Intervention de Philippe Coen

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Philippe Coen, président de l'association Respect zone :

Je vous remercie de votre invitation. Je rejoins les constats et propositions déjà exprimés par Radia Bakkouch. Mon association, Respect zone, a été créée en 2012. Elle est aujourd'hui implantée dans cinq pays. Nous cherchons à introduire un nouveau paradigme sur le racisme afin de pouvoir mieux lutter contre le phénomène. Nous estimons en effet que le vocabulaire actuel est séculaire et qu'il repose sur des concepts de plus en plus difficilement compréhensibles.

Le mot « racisme » se complète de nombreuses autres dimensions comme l'antisémitisme, l'homophobie ou l'islamophobie. Ainsi, plutôt que de nous baser sur la notion de racisme, nous préférons prôner l'acceptation et la bienveillance envers autrui. Nous avons cherché d'autres vaisseaux sémantiques, pour opérer le voyage de l'accompagnement vers une compréhension et une éducation réformée, audible et recevable.

Notre principal domaine d'action est la lutte contre la cyber violence. Que les propos haineux soient ou non à caractère raciste, qu'ils s'expriment à l'école, au sein de l'entreprise ou sur internet, ils ont tous pour caractéristique commune d'infliger une forme de douleur à leurs victimes. La violence que nous observons est rarement unitaire. Nous avons donc travaillé de manière positive sur un nouveau paradigme permettant de rendre audibles les outils éducatifs.

Nous avons ainsi proposé d'investir dans ce qui nous rassemble en tant que citoyens. Dans la mesure où nous sommes exposés à des discours pouvant venir de partout dans le monde, nous ne pouvions pas limiter notre cadre de réflexion à la loi du concordat, à la loi de 2004 sur la laïcité et aux seules spécificités françaises. Or en travaillant à l'étranger et notamment en Belgique, nous avons constaté que certains concepts français étaient difficilement exportables car difficilement compréhensibles dans d'autres pays. Or nos combats n'ont pas nécessairement vocation à se limiter à la France. Ils peuvent s'adresser à un cadre plus global, et notamment le monde de la Francophonie.

Nous avons résumé notre idée et notre concept à travers la formule : « respect by design ». Comment convaincre à la fois les individus et les structures sociales – entreprises, réseaux sociaux, associations, institutions – de prévoir dans l'ergonomie de leur propre structure l'engagement pour le respect d'autrui ?

Au terme « racisme » je préfère l'expression « haine identitaire » afin de tenir compte d'autres manifestations de haine que celles basées sur le concept de « race ». La haine identitaire consiste à stigmatiser l'autre pour les troubles identitaires dont on souffre soi-même.

Le travail éducatif consiste en effet à stimuler la pensée de l'apprenant. Nous lui faisons d'ailleurs jouer le rôle d'enseignant durant une certaine phase. Plutôt que de demeurer dans le schéma vertical où l'adulte enseigne à l'enfant, nous invitons ce dernier à décrire la situation et à formuler des pistes d'amélioration.

Nous travaillons avec des instances éducatives (écoles, université), et des territoires (municipalités, communautés de communes), pour étendre le développement du respect sur les réseaux sociaux dans la cité et dans le monde physique. Nous n'avions pas nécessairement anticipé cette demande. Nous avons du reste dû modifier notre charte pour pouvoir y répondre. Il s'agit de faire en sorte que les règles de respect soient aussi bien affichées dans les espaces physiques qu'immatériels.

Nous avons répondu à cette demande pour créer de l'engagement, notamment à travers l'injection de symbole dans l'espace numérique et l'espace physique. Je rejoins les propos de Radia Bakkouch sur l'existence d'une banalisation d'un certain racisme, et l'absence d'exemplarité des adultes, des élus, ou des responsables. Nous constatons ce phénomène parfois au plus haut de l'État. Nous sommes très inquiets de la perte des repères liés aux notions de citoyenneté et de respect. C'est pourquoi je dépasse la notion d'antiracime pour m'intéresser au mieux-vivre ensemble.

Nos modes d'action consistent à intervenir physiquement dans les établissements. Nous avons été choisis depuis peu par le ministère des sports pour mener des actions à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) et dans l'ensemble des centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS). Nous sommes chargés de former les athlètes, les entraîneurs et les professeurs à cette question difficile : comment vivre ensemble d'une manière acceptable, dans un univers souvent clos ? Le problème des vestiaires et du déshabillage se pose par exemple spécifiquement au monde sportif.

Nous intervenons ainsi dans différentes instances. Outre les territoires et le monde éducatif, l'entreprise constitue à nos yeux un axe prioritaire. Pour nous, la notion d'éducation ne s'adresse pas qu'aux enfants mais également aux adultes. À tout âge on peut apprendre, s'améliorer et devenir plus respectueux des valeurs essentielles de notre République.

Nous avons ainsi proposé une charte autour de la notion de respect. Le travail rédactionnel s'est avéré plus aisé que si nous nous étions bornés au racisme. Nous avons créé le label Respect zone qui caractérise les engagements contractuels des propriétaires de sites internet en matière de respect. C'est du reste le cas de certains des élus qui siègent dans cette Assemblée. Il s'agit d'un engagement formalisé par un contrat citoyen, que nous avons renommé dans le cadre de notre combat pour le respect sur les réseaux sociaux, et contre les discriminations, le harcèlement, et la radicalisation. Ce sont les trois thèmes clefs de notre charte.

Plusieurs dizaines d'entreprises et autres structures se sont approprié cette charte et imposent à tous leurs employés et nouveaux embauchés de la signer. Certaines de ces entreprises sont de taille importante. Nous les intégrons à notre démarche à travers un conventionnement où figure notamment l'obligation d'adhérer à la charte pour tous leurs membres. Différentes écoles nous ont sollicités – nous n'avons pas eu besoin de les démarcher grâce à nos campagnes. Ces chartes rendent plus aisée la caractérisation des faits de haine car il devient possible de se référer à une base communément acceptée par les élèves, leurs parents et leurs professeurs. L'engagement individuel de chaque acteur lui devient alors opposable.

J'en viens à présent à quelques propositions dont vous pourriez vous inspirer. Nous faisons partie de l'observatoire du conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui a été institué par la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, et qui est chargé de l'observation des contenus haineux sur internet. Dans ce cadre, nous avons recommandé de valoriser la profession de modérateur, partant du principe que des algorithmes ne sont pas suffisants pour supprimer des contenus haineux ou racistes et qu'il importe donc de disposer de personnes qualifiées pour les reconnaître voire pour jouer un rôle éducatif auprès des utilisateurs des espaces qu'ils modèrent.

Nous proposons par ailleurs de récompenser toutes les personnes morales qui s'engageraient dans une contractualisation citoyenne contre le racisme en leur offrant des conditions privilégiées d'accès à certaines aides d'État ou à diverses formes de valorisation par les pouvoirs publics. Il nous revient, peut-être avec votre mission d'information, de définir les moyens de favoriser cet engagement.

Enfin, nous travaillons depuis 2014 sur les moyens d'inciter les entreprises du numérique au sens large, dont les réseaux sociaux, à œuvrer en faveur du respect numérique. Nous avons créé il y a trois mois une clinique des droits humains numériques à l'université Paris-Dauphine au sein d'un laboratoire de recherche. Elle sera le supplétif de l'assistance juridique gratuite que nous proposons aux victimes.

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