Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • laïcité
  • mixité

La réunion

Source

La mission d'information procède à l'audition de M. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité et de M. Nicolas Cadène, rapporteur général.

La séance est ouverte à 11 heures 05.

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M. Jean-Louis Bianco, votre parcours est particulièrement riche. Vous avez été nommé en 2013 à la présidence de l'Observatoire de la laïcité et votre mandat a été renouvelé, ce qui démontre la forte confiance de nos institutions dans votre travail ainsi que dans celui de M. Nicolas Cadène, rapporteur général.

La mission d'information a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale en décembre 2019. À l'issue de nos travaux, nous établirons un rapport dressant un bilan et comprenant plusieurs propositions.

Jusqu'à présent, nous avons entendu des historiens, des universitaires, des sociologues, des statisticiens, un large panel de spécialistes ; nous auditionnons désormais les ministères. Évoquer la République française à l'étranger nous amène souvent à prendre conscience à quel point notre vision est particulière, forte, sur cette séparation entre religion et espace public.

Les appartenances religieuses peuvent donner lieu à des discriminations. L'islam a évidemment une place importante dans ce questionnement, mais il n'est pas le seul. Nous sommes ravis de vous entendre sur les difficultés que les discriminations liées aux religions posent à notre idéal républicain.

Soyez libre de témoigner en toute transparence, sans égards excessifs pour le politiquement correct.

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Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité

L'Observatoire de la laïcité est une institution dont les missions sont définies par un décret rédigé sous la présidence de Jacques Chirac, signé par Dominique de Villepin, Premier ministre et par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur. L'Observatoire a finalement été mis en place par François Hollande. Notre position institutionnelle a ensuite été renforcée par la loi.

Nous sommes une institution transpartisane. Siègent à l'Observatoire deux sénateurs, Mme Muriel Jourda et M. Olivier Léonhardt, et deux députés, Mme Nicole Dubre-Chirat et M. Claude Goasguen qui est malheureusement décédé en mai. La représentation du Parlement au sein de l'Observatoire est donc composée de deux femmes et deux hommes, de deux membres de la majorité et de deux membres de l'opposition. Nous travaillons avec les représentants des sept ministères les plus directement concernés par la laïcité, dont le ministère de l'intérieur, représenté par le bureau des cultes. Nous intervenons également sur les questions internationales en partenariat avec le conseiller pour les affaires religieuses du Quai d'Orsay, Jean-Christophe Peaucelle.

Nous comptons dix personnalités qualifiées extraordinairement différentes par leur histoire, leur parcours, leur conception et les responsabilités qu'elles exercent : des inspecteurs généraux de l'éducation nationale, la vice-présidente du Medef, Nathalie Appéré, maire de Rennes, Daniel Maximin, exécuteur testamentaire d'Aimé Césaire, Dounia Bouzar, créatrice du premier centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, Abdennour Bidar, philosophe ayant contribué à la mise en place des mesures sur la laïcité à l'école. Je fais partie de l'Observatoire depuis sept ans, en tant que président nommé par François Hollande et renouvelé par le Président Emmanuel Macron, de la même manière que Nicolas Cadene l'a été par le Premier ministre.

Nos constats reposent sur notre fréquentation du terrain et les remontées des uns et des autres. Depuis plusieurs années, nous nous efforçons d'adopter nos avis par consensus, ce qui leur confère un poids plus grand.

Selon moi, la laïcité est un principe politique autant que juridique. Elle concrétise les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Elle repose sur trois piliers : le premier pilier est la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, et la liberté d'exprimer ses convictions religieuses, sans troubler l'ordre public. La liberté de culte est affirmée dès la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La laïcité, selon la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État, est basée sur la séparation des églises et de l'État, c'est-à-dire du religieux et du politique, mais elle n'est pas antireligieuse. Sous cette forme la laïcité est spécifiquement française, même s'il existe des analogies ailleurs.

Le deuxième pilier est l'égalité, le troisième, la citoyenneté. La République laïque estime que nos différences, d'histoire, de sentiment d'appartenance, de conviction et d'engagement, sont une chance, à la condition essentielle de ne jamais oublier que nous sommes d'abord toutes et tous des citoyens à égalité de droits et de devoirs.

