Intervention de Malcom Ferdinand

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Malcom Ferdinand, chargé de recherche au CNRS, membre du collège d'experts du CRAN :

Permettez-moi de revenir sur la notion de racisme environnemental, qui ne concerne pas seulement les Antilles mais aussi l'Hexagone. Des travaux très intéressants montrent que les personnes pauvres et racisées sont exposées de manière disproportionnée à des polluants environnementaux, qu'il s'agisse des habitants de certains quartiers populaires, aux abords des autoroutes, ou des gens du voyage, installés à proximité des décharges. Cette notion est bien documentée en Angleterre, en Afrique du Sud et aux États-Unis.

Vous avez expliqué, monsieur le président, que vous n'étiez responsable que du présent. Ne pensez-vous pas qu'un État de droit comme le nôtre a failli de façon flagrante dans la réponse judiciaire qu'il a apportée au scandale du chlordécone ? Comment expliquer qu'il n'ait fallu que trois ans aux États-Unis – l'un des plus mauvais élèves en matière de politique environnementale – pour traiter judiciairement le cas du chlordécone en condamnant Allied Chemicals ?

Certes, la condamnation judiciaire ne suffit pas, il faut encore pouvoir imaginer une autre manière de vivre ensemble et rendre effectif le droit de vivre dans un environnement sain. Il faut imaginer que le chlordécone est devenu le quotidien d'une majorité d'Antillais, bouleversant le rapport à la nourriture et à la procréation : cette patate douce est-elle contaminée ? Mon corps va-t-il transmettre les substances toxiques à mon fœtus ? Ce sont des questions qui se posent chaque jour.

Des mesures ont été prises, mais même si elles sont les bienvenues, elles ne suffisent pas à cette reconnaissance. Le Président de la République et le ministre des outre-mer ont fait des déclarations importantes, mais que vaudront-elles demain ? Les hommes passent, seules les décisions de justice demeurent.

Or, aucune décision n'a été prononcée en quarante-huit ans, que ce soit contre une entreprise, une personne physique ou un élu ! C'est une atteinte à la dignité de la population. Celle-ci comprend mal qu'il y ait deux poids, deux mesures. Je citerais le cas des militants qui ont été frappés en juillet lors de leur arrestation, à Fort-de-France – l'un d'eux à plus de cent reprises – par des forces de l'ordre qui s'en sont pris aussi au symbole culturel du tambour martiniquais et ont proféré des insultes racistes, seront, eux, jugés en l'espace de quelques semaines.

Il faut bien distinguer la question de la justice environnementale et de celle des réparations au titre de l'esclavage. Mais au-delà, il convient de se demander, collectivement, comment la France fait face à son passé colonial esclavagiste, de quels symboles elle se dote – devant l'Assemblée nationale, dans les rues. Or ce débat, qui devrait aller bien au-delà de quelques discussions sur les plateaux de télévision, n'a pas lieu. Mise à part la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, on a l'impression qu'il n'y a que des déclarations, des mots sans conséquences, y compris financières.

Pourtant, les États de la Caraïbe ont lancé une campagne afin d'obtenir réparation de plusieurs États européens ; sous l'impulsion du CRAN notamment, l'Union européenne, dans sa résolution du 26 mars 2019, a invité les États membres à reconnaître que les personnes d'ascendance africaine jouissent de façon inégale des droits de l'homme et des droits fondamentaux, et à offrir des réparations sous la forme d'excuses publiques ou d'une restitution d'objets volés à leurs pays d'origine. Ces derniers mois, de telles demandes ont émergé en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord. Dans le même temps, en France, alors que l'on pourrait repenser l'espace public en le peuplant d'autres figures que celles de bourreaux, on refuse le débat, on oppose une fin de non-recevoir.

Enfin, quelques éléments pour démontrer que le racisme environnemental est bien systémique en Martinique ou en Guadeloupe : le chlordécone n'est pas le seul pesticide interdit à y avoir été utilisé car les planteurs de canne à sucre peuvent encore épandre, par dérogation, de l'asulox. Par ailleurs, les taux de sucre autorisés dans les produits alimentaires ont été pendant des années jusqu'à 50 % supérieurs à ceux en vigueur dans l'Hexagone ; aujourd'hui, le taux de diabète est deux fois plus élevé chez les Antillais que chez les métropolitains. Enfin, les infrastructures sanitaires font face à de grandes difficultés. Ce mélange très mortifère obère la santé de citoyens français !

Plutôt que de se demander si telle ou telle institution est raciste ou autorise des discriminations raciales, il faut se demander, en écho aux propos de Stéphanie Mulot, comment des dispositifs pourraient rendre possible la dénonciation des inégalités et des discriminations raciales.

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