Chez Ipsos, nous avons mené ces dernières années de nombreuses enquêtes de différentes natures sur un certain nombre de sujets liés au racisme, notamment à l'international. Notre groupe étant présent dans 83 pays, cela nous permet de mesurer l'état de l'opinion sur les questions liées au racisme hors de France. Les tensions identitaires et le niveau de racisme observés en France se retrouvent dans de nombreux pays du monde. En Europe, le racisme est plus marqué dans les pays d'Europe de l'Est et en Italie, alors qu'il est plus faible en Scandinavie, mais les écarts ne sont pas considérables. Nous conduisons également des études auprès de catégories spécifiques de la population. Nous avons mené récemment une enquête pour la fondation du judaïsme français et pour le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) auprès des Français musulmans et du grand public, puis auprès des Français juifs et du grand public. Le travail réalisé a permis de comparer leurs opinions sur la montée du racisme, de l'antisémitisme et sur le rejet de l'islam dans la société française.
Nous disposons par ailleurs d'outils permettant de suivre l'évolution des tendances dans la durée. Le baromètre de la CNCDH, établi par Ipsos, existe depuis 1989. L'enquête du baromètre est menée chaque année au moyen d'un questionnaire assez complet qui aborde de nombreuses dimensions du racisme, notamment les minorités, les préjugés dont elles font l'objet et la perception de l'action des pouvoirs publics dans ce domaine. L'outil est aussi intéressant sur le plan méthodologique, car l'enquête est menée depuis 1989 en face à face. Cela introduit certes un biais, mais aucune méthodologie n'est exempte d'inconvénients. Depuis quelques années, nous menons également une enquête en ligne auprès d'un échantillon similaire, représentatif de la population française, en posant les mêmes questions. Nous conduisons aussi des expérimentations. L'année dernière, par exemple, s'agissant du volet en face à face, l'enquêteur ne posait plus les questions à l'interviewé, mais il lui donnait la tablette afin qu'il réponde lui-même aux questions. Ce changement de méthode a permis d'évaluer les écarts entre les modes de recueil des informations, et de déterminer les effets intrinsèques de la méthodologie.
Les nombreux sondages menés sur le racisme, sur le rapport des Français à l'immigration et sur la perception de l'islam, révèlent souvent une situation inquiétante. Néanmoins, si l'on observe l'évolution de l'opinion publique, plusieurs éléments positifs apparaissent et ils ne sont pas suffisamment mis en lumière. Par exemple, depuis 2003, nous interrogeons les Français sur leur perception du racisme biologique. La question posée est la suivante : « les Français estiment-ils qu'il y a des races supérieures à d'autres, que toutes les races humaines se valent ou que les races humaines n'existent pas ? » Le racisme purement biologique, selon lequel il y aurait des races supérieures à d'autres, était déjà très faible au début des années 2000, de l'ordre de 14 %. Il s'établit à 6 % aujourd'hui. Il a donc pratiquement disparu, sauf chez les sympathisants du Rassemblement national ou chez les personnes de 70 ans et plus, où il atteint encore 20 % environ. Concomitamment, 36 % des Français interrogés nient le concept de race humaine, soit un peu plus d'un tiers. Ce pourcentage a sensiblement progressé au cours des vingt dernières années.
Un autre phénomène intéressant à analyser est l'« auto-perception » par les Français de leur propre racisme. Nous leur demandons s'ils estiment être « pas du tout », « pas très », « un peu » ou « plutôt » racistes. Au début des années 2000, seulement 28 % des Français indiquaient à l'enquêteur qu'ils n'étaient pas racistes du tout. Ce taux atteint aujourd'hui 60 %. Il semble donc beaucoup plus difficile d'admettre le racisme aujourd'hui. Sur ce point, nous observons des écarts majeurs entre les enquêtes en face à face et les enquêtes en ligne. Les écarts sont également importants concernant la perception de l'islam ou des juifs. Ils sont beaucoup plus faibles s'agissant des Noirs, des Asiatiques et des homosexuels. De manière générale, l'enquête en face à face tend à davantage mesurer ce qui est dicible dans l'espace public, alors que l'enquête en ligne mesure plutôt ce que la personne pense. Les deux approches doivent être examinées et comparées.
En ce qui concerne les préjugés émis vis-à-vis des minorités, nous observons une certaine hiérarchie selon les populations considérées. Les Roms sont la minorité la plus rejetée aujourd'hui par les Français. Au début des années 2010, 90 % des personnes interrogées indiquaient que les Roms n'étaient pas des Français comme les autres. 80 % d'entre elles estimaient que les Roms vivent le plus souvent de vol et de racket ou qu'ils exportent leurs enfants. Si la situation a quelque peu évolué, les préjugés vis-à-vis des Roms demeurent importants. Viennent ensuite les préjugés contre les musulmans qui sont largement partagés, puis les préjugés contre les Noirs. Nous trouvons, après, les préjugés envers les juifs et les homosexuels. Enfin les préjugés vis-à-vis des Asiatiques, sans être négligeables, sont beaucoup moins exprimés.
Nous disposons en somme d'un indice qui permet d'évaluer le rapport au racisme et aux minorités. Il montre que sur le long terme, le racisme et les préjugés ont globalement tendance à diminuer dans la société française. Par ailleurs, l'examen de l'adhésion des Français aux préjugés envers les différentes minorités révèle une corrélation entre les différentes formes de racisme. Si vous nourrissez de nombreux préjugés vis-à-vis des juifs ou des Noirs, il y a de fortes chances que vous en ayez aussi contre les autres minorités. À l'inverse, si vous n'êtes pas du tout antisémite ou homophobe, il est beaucoup plus probable que vous n'ayez pas non plus de préjugés envers les autres minorités.
Pour ce qui est de l'immigration, les Français sont assez ambivalents. La dernière vague de l'étude que nous réalisons pour la CNCDH montre que la majorité estime que de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la sécurité et de la protection sociale, que les personnes d'origine étrangère ne se donnent pas les moyens de s'intégrer et qu'il y a trop d'immigrés aujourd'hui en France. Une proportion relativement importante de personnes interrogées estime que l'immigration est la principale cause de l'insécurité. Or, si l'on tente de savoir comment les Français se situent par rapport à ces opinions, la situation est contrastée : 29 % des Français partagent les quatre opinions, 24 % les rejettent en bloc et 47 % n'adhèrent qu'à une partie d'entre elles. Par exemple, certaines personnes peuvent indiquer que l'immigration est le principal facteur d'insécurité sans pour autant estimer que les personnes étrangères ne font pas d'effort pour s'intégrer. Il existe donc une ambivalence de l'opinion vis-à-vis du racisme et du rejet des minorités qui doit être prise en charge en compte dans l'analyse des études réalisées.