Intervention de Jean-Louis Bianco

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité :

L'Observatoire de la laïcité est une institution dont les missions sont définies par un décret rédigé sous la présidence de Jacques Chirac, signé par Dominique de Villepin, Premier ministre et par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur. L'Observatoire a finalement été mis en place par François Hollande. Notre position institutionnelle a ensuite été renforcée par la loi.

Nous sommes une institution transpartisane. Siègent à l'Observatoire deux sénateurs, Mme Muriel Jourda et M. Olivier Léonhardt, et deux députés, Mme Nicole Dubre-Chirat et M. Claude Goasguen qui est malheureusement décédé en mai. La représentation du Parlement au sein de l'Observatoire est donc composée de deux femmes et deux hommes, de deux membres de la majorité et de deux membres de l'opposition. Nous travaillons avec les représentants des sept ministères les plus directement concernés par la laïcité, dont le ministère de l'intérieur, représenté par le bureau des cultes. Nous intervenons également sur les questions internationales en partenariat avec le conseiller pour les affaires religieuses du Quai d'Orsay, Jean-Christophe Peaucelle.

Nous comptons dix personnalités qualifiées extraordinairement différentes par leur histoire, leur parcours, leur conception et les responsabilités qu'elles exercent : des inspecteurs généraux de l'éducation nationale, la vice-présidente du Medef, Nathalie Appéré, maire de Rennes, Daniel Maximin, exécuteur testamentaire d'Aimé Césaire, Dounia Bouzar, créatrice du premier centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, Abdennour Bidar, philosophe ayant contribué à la mise en place des mesures sur la laïcité à l'école. Je fais partie de l'Observatoire depuis sept ans, en tant que président nommé par François Hollande et renouvelé par le Président Emmanuel Macron, de la même manière que Nicolas Cadene l'a été par le Premier ministre.

Nos constats reposent sur notre fréquentation du terrain et les remontées des uns et des autres. Depuis plusieurs années, nous nous efforçons d'adopter nos avis par consensus, ce qui leur confère un poids plus grand.

Selon moi, la laïcité est un principe politique autant que juridique. Elle concrétise les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Elle repose sur trois piliers : le premier pilier est la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, et la liberté d'exprimer ses convictions religieuses, sans troubler l'ordre public. La liberté de culte est affirmée dès la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La laïcité, selon la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État, est basée sur la séparation des églises et de l'État, c'est-à-dire du religieux et du politique, mais elle n'est pas antireligieuse. Sous cette forme la laïcité est spécifiquement française, même s'il existe des analogies ailleurs.

Le deuxième pilier est l'égalité, le troisième, la citoyenneté. La République laïque estime que nos différences, d'histoire, de sentiment d'appartenance, de conviction et d'engagement, sont une chance, à la condition essentielle de ne jamais oublier que nous sommes d'abord toutes et tous des citoyens à égalité de droits et de devoirs.

Nous constatons que des inégalités et des discriminations persistent, voire s'aggravent, ce qui rend plus difficilement audible le discours sur la laïcité. L'avis de l'Observatoire, partagé par beaucoup de responsables scientifiques et politiques, est que le problème principal est l'absence de mixité. Les populations ne veulent souvent pas se mélanger. Sans mixité sociale, cette homogénéité peut conduire à ce que la loi de certains quartiers soit celle de la drogue et de l'islam radical.

Nous constatons que le racisme se développe sur ce terreau d'inégalités et de discriminations. Nous retrouvons cet état de fait de la faiblesse de la mixité sociale, dans le défaut de représentativité de la société française, y compris s'agissant de la place des personnes issues de la classe ouvrière parmi les élites. Nous soulignons l'absolue nécessité de renforcer la mixité sociale dans l'habitat et dans le milieu scolaire. Quelques expériences positives existent, notamment dans l'éducation nationale, mais elles sont trop peu relayées.

Dans le combat que nous avons à mener contre l'islam politique, il convient d'être très ferme, tout en ne nourrissant pas le discours victimaire. Cela suppose d'avoir des bases objectives, indiscutables. Le Gouvernement travaille à un projet de loi dont vous serez prochainement saisis.

Si des progrès ont été faits au sein de l'Éducation nationale, nous lui demandons d'assumer trop de rôles : remplacer les parents absents, préparer à des métiers, transmettre des savoirs et des compétences, lutter contre le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie, etc.

Le ministère de l'éducation nationale déplore, année après année, le manque de formation des enseignants et responsables administratifs. Des progrès sont réalisés avec les nouveaux chefs d'établissement et inspecteurs, mais la formation des enseignants reste insuffisante. D'après une enquête menée voilà deux ans, 81 % d'entre eux n'ont reçu aucune formation sur la laïcité et ceux qui en ont reçu une n'en sont pas satisfaits. Ils sont peu nombreux à disposer d'une base historique, juridique et pédagogique de la laïcité.

L'enseignement moral et civique est extrêmement important. Le message peut être entendu s'il est transmis par un enseignant charismatique, un conseiller principal d'éducation, un personnel administratif ou éducatif. Il faut aussi travailler sur les représentations et les comportements racistes pour en comprendre le fonctionnement. Il est également essentiel de proposer un enseignement laïc des faits religieux qui distingue connaissance et croyance. Les difficultés rencontrées par l'éducation nationale sont celles auxquelles la société française fait face, avec les tensions, crispations, insatisfactions et les problèmes de pouvoir d'achat. Toute cette violence se retranscrit également dans la laïcité, qui touche à l'identité de chacun et à celle de la France.

L'une de nos missions consiste à inviter des sachants, des experts, des responsables politiques ou des chercheurs à s'exprimer en donnant des éléments d'appréciation et de contexte, sans chercher la « course au buzz ». Malheureusement, nous obtenons peu de résultats.

Nous continuerons néanmoins à appliquer la laïcité avec une certaine intelligence.

Nous ne souhaitons pas lui adjoindre d'adjectif, ce qui reviendrait à l'orienter alors qu'elle se suffit à elle-même. C'est un concept extraordinairement puissant, auquel de nombreux pays étrangers s'intéressent, car elle représente forme d'équilibre entre liberté individuelle et harmonie collective.

Nous sommes parfois durement attaqués dans le monde anglo-saxon, car la laïcité serait attentatoire aux libertés. Nous le sommes aussi parfois dans le monde arabo-musulman. Il s'agit en réalité d'un combat politique. Si vous êtes favorable à l'égalité entre hommes et femmes, à la démocratie, vous l'êtes aussi à la laïcité.

Notre formule, énoncée avant nous par Bernard Cazeneuve, est qu'il faut appliquer la laïcité « avec fermeté et sérénité ». La laïcité protège, tout en construisant l'appartenance à la maison commune et au vivre ensemble. Nous sommes souvent sur le terrain de ce que le Conseil constitutionnel appelle les atteintes aux « exigences minimales de la vie en société ». Cela permet de traiter toutes les questions liées à la laïcité et celles que la laïcité n'épuise pas, telles que l'égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons obtenu, à la fin du mandat d'Édouard Philippe, une circulaire du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur, dans laquelle Mme Nicole Belloubet demande aux procureurs d'enquêter sur des situations discriminatoires et, si les faits sont avérés, de porter plainte au nom de la République. Si, dans un restaurant, l'on refuse de servir une femme car elle est une femme, elle peut certes porter plainte, ou une association, mais dans de nombreux cas cela est trop difficile. Nous soutenons que c'est l'affaire de l'État.

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