturelles, au-delà des clichés. Enfin, il faudrait redonner un sens entier à nos valeurs constitutionnelles : liberté, égalité, fraternité.
Votre message concernant le besoin de sécurité a bien été entendu. Par ailleurs, un de nos objectifs est d'améliorer la prise en charge des plaintes et des suites données par la justice.
En ce qui concerne l'emploi, vous avez évoqué brièvement la question salariale et les « décotes » appliquées aux étrangers. Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce point ? Un autre danger serait l'enfermement dans certains métiers liés aux préjugés mentionnés, typiquement dans les métiers à forte composante mathématique. Comment rompre ce cercle vicieux des représentations ?
Merci à tous pour cet état des lieux du racisme anti-Asiatiques. Je souhaite revenir à l'idée selon laquelle le racisme anti-Asiatiques n'existerait pas. Nous pouvons nous étonner vivement que des faits et gestes qui ne sont pas perçus comme racistes envers les Asiatiques les seraient sans aucun doute envers les juifs ou envers les Noirs. Une prise de conscience est par conséquent nécessaire sur ce point.
J'ai rencontré un certain nombre de préfets en Île-de-France. Si certains reconnaissent la réalité d'un racisme anti-asiatique, d'autres estiment qu'il n'existe pas. Par habitude et résignation, un grand nombre de victimes ne dépose pas de plainte. Lors de l'audition précédente, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a évoqué l'antisémitisme, le racisme envers les Noirs et envers les Roms, mais elle n'a pas mentionné le racisme anti-Asiatiques d'emblée.
Comment percevez-vous les évolutions récentes de la prise de conscience d'un racisme anti-asiatique ? La situation s'est-elle améliorée à Aubervilliers ? La sensibilisation progresse-t-elle dans les écoles ?
Peut-être faudrait-il distinguer dans notre réflexion les agressions commises à l'encontre des Chinois pour des raisons économiques, des comportements racistes pour ainsi dire « classiques ». Pour beaucoup, l'image du Chinois riche qui transporte de l'argent peut motiver certaines agressions de vol. Cette image prévaut parfois sur l'image du Chinois que l'on redoute parce qu'il est étranger.
S'agissant de la personne décédée en 2016, les jeunes qui étaient coupables ont dit qu'ils l'avaient ciblée parce qu'elle était chinoise et qu'elle devait par conséquent avoir de l'argent sur elle. La qualification de racisme n'a d'abord pas été retenue. À l'inverse, dans du cas d'Ilan Halimi, qui s'était fait agresser parce qu'il était juif et devait avoir de l'argent, le processus de ciblage était du même type ; or, le traitement s'est révélé différent. Le racisme envers les Asiatiques n'est pas pleinement pris en compte.
En réponse à M. Buono Tan, je tiens à préciser que le rapport publié par la CNCDH fait explicitement référence au racisme anti-Asiatiques. Néanmoins, le ressenti que vous exprimez est sans doute largement partagé. Nous devons mieux sensibiliser à l'existence du racisme anti-asiatique, sans toutefois entrer dans une sorte de « concurrence des racismes » et sans renoncer à notre approche universaliste.
Une approche européenne du racisme anti-Asiatiques serait-elle envisageable ? La situation en France est-elle comparable à celle de pays limitrophes comme l'Allemagne ? Le racisme anti-Asiatiques est-il plus endémique en France et si oui, quelles en seraient les raisons ?
Les Chinois sont également touchés par les comportements racistes que nous avons évoqués en Italie. Le sentiment d'impunité y est, comme en France, largement répandu. De manière générale, les Chinois de « première génération », qui doivent apprendre la langue du pays dans lequel ils arrivent, se heurtent à un certain nombre de difficultés liées à la vie quotidienne. Les Chinois de deuxième génération se sentent français, mais ils ne se sentent pas toujours chez eux.
La Grande-Bretagne ne donne-t-elle pas un exemple de vivre-ensemble réussi, si l'on observe la diversité des origines dans les grandes villes avec un petit nombre de problèmes recensés ? De même, à l'école, la Grande-Bretagne donne l'impression d'un cosmopolitisme plus réussi, du moins dans les grandes villes. En outre, en Angleterre, les réactions racistes qui ont suivi le déclenchement de l'épidémie n'ont pas tant visé les populations asiatiques que les populations d'Europe de l'Est, accusées de « voler » le travail des Britanniques.
Nous ne connaissons pas avec précision le nombre de personnes d'origine asiatique en France, en Allemagne, en Italie ou en Espagne.
L'immigration chinoise en Italie est plus récente que l'immigration chinoise en France, qui a débuté dès les années 1970-1980. Par ailleurs, historiquement, la France est très appréciée par la Chine pour sa culture et son rayonnement : c'est cela qui explique l'importance de la vague d'immigration de Chinois en France. Dans les années 1980-1990, la France est devenue une grande plateforme d'importations de produits chinois à destination de toute l'Europe. Puis d'autres pays, dont l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne, ont constitué leurs propres centres d'import, ce qui a eu pour effet de disperser un peu la population immigrée d'origine chinoise. Quoi qu'il en soit, sur le plan historique, il y a une spécificité de l'immigration chinoise en France par rapport aux autres pays européens.