Nous constatons que des inégalités et des discriminations persistent, voire s'aggravent, ce qui rend plus difficilement audible le discours sur la laïcité. L'avis de l'Observatoire, partagé par beaucoup de responsables scientifiques et politiques, est que le problème principal est l'absence de mixité. Les populations ne veulent souvent pas se mélanger. Sans mixité sociale, cette homogénéité peut conduire à ce que la loi de certains quartiers soit celle de la drogue et de l'islam radical.

Nous constatons que le racisme se développe sur ce terreau d'inégalités et de discriminations. Nous retrouvons cet état de fait de la faiblesse de la mixité sociale, dans le défaut de représentativité de la société française, y compris s'agissant de la place des personnes issues de la classe ouvrière parmi les élites. Nous soulignons l'absolue nécessité de renforcer la mixité sociale dans l'habitat et dans le milieu scolaire. Quelques expériences positives existent, notamment dans l'éducation nationale, mais elles sont trop peu relayées.

Dans le combat que nous avons à mener contre l'islam politique, il convient d'être très ferme, tout en ne nourrissant pas le discours victimaire. Cela suppose d'avoir des bases objectives, indiscutables. Le Gouvernement travaille à un projet de loi dont vous serez prochainement saisis.

Si des progrès ont été faits au sein de l'Éducation nationale, nous lui demandons d'assumer trop de rôles : remplacer les parents absents, préparer à des métiers, transmettre des savoirs et des compétences, lutter contre le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie, etc.

Le ministère de l'éducation nationale déplore, année après année, le manque de formation des enseignants et responsables administratifs. Des progrès sont réalisés avec les nouveaux chefs d'établissement et inspecteurs, mais la formation des enseignants reste insuffisante. D'après une enquête menée voilà deux ans, 81 % d'entre eux n'ont reçu aucune formation sur la laïcité et ceux qui en ont reçu une n'en sont pas satisfaits. Ils sont peu nombreux à disposer d'une base historique, juridique et pédagogique de la laïcité.

L'enseignement moral et civique est extrêmement important. Le message peut être entendu s'il est transmis par un enseignant charismatique, un conseiller principal d'éducation, un personnel administratif ou éducatif. Il faut aussi travailler sur les représentations et les comportements racistes pour en comprendre le fonctionnement. Il est également essentiel de proposer un enseignement laïc des faits religieux qui distingue connaissance et croyance. Les difficultés rencontrées par l'éducation nationale sont celles auxquelles la société française fait face, avec les tensions, crispations, insatisfactions et les problèmes de pouvoir d'achat. Toute cette violence se retranscrit également dans la laïcité, qui touche à l'identité de chacun et à celle de la France.

L'une de nos missions consiste à inviter des sachants, des experts, des responsables politiques ou des chercheurs à s'exprimer en donnant des éléments d'appréciation et de contexte, sans chercher la « course au buzz ». Malheureusement, nous obtenons peu de résultats.

Nous continuerons néanmoins à appliquer la laïcité avec une certaine intelligence.

Nous ne souhaitons pas lui adjoindre d'adjectif, ce qui reviendrait à l'orienter alors qu'elle se suffit à elle-même. C'est un concept extraordinairement puissant, auquel de nombreux pays étrangers s'intéressent, car elle représente forme d'équilibre entre liberté individuelle et harmonie collective.

Nous sommes parfois durement attaqués dans le monde anglo-saxon, car la laïcité serait attentatoire aux libertés. Nous le sommes aussi parfois dans le monde arabo-musulman. Il s'agit en réalité d'un combat politique. Si vous êtes favorable à l'égalité entre hommes et femmes, à la démocratie, vous l'êtes aussi à la laïcité.

Notre formule, énoncée avant nous par Bernard Cazeneuve, est qu'il faut appliquer la laïcité « avec fermeté et sérénité ». La laïcité protège, tout en construisant l'appartenance à la maison commune et au vivre ensemble. Nous sommes souvent sur le terrain de ce que le Conseil constitutionnel appelle les atteintes aux « exigences minimales de la vie en société ». Cela permet de traiter toutes les questions liées à la laïcité et celles que la laïcité n'épuise pas, telles que l'égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons obtenu, à la fin du mandat d'Édouard Philippe, une circulaire du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur, dans laquelle Mme Nicole Belloubet demande aux procureurs d'enquêter sur des situations discriminatoires et, si les faits sont avérés, de porter plainte au nom de la République. Si, dans un restaurant, l'on refuse de servir une femme car elle est une femme, elle peut certes porter plainte, ou une association, mais dans de nombreux cas cela est trop difficile. Nous soutenons que c'est l'affaire de l'État.

