Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DILCRAH
  • antisémitisme
  • haine
  • racisme
  • raciste

La réunion

Source

La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Potier, préfet, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

La séance est ouverte à 11 heures 15.

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Mesdames, nous avons l'honneur de recevoir aujourd'hui M. Frédéric Potier, préfet, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

Monsieur le préfet, la présente mission d'information a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2019. Elle résulte d'une prise de conscience plus ancienne de ces questions, et n'est aucunement liée à une actualité immédiate ou à une émotion particulière, même si elle a eu à traiter, au début de ses travaux en juin 2020, d'événements médiatiques qui leur étaient liés. À l'issue de nos travaux sera présenté un rapport dressant un état des lieux des formes de racisme et proposant des mesures et des pistes de réflexion et d'action pour rendre plus effective la lutte contre le racisme, dans toutes ses dimensions.

Nous avons précédemment entendu de nombreux universitaires et chercheurs de différentes disciplines, ainsi que les acteurs de terrain et associations de lutte contre le racisme. Nous entendrons prochainement les différents ministères en charge des politiques de lutte contre le racisme et, en tout premier lieu, nous serons fiers de recevoir M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, la place dévolue à l'éducation étant centrale.

La DILCRAH assure la conception et le pilotage interministériels de la politique de lutte contre le racisme. Nous aurons donc certainement beaucoup de questions à vous poser après votre propos liminaire.

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Je vous remercie de nous accorder de votre temps, monsieur le préfet.

Le racisme est une question tellement vaste que nous avons d'abord essayé dans nos auditions de retenir quelques paramètres afin de délimiter le cadre de notre mission. Nous sommes néanmoins restés assez généralistes.

Nous nous interrogeons sur les différentes formes de racisme, en suivant la structure que certains chercheurs nous ont suggérée. Persiste un racisme primaire, fondé sur des croyances impossibles à cautionner de nos jours, qui donne lieu à des propos racistes, à la haine en ligne, à des actes racistes tels que les agressions.

Comme l'a justement rappelé le président, l'éducation nationale a un rôle essentiel à jouer pour combattre les préjugés qui irriguent toutes les formes de racisme. Quant aux discriminations, qui ne sont pas nécessairement volontaires ni calculées par le système, elles continuent de produire des inégalités et suscitent chez ceux qui en subissent les conséquences le sentiment d'être victimes de racisme.

Dès votre arrivée à la DILCRAH, vous avez œuvré au travers du plan national de lutte contre le racisme ; nous sommes très curieux de savoir quels résultats vous avez déjà pu observer. Nous souhaiterions également avoir votre éclairage sur la persistance des actes volontairement racistes et sur la réponse judiciaire apportée aux plaintes déposées pour ce motif.

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

J'organiserai mon intervention liminaire en trois points. Je commencerai par présenter rapidement la DILCRAH et son activité en tant qu'acteur de politiques publiques. J'aborderai ensuite la situation française, et donnerai pour finir la position de l'État sur plusieurs sujets d'actualité qui ont été abordés par votre mission d'information.

La DILCRAH a été créée en 2012, quelques semaines avant les attentats devant l'école Ozar Hatorah à Toulouse, une décision assez révélatrice du climat de l'époque. Un nouveau souffle lui a été donné en novembre 2014 par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve avec trois décisions extrêmement importantes.

Premièrement, la DILCRAH est sortie du giron du ministère de l'intérieur. Je suis donc rattaché au Premier ministre, et je rends compte à son cabinet, ce qui est extrêmement important pour mener une politique véritablement interministérielle dont le champ d'action s'étend de l'éducation au sport en passant par la mémoire et la culture.

Deuxièmement, la DILCRAH a été dotée de moyens financiers propres. Cantonner l'action interministérielle à l'animation et au symbolique est insuffisant. Le budget est désormais d'environ 6,5 millions d'euros de crédits d'intervention.

