Nous avons introduit devant le tribunal administratif de Paris une demande en indemnisation du préjudice moral. Cette action collective réunissant plus de 2 000 personnes a permis, aux Antilles et en France, une prise de conscience. Il ne s'agit pas d'enrichir les demandeurs, mais de faire reconnaître, par une justice que nous espérons indépendante, la responsabilité de l'État sur le long terme.
Nous pourrions vous donner le détail des différents textes, des dérogations, des aménagements, des pièges procéduraux qui ont été mis en place pour permettre la perpétuation de ce que j'ai appelé, dans une autre instance, un « crime colonial », puisqu'il a profité aux héritiers des colons, au détriment des descendants des esclaves.
Cette action est-elle le faux-nez ou le masque d'une demande de réparations au titre de l'esclavage ? Je ne le crois pas. Mais si vous voulez explorer cette question fondamentale, sans doute faut-il vous demander pourquoi l'article 5 de la proposition de loi de Christiane Taubira, relatif à l'examen des réparations dues au titre de ce crime contre l'humanité, a été supprimé.
Je pense pour ma part que les réparations doivent être collectives. Il est désormais impossible de rechercher des responsabilités individuelles. Dans le cas du chlordécone, on voit bien que le temps accordé par l'institution judiciaire sert surtout à protéger et à laisser vivre tranquillement les responsables. M. Jacques Chirac et M. Yves Hayot, pour les nommer, sont décédés, et personne ne pourra aller les chercher pour les actes qu'ils ont commis à partir de 1972.
Pour ce qui est des mesures, les associations antillaises auraient aimé qu'au-delà des déclarations parfois pompeuses de certains politiques, les réseaux d'eau et les hôpitaux fassent l'objet d'actions concrètes. Tous les bassins versants, qui servent à alimenter les réseaux d'eau, sont contaminés. Les travaux nécessaires de transformation, d'aménagement et de réparation des réseaux de transport des eaux représentent des centaines de millions d'euros, mais pour des tas de mauvaises raisons, rien n'est fait. On continue de consommer du chlordécone lorsque l'on boit l'eau du robinet ! Quant au CHU de Guadeloupe, il se trouve dans une situation extrêmement critique, encore aggravée par la crise sanitaire. Il ne s'agit pas ici de réparer, mais de préparer l'avenir. Toute la question, et votre mission ou une autre pourrait utilement se pencher sur elle, est de savoir pourquoi cela ne se fait pas.
Le dossier du chlordécone, par sa transversalité, met en évidence les contradictions de l'État : ses représentants font des déclarations la main sur le cœur, mais lorsqu'il s'agit de la mettre au porte-monnaie, la volonté disparaît.