Quand j'ai rejoint la Fondation Thuram, je travaillais au Musée de l'Homme.
Je travaillais dans ce que l'on appelle « l'éducation informelle », dont les expositions et les musées font partie, et je me passionnais pour les outils que l'on peut développer dans ce domaine. Auparavant, dans les années quatre-vingt, à l'époque où l'on a imaginé que la formation continue, également appelée éducation permanente, pouvait enrichir la formation initiale, j'avais beaucoup réfléchi aux moyens de réformer l'école. J'ai fait partie de la mission de Bertrand Schwartz, dont le rapport a abouti à la création des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.
Les problèmes sont un peu les mêmes aujourd'hui, et je crois qu'il ne faut pas démesurément parier sur l'éducation formelle – on charge l'école de tellement de choses ! –, mais plutôt développer les expériences d'éducation informelle comme celles de la fondation : bandes dessinées, émissions de télévision, expositions itinérantes. Nous avons adapté l'exposition « Tous parents, tous différents » avec l'association Les petits débrouillards, qui en tire des animations visant à permettre aux enfants de reconnaître les différences et les similitudes entre les êtres humains et à expliquer les raisons pour lesquelles on a construit l'exclusion de certains et la domination par d'autres.
Nous souhaitons multiplier ces dispositifs, qui sont très simples. Il y a deux ans, nous avons adapté les cartels d'exposition du musée Delacroix à Paris. Françoise Vergès, qui fait partie du comité scientifique de la fondation, avait commencé à le faire au Louvre, en relisant certains tableaux sous un autre angle : en regardant un Chardin, vous voyez une chocolatière, ce qui permet de raconter l'histoire du chocolat. Dans un autre tableau, des tissus ornent des meubles ou les robes sont fabriquées en cotonnade. Cela permet d'expliquer d'où vient le coton. Sans toucher à l'organisation des collections, grâce à la médiation culturelle, on peut transformer le regard et faire prendre conscience de la façon structurelle dont on regarde les choses – avec l'œil des « Beaux-Arts », définis par l'Europe des hommes blancs dominants, et non avec un regard ethnographique ou anthropologique.
C'est très intéressant, très efficace et extrêmement peu coûteux. Le ministère de la culture pourrait s'y atteler, en lien avec les acteurs du monde éducatif. J'ai longtemps essayé d'œuvrer à transformer certaines choses au sein de l'éducation nationale, mais c'est une telle machine que l'action à la marge me semble plus efficace que l'attaque frontale et l'ajout d'une nouvelle discipline. Nous pourrons y revenir car l'éducation nationale a malgré tout un rôle à jouer.