Troisièmement, le pilotage d'un plan national a été confié à mon prédécesseur, Gilles Clavreul. Le premier plan national de lutte contre le racisme a été élaboré pour la période 2015-2018 ; un deuxième plan national a été présenté par Édouard Philippe en mars 2018, et c'est sous son empire que nous agissons. La philosophie de ce plan national est évidemment universaliste, républicaine, démocratique : l'action de la DILCRAH est un combat mené au nom des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, de laïcité. Elle ne vise pas à défendre des groupes, des communautés ou des familles. Nous considérons que ces fléaux – le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie – peuvent nous atteindre tous, et moi le premier : désormais exposé à des propos publics, je peux être victime d'insultes racistes, antisémites ou homophobes. Si ces actes émanent de préjugés et de représentations, nous pouvons tous en être victimes, même si les risques ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

J'en viens plus précisément aux actions et aux formations proposées par la délégation. La DILCRAH est constituée d'une petite équipe de douze personnes, qui s'appuie sur plusieurs correspondants au sein des ministères. Je laisserai le ministre de l'éducation nationale vous présenter le travail effectué avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Notre activité est vraiment de conseiller, de piloter et de coordonner ces actions avec l'ensemble des départements ministériels.

Nous sommes ainsi présents dans beaucoup d'actions de formation, en particulier auprès des policiers et des gendarmes. Nous intervenons dans toutes les écoles de police et de gendarmerie, notamment à l'École nationale supérieure de la police (ENSP), qui forme les commissaires et les officiers.

Nous intervenons également dans le cadre de la formation continue. Voilà quinze jours, j'étais à Rosny-sous-Bois pour une formation auprès des enquêteurs de la gendarmerie nationale. Un aspect très important de l'acte raciste ou antisémite tient à ce que la victime est visée non pas pour ce qu'elle fait, mais pour ce qu'elle est. Si au cours de ces formations nous rappelons des éléments de droit, des grandes définitions et des chiffres, nous insistons aussi particulièrement sur la notion de circonstances aggravantes. Une jeune personne violentée dans la rue en raison de ses origines, de sa religion ou de son orientation sexuelle a une forte attente de voir reconnu le préjudice résultant de ces motivations. Or, cela ne correspond pas forcément aux préceptes de la culture juridique traditionnelle enseignée dans les facultés de droit.

L'élément subjectif est important, mais il peut être attesté par le recueil de preuves et d'éléments de contexte. Nous insistons donc beaucoup auprès des enquêteurs sur l'importance du moment et du lieu de l'agression : une période de fête religieuse, une date symbolique telle que le 17 mai, journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, – j'élargis volontairement la portée de mon propos – le port d'un signe distinctif, vestimentaire ou autre, par la victime, le fait que la victime se trouvait devant un restaurant casher sont autant de détails auxquels il faut prêter attention. Nous essayons donc de donner aux enquêteurs des pistes, des réflexes pour que la procédure liée à des actes racistes et antisémites soit correctement traitée, de façon que les magistrats puissent in fine prononcer des sanctions élevées, avec une majoration fondée sur cette circonstance aggravante.

Le recueil de la parole des victimes est évidemment très important aussi. Porter plainte pour un acte de violence raciste ou antisémite, ce n'est pas la même chose que porter plainte pour un vol de portable ou de voiture, car l'intimité est touchée, le traumatisme psychologique est très important. De tels actes peuvent renvoyer à une histoire familiale, ou à des périodes de notre histoire. Ce sont autant d'éléments sur lesquels nous insistons auprès des policiers, des gendarmes ou des magistrats.

Nos formations s'appuient sur différents partenaires : le Mémorial de la Shoah, le camp des Milles, le camp de Rivesaltes, le musée national de l'histoire de l'immigration, la maison d'Izieu dans l'Ain. Nous essayons de sortir les policiers, les gendarmes et les magistrats de formations qui peuvent parfois être un peu convenues en les emmenant dans ces lieux. Je les sens toujours très intéressés, très impliqués, et ils ont beaucoup de questions à poser.

Ce travail de formation est essentiel, bien que perfectible. Nous travaillons encore avec le ministère de l'intérieur sur le contenu de ces formations et le moment où elles sont dispensées. Nous nous demandons notamment si la fin de la scolarité est la période la plus opportune, et s'il ne serait pas plus profitable de relier ces interventions à la déontologie, par exemple. Nous cherchons également les moyens de rendre la formation permanente plus efficace.

La DILCRAH est une structure unique en Europe, avec un périmètre sans équivalent ailleurs. Une quinzaine de pays européens ont adopté des plans nationaux de lutte contre le racisme, et je ne sais pas exactement combien parmi eux ont nommé un délégué à la lutte contre le racisme. Cette politique publique peut être reliée au ministère de l'intérieur ou au ministère de la justice. Le modèle « intégré » incluant le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT est en tout cas unique au sein de l'Union européenne, et regardé avec beaucoup d'intérêt, notamment par nos amis allemands, qui ont nommé très récemment – en 2017 – un délégué fédéral à la lutte contre l'antisémitisme, Felix Klein. Son champ d'action se limite toutefois à l'antisémitisme et à la vie religieuse juive en Allemagne.

