Intervention de Lilian Thuram

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 12h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Lilian Thuram, président de la Fondation Lilian Thuram, éducation contre le racisme :

Je suis toujours très surpris qu'on parle d'une racisation nouvelle de la société française, car cette racisation est très ancienne. Notre pays a connu un racisme d'État qui a duré des siècles. Qu'est-ce que le code noir ou le code de l'indigénat ? Un cadre légal qui vous octroyait plus ou moins de droits selon votre couleur de peau !

Ce qui est nouveau, c'est le questionnement : peut-on prendre en considération le fait que la société actuelle est issue de cette histoire encore très récente ? Nous n'avons pas conscience de notre propre histoire. Je suis antillais et mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l'abolition de l'esclavage. Ma mère est née en 1947, à une époque de ségrégation et d'apartheid. Dire que les couleurs n'ont pas d'importance dans la société française, c'est nier la réalité car, tout comme l'espace public n'est pas vécu de la même façon par un homme ou une femme, il est vécu différemment selon la couleur de la peau. Si vous n'en prenez pas conscience, vous ne pouvez pas comprendre certaines revendications.

Quand des gens plaident pour plus d'égalité, on ne les comprend pas et on les accuse de racisme. Je n'ai pas entendu toutes les personnes que vous avez auditionnées, mais je suis persuadé que certaines ont pu insinuer que la société française va mal « à cause des habitants des quartiers ». Ce n'est pas nouveau ! Dans une société, à chaque fois que des victimes de discrimination demandent plus d'égalité, le premier réflexe est de ne pas les écouter. C'est humain – on ne veut pas changer ses habitudes. Souvent, c'est aussi le réflexe des institutions, qui refusent l'égalité car elle impliquerait un changement de société.

La société française est racisée et ce n'est pas une nouveauté. Si on vous arrête plus souvent pour vous contrôler, ce n'est pas un hasard. Il y a une raison, un critère précis : celui de la couleur de peau. Les personnes qui en sont victimes savent qu'elles sont vues comme étant d'une autre couleur que la couleur blanche. Si vous n'intégrez pas cela, vous rejetez systématiquement le discours dont nous parlons parce que vous avez l'impression d'être agressé. Il faut peut-être regarder les choses sous un autre angle, reconnaître que, dans notre société, on adresse toujours à certaines personnes le message qu'elles sont illégitimes, qu'elles ne sont pas tout à fait françaises.

Si vous y êtes sensible, vous voulez que cela change. Mais il faut avoir le courage et l'intelligence d'écouter, de ne pas toujours rejeter les choses. Je le répète, le racisme perdure très souvent dans une société par la volonté des institutions qui fabriquent des « nous » et des « eux ».

Vous avez évoqué Neymar. Il est assez incroyable, quand on sait combien de caméras filment un match, qu'on n'ait pour le moment aucune image de ce qui s'est passé. Mais ce cas n'est peut-être pas le plus important. Je vous l'ai dit, souvent, les choses n'avancent pas à cause du manque de bonne volonté des institutions. Avez-vous entendu ce qu'a dit le président de la fédération française de football ? Selon lui, il n'y a pas de racisme dans le football ! Je pensais que vous l'évoqueriez car ce sont les institutions, et non des individus, qui vont changer la donne. Ce sont elles qui peuvent faire de la lutte contre le racisme et de l'égalité une priorité. Elles ont le pouvoir d'éduquer les individus.

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