Intervention de Stéphanie Mulot

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Stéphanie Mulot, professeure des universités en sociologie, membre du collège d'experts du CRAN :

Ce que le scandale du chlordécone questionne, c'est la façon dont les inégalités sociales, raciales, économiques et de genre, mises en place en France il y a fort longtemps, ont été entérinées dans le système éclavagiste et colonial, puis perpétuées et reproduites, malgré la logique universaliste de la République, par un moteur qui fonctionne toujours.

Des situations d'exception juridique permettent la perpétuation de ces inégalités. Comme l'a expliqué maître Lèguevaques, la justice a pu se montrer particulièrement lente outre-mer et ne pas s'appliquer à certaines personnes. Il est intéressant de voir comment la France utilise les outre-mer comme zone « test ». Ainsi, la loi sur l'accès à la citoyenneté a été modifiée pour Mayotte, ce qui emporte des conséquences très graves pour la santé des personnes – la crise de la Covid-19 l'a montré. Pendant des années, les normes sur le taux de sucre dans les aliments ont été différentes outre-mer – il a fallu attendre la loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer, dite loi Lurel, pour revenir à des taux équivalents à ceux imposés dans l'Hexagone : la surconsommation de sucre a entraîné une hausse du diabète et des pathologies qui y sont liées.

L'affaire du chlordécone nous éclaire aussi sur la façon dont s'opère le partage des « communs » en France. Les inégalités ethno-raciales y sont criantes, qu'il s'agisse des ressources, de l'accès à la santé ou à la citoyenneté. Comprendre le racisme, c'est comprendre comment certains sont très frileux à l'idée de partager les avantages de leur citoyenneté française avec les personnes racisées, placées ainsi dans des positions minoritaires qui les excluent, en bien des aspects, de la société. La race, entendue comme une catégorie sociale et socio-politique, peut aussi être perçue comme un capital pour les personnes qui en bénéficient, un capital qu'elles ne veulent pas partager. Il faut s'interroger sur les logiques qui servent à raciser, c'est-à-dire à délégitimer, à exclure l'autre, sur la base de plusieurs critères intersectionnels, afin de maintenir les privilèges et les avantages de ceux qui ne se considèrent pas comme racisés, ou marqués par les stigmates de la race. Je pourrais vous renvoyer par exemple aux propos d'une jeune femme blonde très connue, qui explique qu'elle n'a pas à s'excuser d'être blanche.

J'en viens à votre question, madame la rapporteure. Oui, les préjugés perdurent, et il faudrait les examiner en détail. Je pense ici aux préjugés sur la violence ou sur le manque de civilité des hommes noirs. Il est intéressant aussi de voir comment, en continuant à mobiliser des poncifs racistes sur la fainéantise des hommes noirs ou sur l'érotisme des femmes noires, on dissimule, voire on invisibilise leur capacité de travail, leur contribution à l'effort public, leur participation à la production des ressources. Le parallèle pourrait être fait avec les personnes originaires du Maghreb : c'est une façon de cacher le fait que tous se retrouvent dans les métiers les plus défavorisés – sécurité, soin aux personnes, entretien – et les plus exposés. La crise de 2020, en révélant que ces métiers étaient incontournables, a permis de rendre visible l'importance de cette population.

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