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Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité

Sur le terrain, dans les quartiers populaires et les établissements scolaires en difficulté, les jeunes se sentent français, mais ne sont pas perçus comme tels. Ils ne se retrouvent pas dans le paysage audiovisuel ou dans les postes à responsabilités. En outre, la diversité des mémoires et les parcours auxquels ils pourraient s'identifier ne sont pas suffisamment évoqués dans les programmes d'histoire. Pourtant, dès lors que nous mentionnons des personnalités telles que Abdelkader, Deo Van Tri, Henry Sidambarom, Léopold Sédar Senghor, qui ont participé à l'histoire de France, ils se sentent beaucoup plus français. Le passé colonial reste douloureux, mais il ne faut pas l'occulter.

De même, la représentativité dans le champ institutionnel et social est bien trop insuffisante. Des mesures ont dernièrement été annoncées par la ministre de la transformation de la fonction publique sur certains postes à responsabilités. Les grandes écoles privées doivent être beaucoup plus volontaristes. Les médias doivent aussi engager un mouvement en ce sens. Quand le paysage médiatique et audiovisuel n'est pas à l'image de la population, une partie d'entre elle développe un ressentiment quand l'autre en déduit que la diversité n'est pas l'identité de la France. De manière générale, l'entre-soi empêche de connaître l'autre, d'où le développement de clichés et de préjugés, laissant libre cours à des pensées racistes.

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En juin et juillet, nous avons reçu de nombreux universitaires qui nous ont permis de structurer ce vaste sujet qui nous a été confié. Le racisme est déjà condamné dans le code pénal et il s'agit de mieux le sanctionner. Avez-vous des propositions sur ce point ?

Pour ce qui est de la lutte contre les préjugés, pourriez-vous nous donner des détails sur les méthodes qui fonctionnent ?

Enfin, même si nous récusons le terme de « racisme d'État », nous ne pouvons pas nier que les institutions peuvent créer de la ghettoïsation et que les personnes qui en sont victimes perçoivent l'existence des discriminations. Ainsi, pour ce qui est des discriminations, quelles sont selon vous les pistes les plus concrètes à explorer pour renforcer la mixité ?

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Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité

. L'une des réponses est la formation : des enseignants, des élèves, de tout le personnel. Dans les quartiers populaires, sensibles, zones d'éducation prioritaire ZEP+, le besoin de former tous les intervenants publics ou privés est d'autant plus fort.

Avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires, anciennement commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), et le Centre de formation des personnels territoriaux (CNFPT), nous avons lancé un programme de trois jours et un d'une journée, ainsi que deux MOOCs dont l'un spécifiquement destiné aux élus locaux. De nombreux responsables ont besoin de savoir ce qui est permis et ce qui est interdit. Nous utilisons aussi des études de cas, selon des méthodes participatives. Nous avons ainsi formé 45 000 stagiaires en trois ans, des travailleurs sociaux, des bénévoles d'association, des fonctionnaires territoriaux ou nationaux et des personnalités diverses. Nous nous réjouissons que la ministre chargée de la ville, Nadia Hai, ait décidé de renforcer ce programme. Les taux de satisfaction sont excellents puisque 97 % ont jugé la formation utile.

Nous souhaitons une coordination accrue des préfets, des élus locaux, des ministères et des associations représentatives, sur tous les sujets liés à la laïcité, la mixité, et aux inégalités. C'est certainement ainsi, en s'appuyant sur des personnalités influentes dans les communautés – pas forcément religieuses – que l'on parviendra à construire l'islam de France. Elles peuvent peser dans le débat, en y associant davantage de femmes et de jeunes.