Cette philosophie implique que nous ne hiérarchisons pas les types de racisme ou de manifestations de haine : nous travaillons avec autant de force à lutter contre le racisme envers les personnes d'origine asiatique, le racisme anti-Roms, ou le racisme envers les musulmans. Nous sommes parfaitement convaincus de devoir multiplier les partenariats : que la DILCRAH finance aujourd'hui 900 projets par an montre bien que nous touchons une large palette de secteurs et d'interventions. C'est ce qui fait que nous abordons le sujet du racisme et de l'antisémitisme avec une pleine conscience de sa complexité et de son caractère protéiforme.

J'en viens à la situation dans notre pays. Après une hausse importante du nombre d'actes antisémites en 2018, le bilan du ministère de l'intérieur en 2019 recense une augmentation générale des actes antisémites et racistes. Le phénomène n'est pas propre à notre pays : il touche également l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, les États-Unis, et nous avons en mémoire les attaques des mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Le suprématisme blanc étant un problème qui concerne de nombreux pays dans le monde, nous aurions tort de nous enfermer dans une approche franco-française.

Si les statistiques montrent une hausse des discours et des actes de haine, il est difficile de déterminer quelle part revient à une meilleure prise en compte des victimes ; la même difficulté se retrouve d'ailleurs pour les violences sexistes et sexuelles. C'est d'autant moins évident qu'il y a une forme de paradoxe qu'avait constaté Tocqueville, comme cela a été souligné dans une précédente audition : à mesure qu'une société se rapproche de l'égalité, elle est plus intolérante aux inégalités, donc aux manifestations de racisme et d'antisémitisme. Que la société soit plus sensible à ces sujets est une très bonne chose et se reflète sur le nombre de plaintes et de signalements. Dans le passé, certaines injures, certains comportements étaient sans doute passés sous silence ou banalisés, tandis qu'ils sont aujourd'hui dénoncés et pris en compte par les forces de police et de gendarmerie.

J'aborderai pour finir les débats d'actualité qui ont été mentionnés dans les précédentes auditions. Je considère pour ma part qu'il n'y a pas de racisme d'État : nous ne sommes pas en Afrique du Sud au temps de l'apartheid, ni en Allemagne hitlérienne ; les lois et les règlements qui s'appliquent en France n'ont pas pour vocation de créer une hostilité manifeste envers un groupe de personnes. Je récuse donc totalement ce terme, et je récuse ceux qui accusent les agents de l'État de racisme d'État. Les instituteurs, les policiers, les magistrats, les agents des collectivités locales sont au contraire en première ligne pour contrer ces manifestations de haine, et je le vois tous les jours sur le terrain. Pas plus tard qu'hier, j'étais en Corse, où j'ai constaté une implication très forte des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales.

Certains considèrent l'antisémitisme comme une forme de racisme ; la question est fréquemment soulevée dans les cercles universitaires. Si cela peut se concevoir intellectuellement, nous aurions grand tort, pour des raisons à la fois théoriques et pratiques, de délaisser le terme d'antisémitisme et de ne parler que de « racismes ». L'antisémitisme a des spécificités historiques : l'ombre de la tragédie de la Shoah est dans tous les esprits. Et au moment même où les statistiques liées à l'antisémitisme augmentent partout, non seulement en France mais aussi ailleurs en Europe, gommer ce terme des titres de délégations officielles telles que la DILCRAH enverrait un très mauvais signal à nos compatriotes victimes d'actes antisémites, sans parler des procès en cours.

Fondée sur une injonction irréfutable, la notion de privilège blanc est quant à elle piégée. Si à cette accusation vous répondez : « oui, je suis raciste parce que je suis blanc », vous êtes condamnable et condamné ; si vous répondez : « non, je ne suis pas raciste », on vous accuse alors de ne pas être conscient de l'être, et vous êtes tout aussi condamnable et condamné. Je mets en garde contre ce type de discours, parce qu'ils sont de nature à diviser les associations antiracistes, les militants qui luttent pour les droits humains. Je vous renvoie sur ce sujet à l'excellente note de Smaïn Laacher, président du conseil scientifique de la DILCRAH, sociologue et spécialiste des questions d'immigration, publiée par la Fondation Jean Jaurès et dont les considérations philosophiques et sociologiques sont bien plus intéressantes que le résumé que je pourrais en faire.

