La mission d'information procède à l'audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports
La séance est ouverte à 11 heures 05.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, merci de vous être rendus disponibles pour cette audition dans le cadre de la mission d'information de la Conférence des présidents sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter – car nous comptons proposer des pistes d'action contre ce fléau.
Nous avons consacré cette matinée d'auditions à la question de la relation entre éducation et lutte contre le racisme et, pour la clôturer en beauté, nous avons l'honneur et le plaisir d'auditionner M. le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Cette mission d'information a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2019. Il ne s'agit donc pas de réagir à l'émotion suscitée par l'actualité nationale ou internationale récente, même si, bien sûr, nous en traitons beaucoup. Au-delà de cette législature, cela fait longtemps que la représentation nationale s'intéresse à la question du racisme, qui est compliquée et endémique. À l'issue de nos travaux, nous tenterons de rédiger le rapport le plus précis et exhaustif possible pour identifier les différentes formes de racisme qui émergent ou perdurent dans notre société et proposer des pistes de solutions.
Nous avons entendu des universitaires, des chercheurs, des sociologues, des statisticiens, ainsi que de nombreuses associations de terrain qui œuvrent dans le domaine de la lutte contre le racisme et les discriminations. Nous nous intéressons notamment, je le disais, à la place dévolue à l'éducation : cet enjeu est revenu presque systématiquement dans les auditions que nous avons menées, ce qui en fait l'une des questions centrales qui ressortent de notre travail.
Le ministère de l'éducation n'est évidemment pas seul dans la lutte contre le racisme – nous entendrons d'ailleurs le ministère de l'intérieur, probablement aussi celui de la justice –, mais il est pour nous fondamental de commencer par les questions d'éducation. Vous le savez sans doute mieux que nous : les attentes envers l'éducation nationale, sur ce point comme sur d'autres, sont immenses. Plusieurs aspects entrent en ligne de compte : l'enseignement de l'histoire, la place de l'éducation morale et civique à l'école, les interventions d'associations dans les établissements, la lutte contre la haine en ligne, ou encore les nouveaux outils de communication.
Je vois trois enjeux, que je rappellerai pour lancer le débat.
D'abord, nous nous interrogeons beaucoup sur la place du racisme dans l'opinion. Un grand nombre de chercheurs, en particulier dans les instituts de sondage – nous en avons reçu récemment des représentants –, ne font pas état d'une préoccupation très prégnante dans la société à l'égard du racisme, non que celui-ci n'inquiète pas nos concitoyens, mais il est relégué derrière les priorités du quotidien. Il est même parfois accepté avec un peu de désabusement par nos concitoyens.
Ensuite, il y a la question fondamentale des nouveaux moyens d'expression, qui ont une incidence très directe sur les établissements scolaires et la haine à l'école, notamment, bien entendu, à travers les réseaux sociaux, qui permettent de véhiculer des images, des préjugés et des informations pas toujours de la meilleure facture.
Enfin, on entend un discours, dont certains se sont fait l'écho jusque dans nos auditions, consistant à mettre en cause la République et l'État : celui-ci serait incapable de lutter contre son propre racisme endémique et une forme de racisme institutionnel. À titre personnel, je récuse cette analyse, mais nous devons obligatoirement en débattre dans le cadre de cette mission d'information.
Je laisse à présent Mme la rapporteure s'exprimer. Ensuite, monsieur le ministre, vous aurez la parole pour un propos liminaire, qui pourra donner lieu à un échange entre nous.
Merci, monsieur le ministre, d'être venu personnellement devant notre mission d'information. Comme le disait le président, quasiment toutes nos auditions nous ramènent à l'importance de l'éducation : elle est à l'origine de tous les parcours, mais participe aussi à la construction des stéréotypes et des préjugés. Nous avons auditionné la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), et nous savons donc qu'un cadre d'action a été mis en place sous votre autorité. Nous aimerions d'ailleurs que vous nous donniez quelques détails à ce propos. Nous savons à quel point il est difficile de faire bouger les choses : l'éducation nationale est un gros paquebot, auquel on ne peut pas faire changer de cap rapidement.
Grâce aux auditions que nous avons menées, nous avons établi une typologie des différentes sortes de racisme qui gangrènent notre société.
La première forme est, en définitive, toute simple : elle est fondée sur la croyance en l'existence de races. Elle se traduit par des propos et des actes pour lesquels la réponse est avant tout d'ordre judiciaire et pénal.
La deuxième forme de racisme consiste dans les préjugés et stéréotypes, que nous essayons d'ailleurs d'alléger de leur charge morale, car, en dernière analyse, force est de reconnaître que nous en avons tous au fond de nous. Même si nous luttons contre eux parce qu'on nous a dit qu'il n'était pas bien d'en avoir, ces préjugés peuvent persister. Ils se manifestent de diverses manières dans la société. Contre cette forme de racisme, l'école peut jouer un rôle fondamental, en favorisant la coopération, l'échange et la connaissance de l'autre, pour aboutir à une meilleure acceptation des différences et de la diversité.
La troisième forme consiste dans ce que d'aucuns appellent le « racisme institutionnel », comme le disait Robin Reda. Cette expression est revenue très souvent dans les auditions ; nous avons essayé de ne pas nous en offusquer à chaque fois, mais plutôt de comprendre ce qu'il y a derrière. Certains chercheurs nous ont expliqué que c'était une discrimination probablement produite par les institutions mais de façon totalement involontaire, et qui crée chez ceux qui en sont victimes le sentiment qu'il s'agit de racisme. À cet égard, et pour ce qui concerne votre ministère – car on pourrait aussi évoquer le logement, ou encore l'accès à l'emploi –, nous allons peut-être parler d'orientation et de carte scolaire : nous souhaitons vous entendre sur ces questions.
Merci beaucoup, monsieur le président, madame la rapporteure, pour votre invitation : je suis évidemment très heureux de m'exprimer devant vous tous sur cette question très importante, qui, je le dis d'emblée, est au cœur même du pacte républicain.
Le mot « République » ne doit pas être sous-estimé quand il s'agit d'aborder l'ensemble des enjeux liés au racisme, car il a plusieurs conséquences, à commencer par la mise en œuvre de la devise nationale, en vertu de laquelle les citoyens sont égaux et ne sauraient donc être différenciés et discriminés en fonction, en particulier, de leur origine ou de leur couleur de peau. Tous les pays n'ont pas exactement la même manière d'aborder la question. Il est important de voir ce qu'il y a à la fois d'universel et de spécifiquement français et républicain en la matière, d'autant que des contre-modèles cherchent parfois à s'imposer à nous. Nous devons être extrêmement solides, à la fois philosophiquement et politiquement, sur ce que signifie ce socle républicain. D'une façon générale, les enjeux intellectuels et culturels sont extrêmement importants, car ils sont le soubassement de tout ce dont nous discutons ensemble ce matin : sans cette base, et si l'on n'y prend garde, il y a toute une série de fausses idées, de fausses approches, voire de projets antirépublicains qui peuvent s'insinuer dans la vie nationale, notamment au travers de l'éducation.
Du reste, l'école a toujours été la colonne vertébrale de la République, et ce dès le début. L'école de la République doit donc être fidèle à ce qui est la philosophie de la République – il en a été très clairement ainsi tout au long de la Troisième République, notamment. C'est pourquoi j'assume pleinement ce que vous avez dit en commençant et qui était sous-jacent à votre invitation, c'est-à-dire le fait que l'école de la République doit s'occuper de racisme. Oui, bien sûr : nous nous occupons d'instruction publique, d'éducation et donc de transmission des valeurs de la République, et nous devons l'affirmer haut et fort. Cela n'a rien de désuet ou d'archaïque, contrairement à ce que certains voudraient faire croire. Il faut l'assumer totalement : l'école de la République consolide la République ; l'école de la République transmet les valeurs de la République.