S'agissant de l'approche européenne, à ma connaissance, aucune mesure préventive contre le racisme anti-asiatique n'a été mise en place dans le contexte de la covid 19. Vu de l'étranger, le racisme anti-Asiatiques lié à la pandémie de la covid a été particulièrement vif en France. Un journal allemand, la Zuddeutsche Zeitung, écrivait ainsi : « Si la France est le premier pays d'Europe où des cas de coronavirus ont été détectés, c'est également le pays où une hystérie anti-Asiatiques à caractère raciste est apparue en premier ». Peut-être les journalistes exagèrent-ils un peu, mais ils soulignent en tout cas la réalité d'un phénomène. Une Parisienne de 17 ans d'origine asiatique a témoigné auprès de la BBC de tous les traitements hostiles qu'elle avait subis, notamment dans les transports publics. Dans notre association, nous avons reçu dès l'apparition de l'épidémie en Chine des dizaines de témoignages d'actes discriminatoires, voire injurieux et haineux. Il n'est certes pas question de mettre les racismes en concurrence, mais il est important de rappeler que le phénomène est apparu très précocement en France.
À Paris, les premiers effets économiques de la pandémie se sont fait sentir dans le quartier asiatique. Les commerçants chinois ont subi la désertion des clients bien avant que nous ayons pris conscience de la gravité d'épidémie. Je crois aussi qu'il faut éviter d'instituer une concurrence entre les racismes et je travaille dans cet esprit en tant que député membre de cette commission. Cependant, je suis malheureusement amené à intervenir plus souvent sur le racisme anti-Asiatiques, car peu de collègues y sont sensibilisés.
S'agissant du racisme anti-Asiatiques en Europe, la grande vague d'immigration asiatique en France date des années 1970-80. Elle se produit après la guerre du Vietnam en 1975, mais aussi après le massacre perpétré par les Khmers rouges au Cambodge de 1975 à 1979. Durant cette période, la France a accueilli des centaines de milliers de réfugiés asiatiques, dont la moitié environ était Chinoise. On estime que la France compte aujourd'hui 600 000 Chinois et un million d'Asiatiques. L'Angleterre en compte environ 400 000 tandis que l'Italie et l'Espagne doivent en compter entre 200 000 et 300 000. L'Italie et l'Espagne ont surtout accueilli des Chinois à partir de 1979 et jusque dans les années 1990.
En France, les enfants des Chinois arrivés massivement dans les années 1970-1980 ont à peu près notre âge aujourd'hui. Ils parlent le français et connaissent bien le système. Les priorités de leurs parents étaient différentes. Venant d'un pays en crise, ils devaient d'abord s'intégrer sur le plan économique, c'est-à-dire trouver et garder un emploi afin de pouvoir se loger et d'élever leurs enfants. La même tendance se retrouvera en Italie et en Espagne dans quelques années. Un reportage a été tourné récemment en Italie sur les Chinois de Prato, une ville où l'activité de textile est très développée. Ils rencontrent exactement les mêmes problèmes qu'en France.
En ce qui concerne le dépôt de plaintes par les personnes victimes d'actes racistes, l'enjeu de la langue est essentiel. Les procédures judiciaires sont très longues. Enfin, quand les accusés sont condamnés, les peines ne sont pas forcément à la hauteur de l'acte commis, mais les dernières décisions de justice que nous avons évoquées peuvent donner bon espoir pour la suite. Quoi qu'il en soit, les associations ici présentes continueront à sensibiliser nos aînés à la nécessité de porter plainte.
S'agissant de l'emploi, le sociologue Yong Li a mené une étude sur la difficulté d'insertion des jeunes diplômés chinois arrivant en France. Alors qu'ils ont réussi leurs études supérieures, ils ont beaucoup de mal à trouver un emploi et sont souvent moins bien payés. Certains sont même exploités, notamment à cause du stéréotype de l'exécutant docile, leurs heures supplémentaires ne sont pas payées. La limite de l'étude de Yong Li est qu'elle n'a pu isoler les comportements racistes d'autres facteurs pouvant expliquer ce mal-être, comme la barrière de la langue.
Le mythe de la minorité modèle comprend aussi la brillante réussite scolaire des Asiatiques. Or, si les meilleurs élèves sont d'origine asiatique, pourquoi ne les retrouve-t-on pas dans les postes à plus haute responsabilité, que ce soit dans l'entreprise ou dans la sphère politique ? Yong Li formule l'hypothèse qu'il existerait aussi un plafond de verre pour les personnes d'origine asiatique, une fois encore associé aux stéréotypes. On n'attend pas d'un dirigeant qu'il soit obéissant et exécute, mais qu'il prenne des décisions. Les stéréotypes associés à l'origine asiatique ne facilitent pas l'accès aux postes de direction.
Enfin, pour rompre le cercle vicieux, il faut commencer par le dénoncer avec suffisamment de force pour qu'il soit repris par la presse. Cela favorisera une prise de conscience générale et des actions pourront être conduites dans plusieurs institutions. Le travail de sensibilisation devrait être mené directement dans les écoles. Certains influenceurs comme « décolonisons-nous », « sororasie » et « stop asiaphobie », ou encore des youtubeurs comme « le rire jaune », ont produit des vidéos qui ont sensibilisé des millions de personnes au racisme anti-Asiatiques. La prise de conscience progresse.
Merci beaucoup pour vos interventions. Nous vous souhaitons une bonne continuation dans l'ensemble de vos missions et dans vos parcours personnels.
La séance est levée à 12 heures 20.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter
Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11 h 10
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Robin Reda, M. Buon Tan
Excusé. - M. Bertrand Bouyx