Intervention de Radia Bakkouch

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Radia Bakkouch, présidente de l'association Coexister France :

Je vous remercie pour cette invitation. L'association Coexister France travaille depuis douze ans sur le terrain. Notre but est de réunir des publics d'origines, de convictions et d'âges divers (de quinze à trente-cinq ans). Nous les mobilisons afin qu'ils deviennent des ambassadeurs de paix. Près de dix mille jeunes sont passés par notre association et ils relaient aujourd'hui notre action. Nous intervenons également en milieu scolaire, pour déconstruire les préjugés, et évoquer des sujets parfois tabous, et notamment les discriminations, les formes de racisme, les préjugés, les amalgames, et les stéréotypes. Au total, nous sommes intervenus devant cent vingt mille jeunes. Nous intervenons dans tous les milieux, privés comme publics, urbains, ruraux ou périurbains.

Nous ne sommes pas chercheurs, aussi ne disposons-nous que de notre expérience de terrain. Selon le rapport de juin dernier de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), les actes et les paroles antisémites auraient augmenté de 27 % en 2019, contre 132 % pour les faits de nature xénophobe et 54 % pour les faits islamophobes. Ces résultats correspondent à nos impressions sur le terrain.

Les jeunes qui nous rejoignent ne se sentent plus en sécurité ni acceptés par la société qui les entoure. Ils aspirent à davantage de confiance, d'égalité et de justice. Ils perçoivent surtout l'amplification des phénomènes de racisme et de discrimination à travers les discours décomplexés et insidieux de certains acteurs de la sphère politico-médiatique. Ce phénomène est plus souvent cité que les formes de discrimination (à l'embauche, dans l'accès au logement, etc.) ou des actes de racisme dans la vie quotidienne, dans la rue comme à l'université. Les jeunes se sentent impuissants devant les propos racistes et en particulier islamophobes tenus par certains intervenants dans les médias. Ces discours semblent rester impunis. Simultanément, ce discours décomplexé induit chez les jeunes le sentiment de ne pas avoir le droit d'exprimer leur avis ou de décrire leur situation. Nous assistons en quelque sorte à une faillite républicaine, qui alimente un sentiment de désarroi et de désespoir.

Ce phénomène touche aussi la sphère virtuelle, diverses personnalités publiques multipliant sur leurs comptes Twitter les campagnes d'attaque contre des personnes ou des groupes de personnes, notamment sur la base de leurs origines, leur ethnie, leur couleur de peau, leur religion ou leurs convictions. Ils en viennent à penser que ces personnalités agissent de concert et représentent un discours dominant. Ils se sentent désarmés pour répondre à ces attaques car ils ne disposent pas des mêmes codes.

Les publics auprès desquels nous intervenons ressentent également une peur de l'institution policière, en lien avec les violences policières, et ils estiment que l'État ne se préoccupe que trop peu de cette question.

Enfin, nos publics craignent que la loi contre les séparatismes ait un contenu islamophobe, et qu'elle soit le terreau du communautarisme. Ainsi, même si cette loi repose sur des consensus, notamment au sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre le sexisme et certaines pratiques patriarcales, cette loi risque à leurs yeux d'être inutile.

Nous préconisons une amplification des moyens de lutte et un élargissement des prérogatives du Défenseur des droits. Cette instance inspire la confiance pour beaucoup mais elle semble handicapée dans son action par un manque de moyens. Nous proposons par ailleurs d'élargir ses prérogatives aux questions des pratiques racistes, y compris au sein des institutions publiques.

Nous souhaitons par ailleurs que les paroles et les actes profondément racistes continuent à être sanctionnés. Nous appelons aussi à la mise en place d'actions préventives à travers des politiques publiques qui favoriseraient le développement de la cohésion, de la mixité et du lien social.

Nous exerçons une veille sur les initiatives dans les autres pays. Je vous soumettrai deux exemples. Dans le cadre de la justice transitionnelle, après les nombreux conflits qu'a connus le Togo dans les années 1990, le gouvernement togolais a mis en place des comités de paix, qui sont composés d'acteurs d'origines diverses. Ils sont consultés sur les conséquences potentielles des projets de lois sur la diversité dans le pays.

Le deuxième exemple est celui de l' Office of ethnic communities en Nouvelle-Zélande. La finalité de cette instance de conseil est de contribuer à la construction d'une société plus inclusive pour les diversités. Elle a été créée à la suite des attentats de mars 2019, et a été très bien reçue par la population. Il est à ce titre intéressant de voir comment la société civile s'est emparée de cet outil.

Notre dernière préconisation porte sur les pratiques mémorielles. Nous travaillons beaucoup sur cette question au sein de Coexister France, nous efforçons de confronter nos publics à leurs mémoires respectives. Nous prônons ainsi un accès à la mémoire plus inclusif car nous y voyons un moyen de lutte contre le négationnisme ou une méconnaissance profonde de l'histoire. Il est donc essentiel de continuer à évoquer la Shoah, dont l'importance est immense, mais aussi l'esclavage. Cet exercice mémoriel est capital pour comprendre comment la France s'est construite, y compris à travers les épisodes récents de la guerre d'Algérie et de la décolonisation, et d'analyser la relation entre ce contexte historique et le racisme. Nous voyons aussi dans ce travail mémoriel un moyen de renforcer le sentiment d'appartenance de tout un chacun à notre société, par opposition avec le sentiment d'exclusion et d'oppression qui peut naître chez les victimes d'actes racistes.

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