Il y a au sein de la DILCRAH – et c'est la position du Gouvernement – une opposition très nette aux statistiques ethniques, qui présentent un danger, comme l'ont souligné plusieurs intervenants lors de vos précédentes auditions.

D'ailleurs, ce n'est pas parce que nous interdisons ces statistiques ethniques que nous ne disposons pas d'outils de connaissance. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les rapports du Défenseur des droits ou la grande enquête « Trajectoires et origines » (TEO) : de très nombreuses données peuvent être recueillies à partir des lieux de naissance, des trajectoires générationnelles et permettent finalement une connaissance fine des discriminations – qui est touché, comment et dans quels champs. Il me paraît plus fécond de mobiliser notre énergie et notre réflexion sur les moyens de lutter contre le racisme et les discriminations plutôt que sur un débat relatif à leur mesure. Déplacer l'attention sur ce dernier objet risquerait de nous faire dévier de notre objectif.

Nous utilisons le terme de racisme antimusulman plutôt que celui d'islamophobie, dont l'emploi dénote une conception avec laquelle nous ne sommes pas d'accord. Pour le dire très clairement, certaines associations considèrent que l'application de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est islamophobe, et que les actes réprimés sur la base de cette loi le seraient donc également, alors qu'il s'agit simplement d'appliquer le principe de laïcité. Au sein de la DILCRAH, nous considérons par conséquent que le terme de racisme antimusulman est beaucoup plus fondé, ce qui nous permet d'ailleurs de mener des enquêtes très sérieuses avec l'Institut français d'opinion publique (IFOP) ou la Fondation Jean Jaurès, l'une d'elles ayant mené à la publication d'un ouvrage du chercheur Ismail Ferhat sur les discriminations envers les musulmans de France.

Je conclurai mon propos liminaire avec le sujet de la haine sur internet. Je ne reviendrai pas sur les débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale et au Sénat sur la proposition de loi défendue par Laetitia Avia, laquelle avait d'ailleurs été inspirée par la législation allemande. Nous sommes en quelque sorte revenus au point de départ : les réseaux sociaux ont massifié l'expression d'insultes racistes et antisémites, et une réponse purement judiciaire serait à mon avis insuffisante. Le débat sur la transparence des outils de modération s'est désormais déplacé au niveau européen, puisque la présidente de la Commission européenne a annoncé le lancement d'une consultation sur un Digital Services Act pour moderniser le cadre législatif général relatif aux services numériques. Il est plus pertinent en effet que de tels sujets soient traités à cette échelle, car ils se négocient avec des plateformes mondiales d'origine américaine. L'échelon européen nous permettra sans doute d'avoir une approche plus cohérente et d'avancer beaucoup plus efficacement sur ces questions.

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Il est trop tôt pour évaluer les résultats du plan national en cours d'application, mais quel bilan avez-vous dressé du précédent ? Quels indicateurs principaux retenez-vous ? Les éléments chiffrés sont-ils suffisants pour analyser le phénomène du racisme dans la société française et les réponses qui y sont apportées ?

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

Le plan 2015-2018 a été analysé par la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui a rendu un rapport public, et l'État a commandé une évaluation à l'inspection générale de l'administration et à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche. Leurs conclusions sont intéressantes : l'utilisation des lieux de mémoire va dans le bon sens, et la mobilisation des préfectures, des services de l'État et des instances interministérielles fait l'objet d'évaluations positives.

Notre difficulté est de trouver des indicateurs d'impact directement utilisables. L'effet d'une intervention en milieu scolaire contre des préjugés racistes ou antisémites ne peut se mesurer qu'à moyen ou long terme. Il est très difficile d'élaborer des protocoles permettant de mesurer ce type d'interventions. Nous menons depuis trois ans une étude avec SOS homophobie et Marie-Anne Valfort, économiste à l'OCDE, pour mesurer ce qui reste trois ans après une intervention contre l'homophobie en milieu scolaire. Aurons-nous réussi à détruire des préjugés, à faire reculer un certain nombre de stéréotypes ? Il est très difficile d'identifier un indicateur global reflétant l'efficacité de notre politique publique. Encourager les victimes à porter plainte et améliorer la façon dont les policiers prennent en charge ces affaires fera augmenter les statistiques. Il faut l'assumer plutôt que tenir le discours inverse aux policiers et aux gendarmes afin d'afficher moins d'actes et moins de victimes, mais au prix de lacunes dans le traitement de ces dernières.