Lorsque, en arrivant au ministère, j'ai insisté d'abord et avant tout sur les savoirs fondamentaux, notamment à l'école primaire, j'ai utilisé la formule suivante : lire, écrire, compter, respecter autrui. En ajoutant le respect d'autrui au socle habituel, j'avais évidemment à l'esprit ce dont nous discutons : cela exclut par définition le racisme, l'antisémitisme et tous les phénomènes de discrimination, que l'on doit évacuer de la vie collective si l'on veut que celle-ci soit républicaine. Le respect d'autrui est à mes yeux un enjeu majeur. Nous devons l'inculquer aux enfants dès l'école maternelle, de façon très concrète et pratique : en la matière, et même si j'ai dit que les aspects philosophiques étaient essentiels, on doit se garder d'une approche trop théorique et abstraite ; il faut lui trouver une traduction dans la vie courante des élèves.
La vie collective se joue dès l'école maternelle. Je n'ai jamais vu d'enfant spontanément raciste, ce qui est d'ailleurs un motif d'optimisme ; en revanche, on voit très rapidement des enfants intégrer des préjugés familiaux ou attrapés dans leur environnement, à l'école ou ailleurs.
L'éducation nationale a pris à bras-le-corps la question de la lutte contre le racisme depuis un assez grand nombre d'années, et pas seulement au titre de la transmission des valeurs de la République : des processus et des actions spécifiques ont été développés contre le racisme et l'antisémitisme.
La réactivation de l'éducation civique et morale par Jean-Pierre Chevènement a été un élément très important. Si plus personne ne le conteste, il n'en a pas toujours été de même. Désormais, on se rend compte qu'il est indispensable de prendre l'éducation civique et morale très au sérieux et de la placer au cœur du système éducatif. En termes d'horaires, elle est toujours vivante et forte. Comme vous le savez, dans l'enseignement secondaire, elle est assurée par les professeurs d'histoire-géographie. Dans le cadre de la réforme du baccalauréat, j'ai tenu à préserver les trois heures et demie d'histoire-géographie dans le tronc commun, alors même qu'il y avait des discussions sur ce point, tout en insistant pour que la demi-heure consacrée à l'éducation civique soit clairement distinguée de l'histoire et de la géographie – libre au professeur, évidemment, d'organiser les choses comme il l'entend, par exemple en en faisant une heure toutes les deux semaines. Quoi qu'il en soit, il doit y avoir un temps véritablement dédié à l'éducation civique et morale, qui ne soit pas « mangé » par l'histoire et la géographie.
De même, différents projets que nous avons pour la vie de l'élève appartiennent clairement au domaine de l'engagement civique et ont un rapport avec la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. C'est d'ailleurs en ce moment la semaine de l'engagement : nous disons aux élèves qu'il est bon d'être délégué de classe, éco-délégué, ou encore ambassadeur contre le harcèlement – bref, de prendre des responsabilités. La lutte contre le harcèlement que nous menons a, bien évidemment, des rapports avec celle contre le racisme et la haine anti-LGBT ; le déploiement progressif du service national universel relève lui aussi de l'éducation morale et civique.
Je ne prétends pas du tout, bien entendu, que cette prise de conscience de l'importance des enjeux de l'éducation morale et civique a commencé avec moi. Il en est de même pour les actions spécifiques qui doivent être menées, même si nous allons les poursuivre et les approfondir. Par exemple, dans les documents que nous éditons pour le service national universel, la question de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme est toujours présente. J'y reviendrai, si vous le souhaitez, en réponse à vos questions.
Ensuite, nous nous sommes organisés spécifiquement pour la défense des valeurs de la République. À cet égard, en revanche, une nouvelle étape a été engagée depuis 2017.
Nous avons créé le conseil des sages de la laïcité, dont le champ d'intervention inclut la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Il mène un travail pluridisciplinaire qui nous permet, entre autres, d'établir un certain nombre de règles, de points de repère pour les acteurs de l'éducation nationale, aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique. Ainsi, nous avons rédigé un vade-mecum sur la laïcité. Un autre, datant du mois de janvier, et que je vous distribuerai, s'intitule quant à lui : « Agir contre le racisme et l'antisémitisme ». Il comprend des fiches extrêmement pratiques : « Répondre à des insultes et des injures racistes/antisémites », « Répondre à des violences à caractère raciste/antisémite », ou encore : « Quelles procédures mettre en œuvre pour répondre au racisme et à l'antisémitisme en milieu scolaire ? ».
Nous avons aussi mis en place ce que nous appelons les équipes « valeurs de la République ». Présentes dans chaque rectorat, elles ont vocation à intervenir chaque fois qu'un problème de cette nature est posé, qu'il s'agisse de racisme, d'antisémitisme ou d'une atteinte à la laïcité : quand un acteur se sent démuni, il peut faire appel au rectorat. Nous envoyons ainsi deux messages : premièrement, que le personnel n'est jamais seul face à ce type de situation ; deuxièmement, que tous les faits de cette nature doivent être signalés.
Je n'ignore pas que l'on dit parfois que l'éducation nationale met les problèmes sous le tapis, qu'il s'agisse des violences, des atteintes à la laïcité, du racisme ou de l'antisémitisme. J'affirme que ce n'est absolument pas la doctrine que je fais valoir depuis 2017. Sans juger de ce qui se passait avant, je dis que le message donné aux professeurs, chefs d'établissement et, plus généralement, à tous les adultes qui travaillent dans l'éducation nationale, est même exactement inverse : il faut signaler les problèmes et, si on a le sentiment d'être impuissant, faire appel aux équipes « valeurs de la République », à travers une adresse mail dédiée.
Cela nous permet de commencer à avoir des statistiques, ou à tout le moins des chiffres – qui vous seront communiqués. Cette démarche repose, évidemment, sur la mobilisation de tous. Il est certain qu'il y a encore des inhibitions, parfois même de la peur chez certains acteurs, ou encore la conviction, à tort, que l'institution ne réagira pas en cas de signalement. Mon message est radicalement inverse : « Vous devez signaler ; vous serez protégés ». La force doit être du côté de la République, alors que trop souvent, sur le terrain, le sentiment qui est donné est qu'elle est plutôt du côté du racisme, de l'antisémitisme, de ceux qui veulent intimider, faire pression, mais aussi faire du prosélytisme. Dans l'école de la République, c'est la République qui dit très sereinement le droit et qui montre sa force. Nous donnons donc les moyens intellectuels et humains pour réussir à le faire.
Cela passe aussi par la formation des personnels à ces enjeux, ce que prévoit la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 : dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE), tout futur professeur doit suivre, dans sa formation initiale, des modules consacrés à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, mais aussi à la connaissance des enjeux de la laïcité. Certes, nous ne partions pas de zéro, tant s'en faut, mais nous faisons en sorte de systématiser la formation dans les maquettes des INSPE, et de lui donner une cohérence au niveau national, au moyen de documents comme ceux que je mentionnais.
Vous le voyez, la question est abordée par tous les angles possibles. Je ne prétends pas du tout que la situation est parfaite, bien entendu ; je dis simplement que nous agissons avec beaucoup de volontarisme et que nous prenons le problème à bras-le-corps, en le traitant de manière continue – ce n'est pas juste le cours d'éducation civique et morale qui est le moment où l'on parle de la lutte contre le racisme : c'est une question de vie quotidienne, qui doit permettre à chacun d'être respecté.