À côté des « territoires perdus de la République », il y a les « territoires vivants », dont nous ne parlons pas assez. M. Nuñez, qui a été préfet dans des secteurs difficiles, a souligné la « formidable énergie républicaine » de ces quartiers. Ces propos ont été très peu repris, alors qu'ils sont fondamentaux.

La Seine-Saint-Denis est par exemple l'un des départements qui comptent le plus fort taux de création d'entreprises par des jeunes.

À certains endroits nous avons réussi la mixité scolaire, notamment dans le 18ème arrondissement de Paris ou en Haute-Garonne. Un travail exemplaire y a été conduit, en partenariat entre le conseil départemental, l'éducation nationale et la préfecture. Le conseil départemental a détruit un collège du quartier pauvre. Après de longues discussions avec les représentants des parents et des élèves, il a reconstruit un collège à la frontière avec un quartier aisé. La carte scolaire a été modifiée pour que l'établissement accueille des jeunes de quartiers différents. La démarche a fonctionné.

Ces exemples devraient être mieux analysés pour les faire connaître, même si la démarche reste extrêmement difficile. J'ai moi-même été élu départemental, municipal et député. Je sais à quel point les meilleures volontés se heurtent à différentes réticences. Nous ne les vaincrons qu'en faisant connaître les réussites.

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Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité

En ce qui concerne les sanctions contre le racisme, nous devons nous assurer que la chaîne pénale fonctionne efficacement et rapidement. L'action du Défenseur des droits nous semble devoir intervenir en dernier recours, uniquement en cas d'échec de la justice.

Le programme pour favoriser la mixité à l'école, lancé en 2015, a permis aussi de mener des expérimentations dans l'Hérault, le Gard, le Nord et à Paris. Elles ont presque toutes parfaitement fonctionné, car tous les leviers ont été mobilisés : carte scolaire, équipes pédagogiques, emplacement de l'établissement, options proposées. Le renforcement de la mixité sociale a totalement changé le climat. Les élèves venant d'établissements plus aisés n'ont pas vu leur niveau scolaire diminuer et ceux qui concentraient les difficultés ne les subissaient plus. Ces expériences devraient être multipliées.

L'action sur l'habitat doit être revue avec les bailleurs sociaux, dans le respect de la loi SRU, en intervenant sur les activités économiques. Tous les champs doivent aider à assurer une plus grande mixité sociale.

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Selon vous, la laïcité est-elle une solution contre le racisme ? Comment concilier la tradition chrétienne de la France, avec des clochers proches des mairies, propriétés de l'État ou de la commune, une histoire chrétienne, et la diversité des populations ?

En outre, comment devons-nous réagir collectivement contre un certain relativisme, qui peut conduire jusqu'à la mise en œuvre d'un contre-projet sociétal opposé à l'universalisme ?

Enfin, je suis moi-même un pur produit de l'école laïque et républicaine, de l'ascenseur social, de l'universalisme, valeurs piliers de la France. Néanmoins, ce modèle est parfois contredit y compris dans les universités françaises les plus prestigieuses. Là comme à l'École Normale Supérieure, un contre-projet émerge, non pas révolutionnaire mais pourtant prêt à envisager d'autres valeurs, qui ne correspond pas aux valeurs de la laïcité et de l'universalisme.

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Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité

La laïcité peut être une réponse, car elle fabrique du commun, de la citoyenneté. On ne naît pas citoyen, on le devient, en étant éduqué dans les valeurs laïques. La laïcité a une force incroyable, car elle est abstraite. Nous, Français, avons certes tendance à donner des leçons à la terre entière, à nous proclamer à l'avant-garde du monde. Mais il n'en demeure pas moins que la France a apporté la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen au monde, ce qui rend ces principes de citoyenneté et de laïcité adaptables. Cet universalisme de la définition de la laïcité nous offre un outil pour résister aux contre-projets. Par ailleurs, nous insistons fortement sur le respect de la règle de droit. Si nous ne commençons pas par rappeler les règles, la loi du plus fort s'impose. En nous arc-boutant sur l'universalité de la laïcité et de la citoyenneté et sur le respect de la règle, nous offrons des éléments de réponse.