Nous ne sommes pas parvenus à identifier un indicateur de performance, et nous nous reposons plutôt sur des indicateurs d'activité : le nombre d'interventions en milieu scolaire, le nombre de comités opérationnels de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CORA) tenus en préfecture, ou encore le nombre d'associations soutenues, en constante augmentation depuis trois ans.

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L'évaluation est un sujet crucial pour faire plus et mieux. Les indicateurs qualitatifs peuvent nous éclairer : les conservateurs des lieux de mémoire nous expliquent leurs interventions, et les réactions qu'ils recueillent des étudiants et des élèves. Mais cela ne permet pas de mesurer l'efficacité à long terme.

S'agissant de la réception du message délivré, des chercheurs nous ont indiqué que pour lutter contre les préjugés, le travail sur un pied d'égalité à un intérêt supérieur et est plus efficace que l'information. Cette coopération entre les peuples sur le long terme, en permettant le mélange, met à bas les préjugés. Utilisez-vous cette approche dans certains de vos projets ?

Vos domaines d'intervention sont très vastes, pour un effectif de douze personnes. Parvenez-vous à être exhaustif ? Former les policiers, les gendarmes, les magistrats et les enseignants, dans le cadre de leurs cursus de formation, initiale et continue, est une tâche dantesque. Comment être sur tous les fronts ?

Nous avons souvent évoqué lors de nos travaux le contenu des manuels scolaires, qui permettraient de mieux comprendre les histoires de France qui se sont construites en différents lieux, parfois loin du territoire métropolitain. Cela entre-t-il dans vos domaines d'intervention ?

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

Notre équipe est de taille réduite, mais nous ne travaillons pas seuls, heureusement. Nous organisons les formations avec de nombreux intervenants extérieurs, tels que l'historien Iannis Roder, spécialiste de la Shoah, l'avocat de SOS racisme, ou encore des psychologues. La force d'une petite équipe interministérielle est aussi de trouver des appuis pour préparer la formation la plus pertinente pour un public donné. Nos formations sont cousues main, sur des thèmes variés, et elles sont appréciées pour cette raison. Ainsi nous sommes en train de travailler sur une formation qui sera dispensée en fin d'année à Bordeaux, où le musée d'Aquitaine a ouvert une salle sur la mémoire de l'esclavage, ce qui nous permettra d'aborder des thèmes que nous n'avons pas encore traités.

La capacité de la DILCRAH à répondre au caractère protéiforme du racisme est réduite par les limites du tissu associatif sur certains sujets. Les partenariats que nous avons tissés pour lutter contre le racisme envers les personnes asiatiques sont très récents – deux ou trois ans – alors que la crise sanitaire a démontré que le lien établi par certains entre la propagation d'un virus et ces personnes pouvait s'avérer d'une importance centrale. Nous devons faire monter en puissance ces partenariats plus récents, car nous ne travaillons pas de la même façon avec la LICRA, qui a cent ans, qu'avec des associations récemment constituées. De la même façon, la fragilité du tissu associatif limite nos possibilités d'action pour lutter contre le racisme envers les Roms. C'est à nous de faire monter en puissance les associations en question, de les aider à se professionnaliser et à trouver des partenariats. Nous devons renforcer les acteurs moins insérés dans le tissu opérationnel.

En réponse à votre première question, nos partenaires élaborent évidemment des projets permettant de faire travailler en commun sur un objet commun, qui nous dépasse. Nous finançons de manière importante le Mémorial de la Shoah, dont les activités hors les murs ne portent pas uniquement sur la Shoah : elles évoquent le Rwanda, le génocide arménien et l'esclavage. Cette approche est très féconde, et c'est pourquoi la dichotomie entre le racisme et l'antisémitisme est une mauvaise idée. Nous préférons adopter une approche intégrée de ces questions, sans nier les spécificités propres à chacune, ce qui nous permet en outre de dépasser les enjeux de concurrence mémorielle. Le camp de Rivesaltes abrite un très beau musée, très en avance sur ces questions. Il illustre la complémentarité des mémoires, puisque ce lieu a d'abord été occupé par les réfugiés républicains espagnols, puis par des familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale, puis par des familles de harkis. Il reflète la complexité de notre histoire et détaille les préjugés qui sont nés de ces situations.

