Il se trouve – ce n'est pas toujours le cas – que je suis totalement d'accord avec ce que vous avez dit, madame Victory.
Vous avez évoqué à juste titre l'exemplarité. On en parle beaucoup à propos de la télévision, mais cela concerne aussi l'école. Une de ses caractéristiques sous la Troisième République était d'être un escalier social pour les professeurs, les fameux « hussards », qui étaient souvent des fils de paysans : ils devenaient instituteurs, ce qui constituait une promotion sociale, et leurs enfants avaient souvent un très bel avenir. Ce phénomène a été très significatif quantitativement, puisqu'il y a eu beaucoup d'instituteurs et d'institutrices, mais aussi sociologiquement. Nous devons retrouver cela, mutatis mutandis – nous l'avons un peu perdu.
Les tenants des idéologies qui, sous couvert d'antiracisme, font du racisme, sont très rarement des personnes issues de l'immigration. Il s'agit très souvent de « petits Blancs », si vous voulez bien me pardonner cette expression que je place bien entendu entre guillemets, qui souffrent d'une sorte de complexe : ils se sentent obligés de dénigrer le pays dont ils sont issus. C'est ce que je constate empiriquement. Cela nous renvoie à bien d'autres sujets que je n'ai pas le temps de développer.
Certains professeurs se sentent peut-être déclassés. Le grand sujet sur lequel je travaille actuellement est la revalorisation du métier d'enseignant. Il faut renforcer sa dignité et sa capacité à être un facteur d'ascension sociale et de diversité. Une des questions qui se posent, avec d'autres qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'objet de votre mission d'information, comme les deuxièmes carrières, concerne les enfants issus de l'immigration. Je vais prochainement proposer des mesures visant à mieux repérer des adolescents qui auraient la vocation, afin de leur attribuer des bourses le plus tôt possible, dès le collège, et de les accompagner dans un parcours qui pourrait conduire ceux qui ont un talent dans les matières scientifiques, par exemple, à une carrière d'enseignant. Dans la lignée de ce que le Président de la République a commencé à dire à propos de l'égalité des chances, nous devons mener de véritables politiques volontaristes. La diversité « visible », comme on dit, sera la conséquence d'une politique sociale.
Je suis complètement d'accord avec vous sur le rôle de l'éducation artistique et culturelle dans la diffusion des messages antiracistes, de manière fine et humaine. C'est un des arrière-plans du développement de l'éducation artistique et culturelle, notamment du théâtre, sur lequel vous avez insisté, mais aussi de l'expression orale, dont la maîtrise contribue à une vie collective meilleure car c'est autant de subtilité en plus dans le débat et de violence en moins.
Vous avez dit, monsieur Habib, que vous étiez plus pessimiste que moi. J'essaie d'être surtout d'être lucide, et je considère qu'on ne doit pas être pessimiste, par principe. Je pourrais me laisser aller au pessimisme mais je ne le veux pas. On ne fait pas envie, je l'ai dit, quand on n'est pas fort. Or la France doit l'être. Quelles que soient les difficultés que l'on constate – certaines sont bien réelles –, il faut tenir un langage positif. Ne créons pas un cercle vicieux du désespoir, si je puis dire.
Vous estimez que la situation s'est aggravée depuis vingt ans. Je pense que c'est vrai à certains égards, mais pas à d'autres. En ce qui concerne les enjeux abordés par le livre Les Territoires perdus de la République, nous n'aurions pas eu les mêmes débats il y a vingt ans : la conscience des problèmes est désormais plus forte. Ils sont moins mis sous le tapis. Si la situation est parfois pire, c'est parce que nous payons le prix de l'absence de lucidité d'il y a vingt ans. Je veux croire que nous semons quelques graines pour un avenir plus positif, même si on ne peut pas prétendre que les combats sont gagnés d'avance. Ils sont rudes, mais je pense qu'il faut rester positif.
S'agissant du rappeur que vous avez évoqué, je partage tous vos propos. Au-delà de ce cas profondément scandaleux, certains artistes contribuent à une culture de la fragmentation, de la haine. La question est complexe : il y a évidemment la liberté d'expression, la liberté artistique, mais il n'est pas acceptable de franchir certaines limites. Il faut appliquer la loi et dire ce que vous avez dit : ces personnages, même s'ils prétendent très souvent pratiquer le second ou le troisième degré, sont ignobles, et on doit faire honte à ceux qui les apprécient.
En ce qui concerne les manuels scolaires, il faudrait regarder le cas que vous avez cité. Les manuels relèvent de la liberté éditoriale, et il arrive qu'on soit étonné par certains d'entre eux. Ce qui relève de ma compétence, ce dont je suis responsable, ce sont les programmes. Tous ceux du lycée ont changé au cours des deux dernières années. J'assume pleinement certaines évolutions que je considère comme positives s'agissant des questions que nous abordons ensemble ce matin.