Intervention de Amin Maalouf

Réunion du mardi 27 octobre 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Amin Maalouf, de l'Académie française :

. Je n'aime pas l'expression « discrimination positive ». L'expression anglaise dont elle est inspirée est « assertive action ». Cette expression ne contient pas le mot « discrimination » ; je pense que ce mot est malvenu dans la traduction française. Il faut certainement aider les populations défavorisées qui, pour toutes sortes de raisons, n'arrivent pas à prendre la place qui devrait être la leur. Tout ce qui contribue à leur donner cette place est excellent. L'idée selon laquelle il faudrait le faire aux dépens de quelqu'un d'autre, en revanche, n'est pas bonne.

Nous en avons vu les résultats aux Etats-Unis : les Blancs fortunés arrivent à s'en tirer ; les minorités peuvent bénéficier d'aides ; ceux qui en payent le prix sont les petits Blancs, qui se sentent pris en tenaille, ont le sentiment d'être victimes de cette politique et se rabattent sur des candidats qui portent leur voix. Il n'est jamais bon de susciter des ressentiments et des récriminations. Aux États-Unis, les pouvoirs publics ne souhaitaient pas procéder à davantage de dépenses sociales. À mon avis, en France, nous pouvons nous permettre d'aider ceux qui ont en besoin sans que cela se fasse aux dépens d'une autre catégorie de la population.

S'agissant du « racialisme », il est vrai que je suis mal à l'aise avec cette attitude. Un long combat a été mené pour éliminer toute forme de discrimination et de ségrégation. L'idée selon laquelle ce combat ne valait rien et n'était qu'une étape avant un autre combat qui dresserait les communautés opprimées contre leurs oppresseurs introduit une division au sein de la population, allant à l'encontre de notre rêve d'universalité. Nous n'avons pas besoin de dresser les communautés les unes contre les autres en invoquant des règlements de comptes historiques.

Mon livre Le naufrage des civilisations, en dressant l'état du monde tel qu'il est aujourd'hui, présente sans doute une vision inquiétante de l'avenir. Je pense que cela n'est pas une fatalité. Il est vrai que la mondialisation a exacerbé des tensions. Mais à long terme, je crois qu'un processus sous-terrain nous conduit à être de plus en plus proches les uns des autres. Nous avons du mal à le reconnaître, nous le vivons mal, mais objectivement, nous nous ressemblons de plus en plus. C'est peut-être d'ailleurs pour cela que nous essayons de nous démarquer les uns des autres. Je suis persuadé qu'à long terme, nous découvrirons que nous n'avons pas d'autre choix que de vivre ensemble et de combattre les mêmes adversaires, qui sont les pandémies, le sous-développement, l'obscurantisme. À long terme, je suis plutôt confiant ; mais nous allons traverser, je crois, une période assez tourmentée.

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