J'ai marqué un temps d'arrêt tout à l'heure, madame la rapporteure, lorsque vous avez mentionné l'universalisme, parce que j'ai cru, dans un moment de déraison, que vous nous pensiez en marge de cet universalisme. Or toute notre démarche consiste à nous y inscrire, au contraire : Blancs ou Noirs, peu importe, nous sommes tous des citoyens de la République et nous avons la même revendication d'égalité.
Dans le dossier du chlordécone, la justice montre un double visage : très lente et très protectrice de certains intérêts, très rapide et dure quand on s'oppose à ces intérêts. Un exemple : à l'automne dernier, des jeunes ayant pris conscience de l'affaire ont manifesté leur révolte en bloquant les centres commerciaux appartenant notamment à une grande famille martiniquaise très puissante, héritière de la tradition colonialiste : la famille Hayot. La réponse de l'État n'a pas consisté à tenter de calmer le jeu ou de nouer le dialogue, mais à réprimer de manière offensive, sans aucune explication. Dans le même temps, une plainte au pénal est à l'instruction depuis quatorze ans et, pendant des années, le parquet, sur instruction des ministres de la justice successifs, a tout fait pour que la démarche des associations soit déclarée irrecevable et que l'enquête ne commence pas. Ce traitement différencié, comme d'autres, reflète le racisme institutionnel, que l'on retrouve également dans une pratique objective, évocatrice du débat parlementaire à venir sur le séparatisme : la manière dont, notamment aux Antilles, certains vivent séparément des autres habitants, dans leurs propres domaines, leurs propres écoles, sans vouloir se mélanger.
Il y a tout un travail à faire pour lutter contre ce genre de pratiques, reflet d'une histoire qui ne passe pas. Si l'on en est arrivé à la situation qui a été décrite concernant le chlordécone, c'est aussi parce qu'on a laissé se perpétuer de vastes domaines agricoles non remaniés ni réattribués, de sorte que les anciens colons ont joui d'une position de domination économique devenue politique. La grande astuce, pour « tenir » l'État métropolitain, consistait à dire : « Si vous ne nous donnez pas de chlordécone, nous allons avoir des problèmes dans les bananeraies, donc un problème social, donc un problème politique. » On aurait pu choisir une autre politique agricole, qui aurait permis aux habitants des îles de retrouver l'autonomie alimentaire à laquelle ils aspirent et que défendent les associations VIVRE et Lyannaj pou depolye Martinik. Il faudrait remettre en avant les productions et les savoir-faire locaux et montrer que l'on peut très bien se passer des produits d'importation qui viennent à 80 % de la métropole.
Le dossier du chlordécone est révélateur d'une situation économique, politique et historique qui perdure ; c'est aussi pour cela que M. Vedeux a voulu le mettre en avant, et c'est ce qui mobilise les associations précitées.
Je me permettrai enfin une observation personnelle. Vous vous apprêtez à tenir un débat sur les néonicotinoïdes ; ne refaites pas la même erreur que vos prédécesseurs à propos du chlordécone ! On savait que le chlordécone était dangereux pour la santé et pour l'environnement : cela a été dit en 1968, démontré en 1976, constaté par l'Organisation mondiale de la santé en 1979 ; pourtant, rien n'a été fait. Aujourd'hui, nous disposons de nombreuses preuves du fait que les néonicotinoïdes sont dangereux pour l'environnement et pour la santé humaine, mais vous êtes en passe, pour satisfaire les intérêts économiques du moment, de valider à nouveau l'utilisation de ce produit.