Les dispositifs que j'ai détaillés, et qui se sont déployés au fil du temps, visent non seulement à lutter contre les idéologies de haine, tels le racisme et l'antisémitisme, mais aussi à s'attaquer au quotidien aux stéréotypes, au titre de l'égalité hommes-femmes et de la lutte contre les discriminations anti-LGBT – ce qui rejoint les actions que nous menons contre le harcèlement.
Vous avez évoqué les idéologies qui, insidieusement, réintroduisent le racisme, parfois même sous couvert de lutter contre lui : vous avez fait référence, en effet, aux personnes qui prétendent qu'il existe un racisme d'État tout en organisant des réunions racialisées. Il y a là un paradoxe gigantesque, qui doit être dénoncé comme tel. La chose en elle-même aurait d'ailleurs paru absolument invraisemblable il y a de cela encore une vingtaine d'années : que des gens prétendent tenir des réunions en distinguant les participants selon la couleur de leur peau, et ce sous prétexte de lutter contre le racisme, me paraît porteur d'une forme d'ironie terrifiante.
Cela dit, nous ne devons pas sous-estimer ce phénomène, qui prend d'ailleurs différents noms, parmi lesquels l'indigénisme, car ses soubassements intellectuels, y compris dans le monde académique, sont très puissants, et ses conséquences potentielles très graves. Au lieu de lutter contre le racisme, on l'entretient en réalité en continuant à distinguer les gens selon la couleur de leur peau. C'est totalement antirépublicain, et il y a là quelque chose de très insidieux. Les forces à l'œuvre sont considérables ; je ne considère donc pas ce phénomène comme marginal : c'est une tendance intellectuellement et civilisationnellement dangereuse.
Lorsque j'étais recteur, je voyais avec faveur certaines invitations, faites aux jeunes des territoires placés sous ma responsabilité éducative, à découvrir les États-Unis à travers des stages. A posteriori, je le regrette, sachant désormais ce qui se passe dans ces stages : avec une approche que l'on pourrait qualifier d'« à l'américaine » – même si, heureusement, tous les Américains ne pensent pas comme cela –, nourrie de ce que l'on voit dans certaines universités, et que je connais très bien pour l'avoir étudié, on explique à de jeunes Français que le modèle républicain est totalement désuet, que le communautarisme est bien mieux, que la laïcité est une idée pour barbichus de la Troisième République, sans rapport avec les grands enjeux du XXIe siècle, que si l'on veut aller droit vers le bonheur il faut remettre en cause tout cela, et que d'ailleurs la France est un État raciste.
Instiller ces idées dans l'esprit de jeunes souvent issus de l'immigration me paraît profondément antirépublicain, mais également contraire à l'intérêt réel de ces jeunes. Cela va aussi complètement à l'encontre des intérêts de la République, puisque cela consiste tout simplement à monter les gens les uns contre les autres, et surtout à mentir sur le projet républicain, lequel n'a jamais été raciste – c'est même tout le contraire. La France n'est pas un État raciste. Je regrette d'avoir à expliciter tout cela, tant c'est évident.
Toutes les démonstrations par lesquelles on s'efforce de prouver que nous discriminons davantage – et ce, quel que soit le gouvernement – que d'autres pays me paraissent empreints d'une très grande mauvaise foi, et en réalité porteuses d'un projet qui est la haine de la République : la haine raciste s'accompagne d'une haine de la République. C'est vrai des racistes de tous bords : aucun d'entre eux n'a jamais aimé la République, car celle-ci protège contre le racisme.
Nous devons donc être extrêmement attentifs à ces mouvements, et j'insiste sur le continuum qui existe entre, d'un côté, les enjeux ultra-intellectuels et théoriques et, de l'autre, les enjeux ultra-pratiques et politiques : il y a des idées qui, à la fin, débouchent sur des actes – en l'occurrence des actes de violence, parce qu'elles montent les groupes les uns contre les autres.
Si l'on veut lutter contre le racisme et l'antisémitisme, on doit être d'une très grande lucidité sur ces idéologies qui sont à l'œuvre dans le monde entier et sur ce qui les fait vivre en France dans le monde médiatique, académique et politique. Il faut savoir identifier les forces antirépublicaines, car il en existe, aujourd'hui comme en d'autres temps de l'histoire de la République, notamment sous la Troisième. Ces mouvements, qui peuvent avancer sous différentes bannières, se caractérisent par le racisme et l'antisémitisme, celui-ci, en particulier, étant profondément enraciné en eux. La République doit savoir, de façon sereine mais avec force, se défendre contre le racisme, l'antisémitisme et, plus généralement, tout ce qui essaie de fragmenter notre pays.
La République, c'est le commun, c'est l'égalité, c'est la paix civile. La République, c'est ce qui réunit, chacun étant libre d'avoir sa vie personnelle et ses croyances religieuses. Il est assez aisé de distinguer les idées qui unissent et celles qui fragmentent. L'école de la République doit unir, par-delà toutes les différences. C'est une forme d'évidence, mais ce qui caractérise notre temps, c'est justement que certaines évidences n'en sont plus. Il faut rappeler ces évidences si l'on veut tout simplement préparer l'avenir de nos enfants de manière positive.
Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je ne profiterai pas de ma position pour monopoliser la parole, car de nombreux collègues souhaitent vous poser des questions. Je voudrais simplement revenir sur la dernière partie de votre intervention.
Un intellectuel, ancien président – contesté – du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), vient de publier un ouvrage qui s'intitule Les Impostures de l'universalisme. Il y développe la thèse que vous avez évoquée, à savoir que l'universalisme républicain serait en réalité une violence contre les cultures d'origine, qui se manifesterait notamment à l'école. En creux, on y lit une critique du modèle d'assimilation républicain, dont on peut par ailleurs discuter. Je me demande donc, et cette question me paraît fondamentale, comment l'école gère la concurrence des mémoires et des origines. Celle-ci est en effet exacerbée, notamment dans les établissements scolaires.
D'un point de vue plus pratique, l'école développe de nombreuses coopérations avec des associations œuvrant dans le domaine de l'éducation et de la citoyenneté : selon vous, les actions en ce sens sont-elles suffisantes, et quels dispositifs d'encadrement l'éducation nationale met-elle en œuvre au niveau local ? En effet, il importe de vérifier que ces interventions en milieu scolaire, qui, par définition, se distinguent du discours des professeurs – lesquels, pour leur part, sont de plus en plus formés aux enjeux du racisme, comme vous l'avez rappelé –, sont compatibles avec le projet que vous avez défendu. Il faut se garder d'alimenter la concurrence des mémoires, qui aboutit à une forme d'individualisme, de « moi je » – qu'est-ce que l'on fait pour mes droits, pour ma communauté, pour ma religion ? – que l'on observe dans la société française, en particulier chez les plus jeunes.
Il faut effectivement faire preuve de lucidité et ne pas être naïf, quelle que soit la personne ou l'association qui s'exprime – un grand nombre sont passées ici avant vous – et se demander quel est le projet derrière le discours.
L'idéologie indigéniste cherche à mettre à mal certaines des valeurs de la République. Il n'en demeure pas moins que ce discours, même minoritaire, attire une majorité de jeunes, à qui il semble séduisant, facile à comprendre – probablement simpliste, en réalité. Comment expliquer la persistance des discriminations, sinon par le fait qu'un méchant État laisse faire ?
Outre le fait que ce discours est assez séduisant, on peut incriminer le fameux paradoxe soulevé par Tocqueville, souvent rappelé ici : plus on s'approche de la perfection, plus les imperfections deviennent insupportables. C'est certainement un casse-tête pour l'éducation nationale elle aussi : alors qu'elle se rapproche d'un modèle aussi peu raciste et discriminatoire que possible, certains jeunes continuent à se sentir discriminés, comme un certain nombre de nos concitoyens.
