Je maintiens ma position sur les statistiques ethniques : il est important d'expérimenter des actions qui permettent de faire reculer les discriminations, pas simplement de les mesurer. Aux États-Unis, un fonds d'expérimentation a été constitué pour financer des actions directes. Je préfère donner la priorité à cette catégorie d'actions plutôt qu'à des enquêtes encore plus approfondies menées sur des fondements dits « raciaux ».
Les statistiques ethniques peuvent aussi enfermer dans une forme d'essentialisation. Ce type de statistiques existe dans un seul territoire de la République française : la Nouvelle-Calédonie, en raison de son histoire très particulière. Les citoyens peuvent s'y déclarer d'origine européenne, kanake, wallisienne ou polynésienne, mais il est également possible de se déclarer indécis, ou simplement calédonien. Il est intéressant de noter que dans cette société en recomposition, qui a suivi le chemin vers la paix au cours des vingt ou trente dernières années, ce sont ces deux derniers indicateurs qui augmentent. L'émergence du métissage et d'identités complexes et multiples aboutit à ce qu'un nombre toujours croissant de Calédoniens se définisse en dehors de ces cases.
La Nouvelle-Calédonie est un exemple très particulier qu'il n'est pas possible de généraliser, mon souci est plutôt d'ordre opérationnel. Nous savons bien qui fait l'objet de discriminations et comment, mais nous avons du mal à tester des solutions permettant de faire reculer ces discriminations. Le levier est plutôt du côté des priorités de l'action publique et des moyens dédiés.
Selon Michel Wievorka, le racisme systémique se manifeste par des comportements individuels qui ne peuvent pas être compris comme racistes, mais un fonctionnement général aboutissant à des mécanismes d'exclusion. Je comprends sa réflexion sociologique, et dans certains cas, nous pouvons trouver la marque de ce racisme systémique. Mais cette approche risque de déresponsabiliser les individus. Considérer globalement le système comme raciste peut décourager des initiatives individuelles. En tant que délégué interministériel, porte-parole d'une politique publique, j'insiste toujours sur l'action que chacun peut mener à sa place – qu'il soit citoyen, président d'association ou élu – pour faire reculer les comportements racistes ou discriminatoires.