Concernant le contenu des manuels scolaires, le ministère de l'éducation nationale arrête un programme, mais chaque éditeur est responsable de ce qui est écrit dans son manuel. L'État n'impose pas un manuel en particulier, il laisse une liberté de choix en la matière. Des éditeurs nous saisissent ponctuellement pour que nous assurions une relecture sur certaines questions. C'est arrivé récemment, sur des questions de racisme, d'antisémitisme, mais aussi d'orientation sexuelle, dans des manuels d'éducation morale et civique ou de sciences sociales. Nous serions heureux qu'un plus grand nombre d'éditeurs nous contactent, et nous sommes très réceptifs à leurs demandes.

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Les statistiques ethniques ne vous semblent pas un outil efficace, mais pour apporter des solutions aux problèmes, il faut les nommer correctement. Pourquoi n'arrivons-nous pas à mettre en place des dispositifs permettant de résoudre les problématiques de discrimination, qui existent dans tous les domaines ?

Je récuse comme vous la notion de racisme d'État, mais ne pouvons-nous convenir que le système mondialisé a habitué à une répartition des rôles dans la société, qui assigne à certaines catégories de population des tâches peu valorisantes, comme l'a montré la crise du covid-19 ? Si le racisme d'État me paraît une idée fausse, ne pouvons-nous parler d'un système qui perpétue les discriminations ?

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

Je maintiens ma position sur les statistiques ethniques : il est important d'expérimenter des actions qui permettent de faire reculer les discriminations, pas simplement de les mesurer. Aux États-Unis, un fonds d'expérimentation a été constitué pour financer des actions directes. Je préfère donner la priorité à cette catégorie d'actions plutôt qu'à des enquêtes encore plus approfondies menées sur des fondements dits « raciaux ».

Les statistiques ethniques peuvent aussi enfermer dans une forme d'essentialisation. Ce type de statistiques existe dans un seul territoire de la République française : la Nouvelle-Calédonie, en raison de son histoire très particulière. Les citoyens peuvent s'y déclarer d'origine européenne, kanake, wallisienne ou polynésienne, mais il est également possible de se déclarer indécis, ou simplement calédonien. Il est intéressant de noter que dans cette société en recomposition, qui a suivi le chemin vers la paix au cours des vingt ou trente dernières années, ce sont ces deux derniers indicateurs qui augmentent. L'émergence du métissage et d'identités complexes et multiples aboutit à ce qu'un nombre toujours croissant de Calédoniens se définisse en dehors de ces cases.

La Nouvelle-Calédonie est un exemple très particulier qu'il n'est pas possible de généraliser, mon souci est plutôt d'ordre opérationnel. Nous savons bien qui fait l'objet de discriminations et comment, mais nous avons du mal à tester des solutions permettant de faire reculer ces discriminations. Le levier est plutôt du côté des priorités de l'action publique et des moyens dédiés.

Selon Michel Wievorka, le racisme systémique se manifeste par des comportements individuels qui ne peuvent pas être compris comme racistes, mais un fonctionnement général aboutissant à des mécanismes d'exclusion. Je comprends sa réflexion sociologique, et dans certains cas, nous pouvons trouver la marque de ce racisme systémique. Mais cette approche risque de déresponsabiliser les individus. Considérer globalement le système comme raciste peut décourager des initiatives individuelles. En tant que délégué interministériel, porte-parole d'une politique publique, j'insiste toujours sur l'action que chacun peut mener à sa place – qu'il soit citoyen, président d'association ou élu – pour faire reculer les comportements racistes ou discriminatoires.

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Au sujet de la haine en ligne, les travaux parlementaires ont été houleux pendant tout le parcours de la proposition de loi, jusqu'à son examen par le Conseil constitutionnel. Une victoire a été remportée : l'Observatoire de la haine en ligne a été installé en juillet. Où en est cette démarche, et comment son activité va-t-elle s'organiser ?

Si Mme Avia devait proposer un autre texte, quel angle d'attaque devrait être retenu ? Faut-il se contenter d'une régulation par le CSA, moins répressive à l'égard des plateformes, en espérant que la réglementation européenne en donne enfin une qualification, car elles ne sont ni éditeurs ni hébergeurs, et jouissent d'un statut très particulier ?