S'ajoute à cela une fracture générationnelle : les personnes ayant immigré il y a deux ou trois décennies savent ce qu'elles ont gagné en arrivant en France et ce qu'elles ont laissé derrière elles ; leurs enfants, eux, n'ont pas forcément ce point de comparaison, et ont des exigences d'ailleurs très françaises : ils sont nés en France et, comme tout Français, ils ont le droit de manifester, et l'utilisent dans des mouvements de protestation comme ceux qui ont eu lieu en mai et en juin. C'est un paradoxe auquel je ne vois pas nécessairement d'antidote.
En ce qui concerne la concurrence des mémoires, peut-être faudrait-il des symboles, par exemple la reconnaissance de certains événements de notre histoire – il a souvent été question de l'enseignement de l'esclavage et de la colonisation. Selon vous, cela peut-il être un vecteur ? Y en a-t-il d'autres que nous n'avons pas encore envisagés ?
Vos deux séries de questions sont en intersection, si j'ose dire.
Si je n'ai pas lu le livre de l'ancien président du CRAN, j'imagine très bien ce qu'on peut y trouver. Au moins, les choses sont claires s'agissant des idées en présence et du combat qui se joue – car, je le répète, ce n'est pas un combat d'idées au sein de la République, comme il peut y en avoir dans l'hémicycle : c'est un combat entre la République et ses ennemis. Quelqu'un qui tient le genre de discours dont il est question ici est un ennemi de la République, il se dit lui-même adversaire de ce qui a fondé la République.
D'une certaine façon, derrière cela, il y a aussi une critique de l'universalité du genre humain : quand on considère que l'universalisme républicain est porteur de racisme, en réalité, on cherche à faire du différentialisme. Pour avoir beaucoup étudié la période coloniale en Amérique latine, je sais très bien à quoi mène ce genre de choses. Je pense à certains tableaux de l'époque, où des bandelettes de couleur sont représentées à côté de la tête des personnages pour mesurer leur proximité avec la couleur blanche ou la couleur noire, sans oublier les peuples indigènes. On établissait ainsi jusqu'à 94 catégories. C'est une casuistique détestable. Voilà à quoi aboutit une société quand elle s'engage sur la pente fatale consistant à classer les gens en fonction de leurs origines.
On ferait exactement la même chose si, au nom du combat pour la mémoire et de la dénonciation du passé, on commençait à se pencher sur la généalogie de chacun pour déterminer son degré de victimisation, et donc de droits. Un tel projet est l'inverse de la République, où ce qui compte, c'est d'être soi et d'être un citoyen, ce à quoi sont attachés des droits aussi bien individuels que collectifs. La République garantit un équilibre entre l'individu, qui a droit à la même considération que n'importe quel autre, et la collectivité, étant entendu que la vie commune ne saurait être polluée par des considérations sur les origines des uns et des autres.
Force est de reconnaître que le modèle républicain français, dont la laïcité est l'un des fondements, ne se retrouve pas à l'identique dans tous les pays. Ce n'est pas pour autant qu'on doit considérer qu'il est obsolète ou qu'il n'est pas valable. Je prétends que, face aux problèmes de notre époque, c'est au contraire le modèle qui fonctionne. Alors que l'on peut légitimement se demander si la démocratie va survivre à internet, c'est-à-dire à l'immédiateté, à l'agressivité, à la parole raciste et antisémite totalement libérée, le projet républicain est à mes yeux le fil à plomb, la quille, le flotteur, ce qui permet d'avoir du commun. Il faut en avoir clairement conscience et le dire.
Vous avez tout à fait raison de parler d'une concurrence des mémoires, monsieur le président. Comment s'assure-t-on que les forces antirépublicaines ne s'insinuent pas dans l'école au travers du monde associatif ? C'est un enjeu important, en effet. Il faut y être très attentif. L'éducation nationale donne des agréments, on n'entre pas dans un établissement comme dans un moulin ; certains s'en offusquent parfois, mais c'est heureux. Il faut avoir des points de repère, de façon à ne pas se tromper, même si, évidemment, les approches sont très diverses. Quoi qu'il en soit, nous faisons une large place aux associations qui luttent contre la discrimination, ce qui est, normalement, cohérent avec le projet républicain. Un travail philosophique et politique doit être fait en amont du travail pratique.
Vous avez dit, madame la rapporteure, que les jeunes étaient attirés par cette idéologie. C'est en partie vrai. Dans certaines structures, par exemple les rédactions des journaux, il y a d'ailleurs des fractures générationnelles : ceux qui ont moins de 35 ans ne pensent pas la même chose que leurs aînés. Il existe un certain nombre de matrices universitaires qui produisent dans la jeunesse une sorte de nouveau conformisme qui consiste à penser que le modèle républicain est un mauvais projet. Le meilleur antidote, selon moi, réside dans la comparaison internationale : examinons ce que produit un modèle, puis le modèle opposé.
La France n'a absolument pas à rougir des parcours de vie qu'elle permet d'avoir à ceux qui s'y installent. Je suis très attentif à ce qui est dit sur ce point, car bien des propos peuvent se révéler contre-productifs. Pour moi, qui ai été recteur dans les académies les plus pauvres de France, que ce soit outre-mer ou dans l'Hexagone, il est évident que, dans les quartiers populaires, on trouve des parcours extrêmement réussis. Or ce ne sont jamais ceux-là que l'on souligne. Au contraire, il y a comme un intérêt de la part des extrêmes à souligner les échecs, que ce soit pour dire qu'il faudrait lutter contre l'arrivée des uns et des autres, ou pour s'opposer au modèle républicain. C'est là quelque chose d'extrêmement insidieux et contre‑productif.
J'affirme que le modèle républicain fonctionne encore plutôt bien sur le plan social, même si, évidemment, il reste beaucoup de progrès à faire. Quand on se regarde, on peut se désoler, mais quand on se compare, on peut vraiment se consoler. J'invite vivement chacun à voir les parcours des enfants de l'immigration dans les différents pays, puis à se demander si la France est vraiment le pays où l'on est le plus mal loti. L'école de la République, en tout cas, est totalement mobilisée pour compenser les inégalités et constituer un modèle attractif pour la jeunesse.
De fait, nous avons un grand défi devant nous : montrer que le modèle républicain n'est pas désuet, que la laïcité n'est pas désuète. À propos de laïcité, je garde en mémoire les discussions au début des années 2000, notamment autour de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : le débat était déjà structuré de la même façon. On nous expliquait que la laïcité à la française était vraiment une conception obsolète, et de nombreuses voix étrangères se faisaient entendre pour dénoncer une bizarrerie de notre pays. Or je reçois de nombreuses délégations étrangères venues voir ce qu'est notre laïcité, et qui se demandent si, en définitive, ce n'est pas notre approche qui permet de faire du commun et d'éviter les fragmentations sociales et sociétales qui caractérisent l'époque.
On doit porter haut le drapeau de la République, pour la France elle-même mais aussi pour son rayonnement international. C'est d'ailleurs un autre élément de réponse à ce que vous disiez, madame la rapporteure : on ne fait jamais envie quand on est faible, et on ne saurait espérer que les enfants de France, toutes origines confondues – mais c'est encore plus vrai s'ils sont issus de l'immigration –, aient envie d'être français si les adultes français, y compris les responsables politiques que nous sommes, expliquent à longueur de journée que la France est un pays qui fait tout très mal, et qui a toujours tout fait très mal. Je suis frappé de voir à quel point, aux États-Unis, où, disons-le franchement, on est plus mal accueilli qu'en France quand on arrive, il y a une sorte d'estime de soi collective – je parle là de l'ensemble de la population, pas des universités – qui fait que ce genre de thème prend moins que chez nous. C'est tout simplement parce qu'on est fier d'appartenir à une entité qui a l'air forte.