Hier, nous avions une réunion des coordonnateurs nationaux des équipes académiques. Le nombre de cas signalés est extrêmement faible, soit parce que les professeurs se débrouillent seuls, soit parce qu'ils mettent le sujet de côté. Dans 40 % des cas, nous ne savons pas définir la nature d'une atteinte à la laïcité, avec même une interrogation sur la définition de l'atteinte. Dans tous les secteurs, entreprises, hôpitaux, fonction publique territoriale, fonction publique d'État, éducation nationale, nous ne possédons pas d'indicateurs objectifs. En revanche, nous savons que les tensions et les conflits s'accroissent autour de la gestion des faits religieux, partout et fortement, ce qui est extrêmement préoccupant.

Au sein de l'éducation nationale, la pression augmente sur le premier degré, y compris par le biais des parents d'élèves, et sur l'enseignement professionnel, ce qui n'est pas sans rapport avec des inégalités et une culture un peu différente.

Les chercheurs et les intellectuels ont le droit de débattre. En revanche, je regrette que l'on présente une position idéologique, avec une certaine idée de ce que devrait être la laïcité, comme étant le droit ou le bien, les oppositions étant le mal. L'université et la démocratie sont le lieu du libre débat. Il ne faut pas confondre ce que l'on croit, ce que l'on souhaite et ce qui est permis.

Je ne pense pas qu'une hydre cherche à viser la France comme territoire de laïcité, mais elle est une cible, parfois d'une volonté centralisée et parfois d'actions relativement individuelles, au niveau de la barre d'immeubles. Toutes les échelles doivent donc être traitées.

La meilleure réponse est de rester objectif, face aux atteintes à l'égalité entre les femmes et les hommes, la meilleure réponse est de rester objectif, de ne pas accepter les certificats médicaux de complaisance ou le refus d'aller à la piscine par exemple. La démarche doit être entreprise avec pédagogie, en expliquant le but des règles communes.

Je suis cependant perplexe quant à la question du multiculturalisme. Les cultures différentes sont-elles plus nombreuses qu'avant la Révolution française, au temps de la culture occitane, bretonne, alsacienne ? Je ne sais pas, et je ne crois pas que ce soit le débat. L'essentiel est que la règle est commune à tous.

L'enseignement laïc des faits religieux doit présenter les connaissances en histoire et en art. Nous sommes un pays de tradition chrétienne, mais toutes nos origines ne le sont pas. Nous avons aussi des racines dans le monde grec avec la démocratie, dans le monde romain autour du droit, dans le monde musulman qui a joué un rôle au Moyen-Âge dans la transmission de la pensée grecque. Nous devons montrer ces apports intellectuels dans l'histoire de France. Les églises sont devenues le patrimoine national, mais l'État ne doit en aucun cas subventionner les activités cultuelles des institutions religieuses.

Les sondages autour de l'éducation nationale doivent être analysés de près. L'un, du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), rejoint certains constats de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme sur une tolérance plus grande des jeunes par rapport aux jeunes d'autres pays. En revanche, un sondage réalisé par l'IFOP en 2018, pour le Comité national d'action laïque, est souvent utilisé d'une manière caricaturale : il évoque des tensions croissantes, avec plus d'interventions des parents d'élèves, mais il souligne aussi que la plupart des situations se règlent par le dialogue.

La réalité est difficile et dangereuse. Tout observateur sérieux le reconnaît. En revanche, il est essentiel de ne pas donner de sentiment de panique généralisée à la population, sous peine d'engendrer des phénomènes de racisme.

Le sondage que nous avons commandité comporte la question suivante : « Diriez-vous que dans votre établissement, le climat autour de la laïcité est tendu, plutôt tendu, apaisé, plutôt apaisé ? » 91 % ont évoqué un climat apaisé ou plutôt apaisé. Cela ne doit certes pas nous faire oublier les problèmes subsistants qui doivent être traités.

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Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité

Nos différentes enquêtes montrent la différence entre le ressenti et la réalité des faits. Les problématiques sont réelles et doivent être traitées, mais parler des problèmes sans évoquer les solutions crée un sentiment d'angoisse, qui favorise des réactions racistes.

Depuis deux ans, nous travaillons sur un baromètre avec l'institut Viavoice. L'échantillon, qui compte plus de 2 000 participants, révèle un attachement fort à la laïcité pour 75 % d'entre eux. L'attachement à la laïcité diffère davantage selon les catégories socioprofessionnelles et même selon le genre que selon les croyances.