Vous avez publié un petit livre, La matrice de la haine. Il aurait pu s'intituler L'algorithme de la haine, mais votre esprit d'apaisement a préféré ce titre moins polémique. Quelles sont vos réflexions sur la haine en ligne ?

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

L'Observatoire de la haine en ligne a été réuni pour la première fois le 23 juillet, par le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Il réunit de très nombreux acteurs institutionnels et associatifs, dont certains sont en complet désaccord. Ainsi, nous avons des désaccords de fond avec l'association La quadrature du net, et il est heureux que ce forum nous permette de les exprimer, et d'essayer de les surmonter.

Ses travaux commencent, des sous-groupes et de groupes de travail se réunissent. La présidence du CSA permet d'apaiser les débats, et nous constatons un lien clair entre les problèmes de diffusion vidéo et les problèmes de plateformes. Il est légitime et pertinent que le CSA organise ces travaux.

La décision du Conseil constitutionnel sur la loi contre la haine en ligne reconnaît la légitimité d'une régulation sur ces sujets ; le Conseil constitutionnel donne donc une validation de principe. Sa censure porte sur la proportionnalité des mesures et les délais. J'ai l'impression que le délai de vingt-quatre heures est déterminant pour le Conseil constitutionnel, car au regard de la liberté d'expression, les outils de régulation proposés sont extrêmement puissants. Le caractère suspensif d'un certain nombre de sanctions a également été soulevé.

Cette décision du Conseil constitutionnel ne m'apparaît pas du tout comme une défaite ou une humiliation pour ceux qui ont travaillé sur ce sujet. Le Conseil aiguillonne, expliquant ce qui est possible ou pas, ce qui montre que nous sommes dans un État de droit, loin des pratiques d'un racisme d'État. Les limites fixées permettront d'orienter les prochains textes, qu'il s'agisse de la transposition du futur texte européen ou d'une législation nationale. La légitimité d'une intervention de l'État sur ces questions est en tout cas validée.

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Si la majorité écoutait plus souvent l'opposition, elle aurait peut-être évité la sanction du Conseil constitutionnel !

(Sourires.)

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Nous avons reçu le Conseil dit représentatif des associations noires de France (CRAN), qui a défendu l'existence d'un lien entre le scandale du chlordécone et une demande de réparation des conséquences de la domination de l'État français sur les Antilles.

Vous qui êtes bon connaisseur des questions ultramarines, quel est votre sentiment sur la réalité de ce lien ? Le Gouvernement a reconnu le scandale du chlordécone et les réparations qui doivent aller aux populations ultramarines, mais de manière sous-jacente, il est question d'une forme de concurrence mémorielle et d'une culpabilisation de la métropole à l'égard des territoires ultramarins.

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Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

Le scandale du chlordécone a des conséquences sanitaires pour les personnes qui ont travaillé dans les champs. Plusieurs plans chlordécone se sont succédé depuis des décennies en Martinique et en Guadeloupe. Ces politiques sanitaires sont la manifestation de la réponse de l'État.

S'agissant de la réparation directe des conséquences de l'esclavage – que le CRAN demande –, de grandes figures du paysage intellectuel français l'ont récusée, notamment Aimé Césaire ou Christiane Taubira. Il est difficile de rattacher des actes s'étant déroulés il y a 300 ou 400 ans à la réparation directe des personnes intéressées. Le temps écoulé, le métissage et la complexité des liens familiaux rendent très hasardeuse – voire impossible – toute réparation fondée sur le nombre de grands-parents ou d'arrière-grands-parents soumis en esclavage. D'autres choses peuvent être faites, comme le suggéraient Aimé Césaire et Christiane Taubira, notamment en termes d'égalité territoriale. L'esclavage et la colonisation ont laissé des traces historiques dans les sociétés guadeloupéenne, martiniquaise ou guyanaise, et il est possible d'y répondre par des actions économiques plutôt que par l'indemnisation d'un préjudice direct individuel.

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Merci d'avoir répondu à nos questions, notre mission d'information n'hésitera pas à faire à nouveau appel à vos services en cas de besoin.

La séance est levée à midi.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 11 h 15

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Robin Reda, Mme Michèle Victory

Excusé. - M. Bertrand Bouyx