Si la France se croit en déclin ou non désirable, elle sera en déclin et non désirée. Si au contraire elle affirme avec force son projet républicain, les enfants de la République aimeront la République. C'est ce qui s'est passé pour toutes les générations précédentes, mais on voit que cela commence à faire défaut depuis quelque temps. Si on veut réellement, et pas seulement dans les mots, le bien de ces enfants, de nos enfants, de tous les enfants de France, on doit leur présenter, d'abord, un avenir positif en général – ce qui nous renvoie aussi à notre façon de parler de l'écologie –, et ensuite un avenir français positif. Les discours d'un pessimisme absolu, la collapsologie et la haine de soi n'ont jamais produit une citoyenneté puissante. La solution n'est donc pas à chercher dans un surcroît de repentance et de pessimisme. On sait très bien que cela mène dans une impasse – ce que l'on constate d'ores et déjà : il n'est qu'à voir, par exemple, le parcours psychologique et intellectuel de ceux qui sombrent dans le radicalisme islamiste. S'ils ont eu ce parcours, c'est évidemment parce qu'ils ont absorbé des discours contre le pays qui pourtant est le leur, et qui, disons-le franchement, a certainement bien des défauts, mais n'apparaît pas si négatif que cela quand on se met à comparer la vie qu'on y mène à celle dans d'autres pays.
Ma première question concerne la diversité et la visibilité. Nous avons beaucoup entendu parler, pour lutter contre le racisme, de la notion d'exemplarité, liée à la possibilité offerte aux jeunes de voir que la diversité existe. Certes, les statistiques ethniques sont interdites, mais force est de constater – je puis en témoigner, ayant moi-même été enseignante – qu'en dehors de la région parisienne, les professeurs issus de la diversité sont rares. Je trouve cela dommage, car si les élèves étaient confrontés directement à des professeurs « différents », le dialogue serait peut-être plus serein.
Ma seconde question, que j'ai déjà eu l'occasion de vous poser, concerne la place des pratiques artistiques à l'école – j'aime à y revenir, vous le savez. Dans le cadre de la mission d'information sur la radicalisation dans les services publics, des enseignants nous avaient raconté comment, par l'intermédiaire du théâtre, en travaillant sur des textes de Rachid Benzine, par exemple, certains jeunes, en étant ainsi confrontés à l'histoire parfois douloureuse de leur pays d'origine ou de celui de leurs parents, arrivaient à dire et à comprendre des choses qu'il n'est forcément possible de faire passer par l'instruction civique, si importante soit-elle, la géographie ou l'histoire. Il me semble donc important de développer la pratique théâtrale à l'école : c'est un outil de remédiation, non seulement pour certaines difficultés d'apprentissage, mais surtout pour la difficulté qu'ont certains jeunes à se voir tels qu'ils sont et à renouer un lien avec leur histoire familiale.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre propos liminaire déterminé et fort, mais je suis un peu plus pessimiste que vous. Il y a près de vingt ans, paraissait l'ouvrage intitulé Les Territoires perdus de la République. Pour la première fois, un livre sans langue de bois, sans tabou, rédigé par des fonctionnaires de l'éducation nationale, mettait en lumière la triste réalité dans certains quartiers, à savoir l'antisémitisme, l'islamisme, la francophobie, la haine du Blanc, la misogynie. Dès cette époque, certains témoignages glaçants faisaient état, par exemple, de l'impossibilité d'enseigner la Shoah sans provoquer des troubles.
Vingt ans après, la situation est-elle meilleure ? Je pense qu'elle est pire. Les élèves juifs ont déserté un nombre considérable d'établissements de la République. Il n'y en a plus un seul dans les écoles du 93, y compris à Drancy – Jean-Christophe Lagarde me le confirmait –, parce qu'ils sont la cible de brimades et de violences. Dans un contexte infesté par l'antisémitisme, marqué par la haine d'Israël, le mot juif est devenu une insulte. Mais, croyez-moi, mon inquiétude est au moins aussi importante pour la France que pour les juifs.
Tout récemment, la polémique autour du rappeur antisémite Freeze Corleone, véritable star pour les lycéens de certains quartiers, nous a rappelé l'ampleur du problème. Je vais citer quelques passages : « rien à foutre de la Shoah », « j'arrive déterminé comme Adolf dans les années 30 », « les rentiers juifs », « fuck un Rotschild ». J'ai interrogé le Premier ministre la semaine dernière, et c'est Roselyne Bachelot qui m'a répondu. Elle a dit d'une façon lapidaire, en moins d'une minute, qu'elle condamnait évidemment l'antisémitisme – quel scoop : comment aurait-il pu en être autrement de la part de la ministre de la culture ? – mais qu'elle trouvait à ce rappeur un talent immense. J'ai été choqué par sa réponse, comme tout mon groupe politique. Nous avons écrit au Président de la République. Le problème n'est pas seulement qu'il s'agit d'un rappeur antisémite, mais qu'il est diffusé sur le Mouv' : le service public fait sa promotion. Je crois qu'il y a encore eu hier un débat où on s'est coupé les cheveux en quatre à ce sujet.
Par ailleurs, certains choix pédagogiques sont incompatibles avec la République. Je vous ai posé une question écrite en juillet dernier à propos d'un manuel des éditions Magnard, destiné aux élèves de terminale, qui fait un amalgame entre Al-Qaida et la bataille de Waterloo, qui reproduit des déclarations entières de Ben Laden et qui comporte de fausses citations, comme celle-ci, prêtée à David Ben Gourion : « Si j'étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C'est normal : nous avons pris leur pays ». Vous avez dit, monsieur le ministre, et je le dis aussi tout le temps, qu'aucun enfant ne naît raciste, antisémite ou radicalisé. Néanmoins, certains le deviennent de plus en plus rapidement : c'est une immense source d'inquiétude. Le contexte familial joue un rôle, bien sûr, mais l'éducation nationale apporte-t-elle réellement toutes les réponses ? Comment peut-on améliorer la situation ? Comment faire en sorte que de tels ouvrages n'aient plus leur place dans l'éducation nationale ?
Merci infiniment pour votre présence, monsieur le ministre. Nous savons tous à quel point vous vous battez pour que l'école, qui est la colonne vertébrale de notre République, soit bien conforme à nos valeurs.
L'année dernière, des affiches électorales de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) ont fait polémique. J'ai aussi en tête la charge violente qu'une mère a subie lors d'une réunion du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Loin de moi l'idée de stigmatiser une religion – ce serait contraire à l'essence même de cette mission d'information… Ne pensez-vous pas, néanmoins, que la législation devrait évoluer pour faire en sorte que la laïcité, si importante pour notre école républicaine et pour l'avenir, soit un peu plus présente ou mise en avant ?
Merci, monsieur le ministre, pour la franchise de vos propos.
J'ai une question, que je ne vous pose pas parce que je suis un passionné d'histoire mais parce que la connaissance des mécanismes permet de mieux lutter : le relativisme ou le laxisme républicain, les deux étant liés, sont-ils récents ou anciens selon vous ? Vous avez déclaré que vous regrettiez d'avoir à redire que c'est le modèle républicain qui nous permet d'être tous autour de cette table, quelles que soient nos origines – ce qui est important.