En outre, plus les Français connaissent le droit, plus ils sont attachés à cette définition de la laïcité. Une majorité nette de la population ne souhaite pas de changement de la loi de 1905 et de l'équilibre fixé par notre cadre laïc actuel. Une nette minorité souhaiterait toutefois un durcissement, une autre minorité une libéralisation.

Par ailleurs, les Français de confession musulmane considèrent la laïcité comme beaucoup moins protectrice des croyances, alors que ceux de confession catholique, protestante ou juive la considèrent comme plus protectrice. De même, ils sont nombreux à penser que la laïcité est d'abord traitée de manière polémique, ce qu'ils déplorent, et qu'elle est trop traitée seulement à travers le prisme de l'islam.

Nous constatons également que la sécularisation de la société se poursuit. Les Français sont de plus en plus nombreux – 50 % – à se déclarer agnostiques, voire athées. Cette tendance vaut pour toutes les religions, y compris pour l'islam. En revanche, certains croyants exacerbent leur appartenance religieuse, ce qui la rend d'autant plus visible dans l'espace public. Le courant protestant évangélique est de très loin la religion la plus en expansion : un temple évangélique se construit tous les dix jours, avec un prosélytisme et un taux de pratiquants très élevé.

Cette polarisation créée des crispations, auxquelles s'ajoute le contexte d'attentats islamistes avec des confusions renvoyant à tort à tous les musulmans. De même, l'absence de mixité sociale engendre une séparation, d'autant que les Français de confession musulmane sont nombreux dans les catégories socioprofessionnelles les plus fragiles.

La France est un pays de tradition chrétienne très forte. L'Église catholique a joué un rôle considérable dans notre histoire. Il n'est pas question de le nier. La France compte encore 39 000 lieux de culte catholiques, pour 4 000 lieux de culte protestants et 2 600 lieux de culte musulmans. Toutefois, lorsque les révolutionnaires ont rédigé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ils ont indiqué que nos valeurs communes étaient ce qui nous rendait Français. La richesse de notre modèle républicain est qu'il dépasse nos appartenances propres.

Nous pourrions aussi parler de nos autres racines, en outre-mer. La France est présente sur les cinq continents. Cette diversité de convictions et de cultures est une source de richesses que nous devrions mettre en avant.

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Les fondements de notre République sont fragilisés, dans un monde de plus en plus mondialisé, à la géopolitique extrêmement instable. Le racisme n'a pas disparu. On tuait encore « du Maghrébin » au début des années 1980, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Je ne parle pas du terrorisme, qui est un phénomène à part.

Les dispositifs législatifs existent, mais leur efficacité est remise en cause. Les plaintes sont insuffisamment déposées.

Je m'interroge sur la manière de mieux intégrer cette diversité. De nombreuses actions positives sont entreprises sur le terrain, mais elles ne sont pas suffisamment mises en valeur. À l'inverse, les reportages d'une chaîne comme CNews peuvent faire énormément de mal et détruire des années de travail. Comment faire accepter les différences et faire comprendre que l'apport des immigrations récentes est une richesse ?

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Pendant la période de confinement, des élus locaux ont été confrontés à des difficultés pour la sépulture des personnes de confession musulmane. Des outils peuvent-ils les guider pour répondre aux aspirations légitimes de leurs concitoyens, tout en respectant le droit actuel ?

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Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité

. Une partie de la réponse se trouve dans la formation que devrait dispenser l'éducation nationale. Nous avons également publié des guides pour les collectivités locales, les entreprises, les hôpitaux. Nous sommes à la disposition des élus et des citoyens par téléphone ou par écrit en principe en 48 heures.

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Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité

Nous avons rappelé qu'il était possible d'enterrer ces personnes en France dans des carrés confessionnels non matérialisés, mais de nombreux maires refusent. Les citoyens inhument alors leurs défunts à l'étranger, ce qui ne renforce pas le sentiment d'appartenance nationale.

Enfin, des réflexions sont en cours pour un projet de loi sur l'audiovisuel afin de permettre au CSA de sanctionner davantage les chaînes qui diffusent la parole xénophobe.

La séance est levée à 12 heures 07.