Quand le phénomène que nous connaissons actuellement a-t-il commencé ? Les personnes qui promeuvent cette sorte de déclinisme ont-elles fait l'objet d'études – sociologiques ou géographiques ? Cela concerne-t-il plutôt des populations arrivées tardivement dans notre pays ou, au contraire, des « Gaulois » qui considéreraient finalement que la France évolue au fur et à mesure de l'arrivée de populations pour lesquelles elle a, pourtant, toujours été une terre d'accueil ?
Merci, monsieur le ministre, pour l'ensemble des efforts réalisés par votre ministère et par celui des sports, dont vous êtes également en charge.
Le constat est relativement inquiétant, même si vous avez fait part de vos raisons d'espérer. C'est par le renforcement des valeurs de la République, à laquelle nous tenons, que nous pourrons apporter des réponses.
Des gamins, et pas seulement ceux des quartiers populaires, qui voudraient accéder à certains centres de formation publics d'excellence, notamment dans le domaine du football, subissent des discriminations. Il ne s'agit pas de racisme institutionnalisé : c'est plus sournois. Ils sont empêchés d'aller dans des filières d'excellence en raison d'impératifs de résultats – des taux d'accès aux classes préparatoires ou aux écoles d'ingénieurs, par exemple.
Doit-on préférer l'assimilation ou l'intégration ? J'ai bénéficié de l'intégration républicaine. Je n'ai pas eu à choisir entre mon père et ma mère : j'ai deux cultures, deux nationalités, et j'en suis fier. Le travail de mémoire peut redonner de la fierté aux jeunes des quartiers et éviter qu'ils aillent vers l'islamisme radical et politique. À l'occasion du 150e anniversaire de la proclamation de la Troisième République et de la guerre de 1870, qui n'est plus enseignée à l'école, un hommage a été rendu à des tirailleurs algériens qui ont été massacrés lors de la bataille de Borny. Un quartier populaire comptant 20 000 habitants se trouve aujourd'hui sur le site de cette bataille. On pourrait enseigner cette période tragique de notre histoire.
Des parents n'ont pas d'autre solution que d'inscrire leurs enfants dans des écoles coraniques pour qu'ils apprennent l'arabe, mais on leur inculque en réalité une vision de l'islam qui ne correspond pas à notre République. J'aimerais donc que l'arabe soit enseigné dans nos écoles. La République a laissé tomber une partie de nos concitoyens qui pourraient se retrouver très largement dans ses valeurs.
Merci, monsieur le ministre, de marquer par votre présence l'intérêt que vous portez au sujet sur lequel nous travaillons.
Ce que vous avez dit est tout à fait vrai : il faut continuer à travailler, mais beaucoup a déjà été fait. Des parents d'élèves me disent qu'ils voient une amélioration depuis quelque temps, même si tout n'est pas parfait – beaucoup d'entre eux ne savent pas comment signaler certains faits ou certaines réactions. Il faudrait un dispositif très simple, comme un numéro de téléphone ou un site internet. Les gens ne savent pas quoi faire et n'osent pas aller parler au directeur ou au proviseur lorsque leur enfant est victime de racisme.
La prévention est très importante. Le meilleur bouclier est sans doute la connaissance mutuelle des cultures, le partage. Quand des gens participent aux fêtes, aux événements qui sont organisés, ils s'approprient une partie de la culture des autres, et cela permet de désamorcer beaucoup de problèmes.
Le maintien d'une double culture grâce à la maîtrise de la langue est essentiel. Le 13e arrondissement de Paris accueille la filière internationale de langue chinoise depuis onze ans. Nous avons un peu essuyé les plâtres dans ma circonscription, mais c'est une vraie réussite aujourd'hui. Il y a beaucoup de demandes. Les enfants s'épanouissent en chinois, les professeurs disent qu'ils font des progrès en mathématiques, en partie enseignées dans cette langue, et on observe un regain d'intérêt pour l'école en général. Maintenant qu'on sait comment le système fonctionne, on pourrait l'appliquer un peu partout.
Avoir des manuels qui évoquent des cultures différentes peut aussi aider à mieux prendre en compte les différences et à mieux partager notre histoire commune. Le Président de la République a rendu hommage aux travailleurs chinois lors du centenaire de la Première Guerre mondiale. Vous ne pouvez pas imaginer les retours que j'ai eus de la part de leurs descendants… Les anciens – les parents et les grands-parents – étaient très fiers que leur famille ait contribué, même si c'était à un tout petit niveau, à l'histoire de France, et il y avait aussi le soulagement d'être enfin reconnu, un siècle plus tard. Du côté des enfants, le sentiment d'appartenance à la France s'est renforcé.
Je ne connais pas beaucoup de pays qui permettent à un enfant arrivé en tant qu'apatride de devenir député, après être allé à l'école de la République. On critique beaucoup, mais peu de pays peuvent se vanter d'avoir un système aussi efficace que le nôtre. Pour ma part, je dis bravo !
Je voudrais dire, au préalable, que je ne minimise aucunement les faits d'islamophobie, d'antisémitisme ou de racisme, de quelque forme que ce soit.
S'agissant de la laïcité, qui permet de vivre ensemble, vous avez fait part de votre approche personnelle selon laquelle un parent accompagnateur ne devrait pas porter de signe religieux – il s'agissait, en l'occurrence, de femmes voilées. On n'attend pas d'un ministre qu'il exprime une opinion personnelle sur telle ou telle manière d'envisager sa foi, mais qu'il garantisse le respect des principes républicains. Donner son opinion en la matière, n'est-ce pas alimenter un débat que l'on voit émerger partout dans la société ? C'est ma première question, que je vous pose sans esprit de polémique…
Ma deuxième question est plus taquine : qu'appelez-vous une tenue « républicaine » ?
J'ai vu récemment, sur ARTE, un film basé sur l'histoire réelle d'un enseignant d'un lycée du Val-de-Marne, peut-être de Créteil, qui amenait l'ensemble d'une classe à adhérer à un projet concernant la Shoah. Ne pensez-vous pas qu'au lieu de changer la loi sur la laïcité, il faudrait former – bien former – les enseignants ? C'est plutôt sur ce sujet que devrait porter une nouvelle loi.
Lors de la plupart de nos auditions, il a été question de la difficulté de s'approprier un récit national et de la possibilité d'en écrire un. Les territoires ultramarins font partie de la République mais ce n'est pas nécessairement évident dans le récit transmis aux enfants. Que pourrait-on faire dans le cadre des programmes scolaires ?
Vous voyez, monsieur le ministre, que la composition de la mission d'information reflète la diversité politique de l'Assemblée nationale, conformément à son règlement, et de la majorité.
Il se trouve – ce n'est pas toujours le cas – que je suis totalement d'accord avec ce que vous avez dit, madame Victory.
Vous avez évoqué à juste titre l'exemplarité. On en parle beaucoup à propos de la télévision, mais cela concerne aussi l'école. Une de ses caractéristiques sous la Troisième République était d'être un escalier social pour les professeurs, les fameux « hussards », qui étaient souvent des fils de paysans : ils devenaient instituteurs, ce qui constituait une promotion sociale, et leurs enfants avaient souvent un très bel avenir. Ce phénomène a été très significatif quantitativement, puisqu'il y a eu beaucoup d'instituteurs et d'institutrices, mais aussi sociologiquement. Nous devons retrouver cela, mutatis mutandis – nous l'avons un peu perdu.
Les tenants des idéologies qui, sous couvert d'antiracisme, font du racisme, sont très rarement des personnes issues de l'immigration. Il s'agit très souvent de « petits Blancs », si vous voulez bien me pardonner cette expression que je place bien entendu entre guillemets, qui souffrent d'une sorte de complexe : ils se sentent obligés de dénigrer le pays dont ils sont issus. C'est ce que je constate empiriquement. Cela nous renvoie à bien d'autres sujets que je n'ai pas le temps de développer.
Certains professeurs se sentent peut-être déclassés. Le grand sujet sur lequel je travaille actuellement est la revalorisation du métier d'enseignant. Il faut renforcer sa dignité et sa capacité à être un facteur d'ascension sociale et de diversité. Une des questions qui se posent, avec d'autres qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'objet de votre mission d'information, comme les deuxièmes carrières, concerne les enfants issus de l'immigration. Je vais prochainement proposer des mesures visant à mieux repérer des adolescents qui auraient la vocation, afin de leur attribuer des bourses le plus tôt possible, dès le collège, et de les accompagner dans un parcours qui pourrait conduire ceux qui ont un talent dans les matières scientifiques, par exemple, à une carrière d'enseignant. Dans la lignée de ce que le Président de la République a commencé à dire à propos de l'égalité des chances, nous devons mener de véritables politiques volontaristes. La diversité « visible », comme on dit, sera la conséquence d'une politique sociale.
Je suis complètement d'accord avec vous sur le rôle de l'éducation artistique et culturelle dans la diffusion des messages antiracistes, de manière fine et humaine. C'est un des arrière-plans du développement de l'éducation artistique et culturelle, notamment du théâtre, sur lequel vous avez insisté, mais aussi de l'expression orale, dont la maîtrise contribue à une vie collective meilleure car c'est autant de subtilité en plus dans le débat et de violence en moins.
Vous avez dit, monsieur Habib, que vous étiez plus pessimiste que moi. J'essaie d'être surtout d'être lucide, et je considère qu'on ne doit pas être pessimiste, par principe. Je pourrais me laisser aller au pessimisme mais je ne le veux pas. On ne fait pas envie, je l'ai dit, quand on n'est pas fort. Or la France doit l'être. Quelles que soient les difficultés que l'on constate – certaines sont bien réelles –, il faut tenir un langage positif. Ne créons pas un cercle vicieux du désespoir, si je puis dire.
Vous estimez que la situation s'est aggravée depuis vingt ans. Je pense que c'est vrai à certains égards, mais pas à d'autres. En ce qui concerne les enjeux abordés par le livre Les Territoires perdus de la République, nous n'aurions pas eu les mêmes débats il y a vingt ans : la conscience des problèmes est désormais plus forte. Ils sont moins mis sous le tapis. Si la situation est parfois pire, c'est parce que nous payons le prix de l'absence de lucidité d'il y a vingt ans. Je veux croire que nous semons quelques graines pour un avenir plus positif, même si on ne peut pas prétendre que les combats sont gagnés d'avance. Ils sont rudes, mais je pense qu'il faut rester positif.
S'agissant du rappeur que vous avez évoqué, je partage tous vos propos. Au-delà de ce cas profondément scandaleux, certains artistes contribuent à une culture de la fragmentation, de la haine. La question est complexe : il y a évidemment la liberté d'expression, la liberté artistique, mais il n'est pas acceptable de franchir certaines limites. Il faut appliquer la loi et dire ce que vous avez dit : ces personnages, même s'ils prétendent très souvent pratiquer le second ou le troisième degré, sont ignobles, et on doit faire honte à ceux qui les apprécient.
En ce qui concerne les manuels scolaires, il faudrait regarder le cas que vous avez cité. Les manuels relèvent de la liberté éditoriale, et il arrive qu'on soit étonné par certains d'entre eux. Ce qui relève de ma compétence, ce dont je suis responsable, ce sont les programmes. Tous ceux du lycée ont changé au cours des deux dernières années. J'assume pleinement certaines évolutions que je considère comme positives s'agissant des questions que nous abordons ensemble ce matin.
Absolument. Chaque éditeur publie le manuel qu'il veut, dans le respect des lois, et les professeurs choisissent. On peut nous signaler des problèmes, comme vous le faites, et nous engageons alors un dialogue. On pourrait en débattre, mais voilà la situation actuelle.
Vous vous êtes étonnée, à juste titre, madame Valetta Ardisson, de ce que la FCPE ait semblé s'éloigner du principe de laïcité qui était à l'origine de sa création. Je ne vais pas revenir sur ce point, même s'il m'étonne et m'inquiète.
Vous avez envisagé une évolution législative ou réglementaire pour faire en sorte que la laïcité soit plus présente. La loi pour une école de la confiance nous permet d'améliorer la formation des professeurs dans ce domaine. Le projet de loi contre le séparatisme, dont le Président de la République présentera les principes demain, concernera notamment l'école. En matière de laïcité – il ne faut pas confondre cette question et celle de la lutte contre le séparatisme, même s'il peut y avoir un cousinage –, je considère que l'arsenal législatif est assez développé et que nous devons surtout appliquer la loi. Nous agissons surtout à travers le conseil des sages de la laïcité et les équipes académiques « valeurs de la République », dont j'ai déjà parlé.
La question des origines du relativisme que l'on pourrait qualifier d'antirépublicain fait l'objet de travaux académiques, monsieur Eliaou. C'est un phénomène multifactoriel. Il a une dimension propre à la France – la volonté de construire une histoire critique finit presque par devenir un principe – mais aussi une dimension internationale. J'ai fait référence tout à l'heure aux universités américaines, mais il y a aussi des puissances qui ont intérêt à ce qu'un relativisme culturel s'installe en France. C'est ce que nous avons cherché à éviter lorsque nous avons remplacé l'enseignement des langues et des cultures d'origine (ELCO) par des enseignements internationaux de langues étrangères (EILE) sous le contrôle de la République et non sous celui de pays étrangers. La France ne doit pas être une sorte de terrain ouvert où différents pays développent un radicalisme religieux ou un nationalisme allant à l'encontre de nos intérêts. Cette dimension internationale ne doit pas être sous-estimée.
Il y a aussi, dans le champ des idées, un combat entre différentialistes et universalistes qui porte notamment sur la façon de lutter efficacement contre le racisme. La situation n'est pas figée : on observe actuellement une espèce de frénésie dans la course à la victimisation. Le problème doit être nommé, et je pense que nous devons réactiver des capacités d'analyse pour travailler sur ce qui se passe, sur les réseaux, pour comprendre pourquoi telle ou telle institution française d'enseignement supérieur est désormais totalement conquise par les théories indigénistes, pourquoi il faut avoir cité un maximum d'auteurs de cette école si on veut devenir maître de conférences en sociologie et pour quelles raisons une sorte de victoire intellectuelle a été remportée par le camp antirépublicain dans les universités, y compris en France. Ce sont, pour moi, des enjeux matriciels qui s'inscrivent dans une véritable généalogie intellectuelle, depuis des décennies.
Je suis d'accord avec l'ensemble de vos observations, monsieur Belhaddad. Il est important que vous témoigniez, de même que M. Tan, du fait qu'une double origine culturelle n'est pas un problème et que cela constitue même un atout. Notre République fait ce que vous avez décrit, depuis des générations.
Nous insistons davantage sur le rôle des tirailleurs algériens pendant la guerre de 1870 dans différents musées et différentes cérémonies. Il existe parfois plusieurs manières de décrire les choses. Ce qu'il y a de positif dans ce que vous avez dit, et dans ce que M. Tan a rapporté au sujet des travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale, c'est la fierté qui en résulte, alors que certains voudraient voir dans ces faits, au prix d'un anachronisme, une exploitation de peuples qui auraient été soumis. Ce qui a fonctionné dans l'éducation nationale, avec les « hussards de la République », et dans l'armée, c'était la fierté de participer. Il faut montrer le rôle de tout le monde dans les combats de la France pour sa survie. Des acteurs très divers, venus du monde entier, y ont participé. Il faut mettre en avant ces exemples pour que les enfants aient envie d'être des citoyens français.
Si ce qu'on donne à voir est un pays qui se soumet à la phraséologie de je ne sais quel rappeur ou aux anachronismes de je ne sais quel faux historien, on ne fera envie à personne. Il n'y aura plus qu'à tirer les rideaux et à éteindre la lumière. Si on a une histoire fière d'elle-même – dans sa complexité, bien entendu – et incluante, qui montre que la diversité des origines n'a jamais été un problème dans l'histoire de la République, dès lors qu'on respecte le contrat social et le projet républicain, alors on a quelque chose à dire. Tout peut être vu d'une façon qui fait envie et qui renforce le projet républicain ou d'une façon qui conduit, au contraire, au cercle vicieux de la victimisation.
J'ai un peu répondu à la question portant sur l'apprentissage de l'arabe lorsque j'ai évoqué les EILE. Il faut que les langues de civilisation que sont le chinois, le russe et l'arabe soient enseignées dans l'école de la République, ce qui est notamment le cas dans le second degré – cela se développe beaucoup ces dernières années. On doit avoir une solution alternative à l'école coranique du coin. Il faut y travailler dans un cadre scolaire et périscolaire. J'observe que peu de pays offrent, comme nous le faisons, ce type d'enseignement. Si vous habitez à l'étranger, je ne suis pas sûr qu'on proposera à vos enfants des cours de français.
Merci d'avoir dit, monsieur Tan, que des parents commencent à voir notre politique de lutte contre la violence, les discriminations, le racisme et l'antisémitisme. Vous avez souligné qu'ils ne savent pas toujours très bien comment faire des signalements. Nous devons prendre en compte cette observation pour rendre les choses plus simples. La voie de recours normale, quand il y a un problème, est néanmoins de s'adresser au chef d'établissement. Il faut éviter les raccourcis qui, loin de permettre une plus grande efficacité, ont surtout pour effet de tout désorganiser.
L'enseignement dans une langue étrangère, comme les cours de mathématiques en chinois ou les cours d'histoire-géographie en espagnol, par exemple, est très positif. Nous devons développer les classes bilangues. Nous le faisons – mais nous pourrions peut-être aller plus loin.
Merci également d'avoir insisté sur le fait que vous ne connaissez pas beaucoup de pays qui permettent des parcours tels que le vôtre. Je crois que c'est vrai et que cela doit être dit. On entend trop souvent des lamentations, alors que le projet républicain a encore une très grande force.
Je me suis déjà beaucoup exprimé sur le premier point que vous avez évoqué, madame Rubin, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance. J'ai même fait un discours spécifique au Sénat en réponse à un amendement. S'agissant du port du voile, ou de signes religieux ostentatoires, par des parents accompagnateurs – ce qui n'est pas la principale question qui se pose en matière de laïcité, il faut remettre les choses à leur place –, on peut prendre en compte soit le temps soit l'espace. Si on considère qu'il s'agit d'un temps scolaire, il ne doit pas y avoir de signes ostentatoires ; si on considère le lieu – on est en dehors de l'espace scolaire –, il y a une liberté en la matière. Les directeurs d'école peuvent demander aux accompagnants qui, d'ailleurs, ne sont pas que des parents d'élèves, d'éviter toute forme de pression. Si cela empêche une sortie, ils ne le font pas. C'est du pragmatisme.
Vous m'avez demandé ce qu'est une tenue « républicaine ». Je n'ai aucun problème avec cet adjectif. Il a un sens que chacun comprend, mais je vais bien volontiers l'expliciter : c'est ce qui permet le commun. La manière de se vêtir, de se présenter a quelque chose à voir avec la civilité. Les différents lieux où nous nous rendons ne sont pas régis par les mêmes codes vestimentaires. L'école de la République n'est pas un endroit comme les autres. J'ai pu dire qu'on ne va pas à l'école comme à la plage : c'est un fait.
On ne doit pas y faire montre, de façon ostentatoire, de sa religion, de son argent – c'est la question, à laquelle je suis certain que vous êtes sensible, des marques et de la concurrence très matérialiste qui peut exister entre les enfants en matière de vêtements – ou de son nombril, si vous me permettez d'utiliser cette expression. On doit faire preuve d'une décence normale. Cela ne va pas à l'encontre de l'égalité entre les garçons et les filles, bien au contraire : ce discours les concerne tout autant. On ne porte pas de casquette à l'école de la République, par exemple. Les personnels de l'éducation nationale la font enlever à l'entrée. C'est une question de respect des autres.
On ne peut pas développer toute une casuistique à l'échelle nationale, d'autant que les conceptions peuvent évoluer avec le temps, mais j'apporte mon soutien aux professeurs et aux chefs d'établissement qui doivent faire vivre les principes, avec les parents.
C'est la même chose pour le langage : un enfant ou un adolescent ne doit pas parler de la même façon à un professeur et à ses camarades. On tolère très bien un langage relâché entre enfants, dès lors qu'il n'est pas violent, mais il faut s'adresser autrement à un adulte. Si on ne distingue pas les registres, qu'il s'agisse du langage ou de l'apparence, tout un pan de l'éducation fait défaut. C'est une question importante en matière de civilité et de respect d'autrui. Avec l'expression « tenue républicaine », j'exprimais l'idée que l'école de la République apprend à vivre ensemble, dans le respect d'un certain nombre de codes.
Vous avez évoqué un reportage montrant un professeur d'histoire qui emmène ses élèves à des expositions sur la Shoah. Je me rends très souvent dans des établissements scolaires, et je vois des choses très positives en ce qui concerne la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Par exemple, le programme de la Fondation pour la mémoire de la Shoah qui est destiné aux écoles, aux collèges et aux lycées ne cesse de se développer depuis des années. Lorsque j'interroge des enfants ou des jeunes, en faisant en sorte qu'ils puissent s'exprimer en toute sincérité, je constate que beaucoup ont parfaitement compris et intégré le message, contrairement au rappeur dont nous avons parlé. C'est un facteur d'optimisme. On voit toujours les voitures qui brûlent et les problèmes – ils existent – mais l'immense majorité des gens ne sont pas racistes, ni antisémites. On leur a appris ce qu'est la Shoah, et ils en ont tiré les leçons qu'il fallait.
Sur ce sujet, je suis d'accord avec vous, madame Rubin. C'est aussi une question de formation des enseignants – nous y veillons.
Vous avez parlé de difficultés pour s'approprier le récit national, madame Atger, ce qui est une bonne façon de poser la question. Il y a eu, sous la Troisième République, un travail sur la narration nationale qui a eu un effet unificateur. On doit y arriver d'une manière différente avec l'historiographie moderne, en faisant du Michelet du XXIè siècle.
S'agissant de l'adaptation aux territoires d'outre-mer, vous avez raison, mais on ne part pas du tout de zéro. Des choses très importantes ont été faites – c'est un ancien recteur de la Guyane qui vous le dit. Dans les cours d'histoire-géographie, mais aussi de littérature, il est très important d'intégrer des éléments propres à l'histoire du territoire concerné. C'est ce que l'on fait, grâce à des livres, des formations, des enseignements. On peut toujours trouver que ce n'est pas suffisant ou pas assez bien fait dans certains cas, mais l'approche de l'éducation nationale est bien qu'une adaptation doit avoir lieu, territoire par territoire.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de venir nous adresser en personne ces messages. Je vous souhaite, d'une façon républicaine, une bonne continuation à la tête de votre ministère.
Le renforcement de la promesse de la République est un enjeu immense pour l'école – nos échanges en témoignent. L'existence du modèle républicain ne suffit pas : nous faisons face à une exigence de preuves.
La séance est levée à 12 heures 40.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter