Intervention de Francis Kalifat

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) :

Je vous remercie de m'accueillir, même virtuellement, à l'Assemblée nationale, pour traiter d'un sujet qui est au cœur des préoccupations et des inquiétudes du CRIF. Bien sûr nous parlerons de l'antisémitisme, mais le CRIF est également préoccupé par l'ensemble des haines qui traversent la société française, que ce soit le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie, la haine des musulmans, etc. En effet, nous avons le sentiment que la société française, aujourd'hui, est malade de ces haines.

Les Français juifs représentent un peu moins de 1 % de la population totale de notre pays et ils concentrent, d'année en année, entre 40 et 50 % des actes racistes qui y sont recensés.

Dans mon propos liminaire, je voudrais rappeler qu'en France, depuis le début des années 2000, douze Français juifs ont été assassinés, uniquement parce qu'ils étaient juifs. Le plus jeune, Gabriel Sandler, avait trois ans et était élève à l'école Ozar Hatorah de Toulouse ; la plus âgée, Mireille Knoll, 86 ans, est morte torturée et assassinée, le 23 mars 2018, à son domicile dans le XIe arrondissement de Paris.

Ces douze Français juifs, hommes, femmes, enfants, vieillards, ont tous été tués uniquement parce qu'ils étaient juifs. Lorsque l'on égrène la liste des victimes de l'antisémitisme, on constate qu'elles ont un destin qui est singulier. À chaque fois, c'est une vie qui est brisée et c'est une injonction qui nous est donnée au souvenir. Ainsi, ces noms et ces visages habitent mon esprit chaque jour.

Lorsque j'y pense, la question qui me hante est : qu'aurions-nous dû faire pour les protéger ? Et je me demande souvent comment se seraient passées les huit dernières années si nous avions su tirer, en France, les leçons de l'attentat contre l'école Ozar Hatorah de Toulouse.

J'ai en effet le sentiment que beaucoup trop de Français n'ont pas entendu que l'idéologie islamiste qui avait, à ce moment-là, armé l'esprit, mais aussi le bras du terroriste, armerait ensuite ceux des assassins de Charlie Hebdo, de Montrouge, de l'Hyper Cacher et, plus tard, ceux du Bataclan, de Nice, de Strasbourg et de tant d'autres villes en France.

Pourquoi avons-nous perdu toutes ces années si précieuses pour prendre conscience de ce phénomène ? Je m'interdis de croire que le fait que les victimes aient été juives puisse expliquer cette sorte d'aveuglement volontaire. Nous étions peu nombreux, le 19 mars 2012, pour crier notre douleur dans la rue. Nous étions trop peu nombreux au regard de la gravité d'un acte sans précédent dans l'histoire récente de notre pays, puisque c'était une école, des enfants à l'intérieur de celle-ci et un professeur qui étaient abattus à bout portant.

Je garde un goût amer d'une société française sourde aux cris du cœur des Français juifs et de ceux qui, à leurs côtés, avaient compris qu'il ne s'agissait là que du premier acte d'une longue série. Et mon inquiétude profonde, c'est une inquiétude de citoyen, parce que je crains que cette haine, cette violence ne finissent pas affaiblir l'adhésion aux valeurs qui font la France.

Nous savons tous que si l'antisémitisme commence avec les juifs, il ne s'arrête jamais aux juifs.

Notre pays est aujourd'hui dans l'émotion des attaques terroristes et c'est heureux, puisque nous sommes en plein procès de Charlie Hebdo, de Montrouge et des crimes antisémites de l'Hyper Cacher. Mais les Français juifs souffrent tous les jours depuis des années, et souvent dans l'indifférence.

En 2020, comme les années précédentes, les Français juifs ont été harcelés, insultés, menacés, volés, agressés ou frappés, et ce, uniquement parce qu'ils étaient juifs. Les mots sont terribles, mais ces mots ne disent rien de la vie de ces victimes de l'antisémitisme du quotidien qui frappe ces quartiers difficiles, ces « territoires perdus de la République ».

Il m'est souvent arrivé d'écrire la vie retranchée de ces Français juifs qui subissent insultes, crachats, graffitis, courriers anonymes et mezouzah arrachés, quand ce ne sont pas des violences physiques. Cela nous fait mal lorsque nous sommes pris en étau entre l'antisémitisme traditionnel, surreprésenté à l'extrême droite et l'antisémitisme antisioniste, surreprésenté à l'extrême gauche, quand nous sommes coincés entre l'antisémitisme musulman très présent chez les 15-25 ans et le statut de cible privilégiée pour les terroristes islamistes.

Après l'attentat de l'Hyper Cacher, aucune des victimes survivantes n'a pu reprendre une vie normale. Et depuis ces moments douloureux, je crois qu'aucun juif de France, aucun Français juif ne peut faire ses courses, aller à la synagogue, déposer ses enfants à l'école en ignorant qu'il est une cible, car depuis cet attentat, chaque Juif vit aujourd'hui dans ce statut terrible de victime potentielle du terrorisme islamiste.

Les actes antisémites comptabilisés annuellement par le ministère de l'intérieur – dont j'ai les chiffres et qui me font dire que, depuis 2017, ces actes ont augmenté de 121 % – ne représentent pas l'image réelle de l'antisémitisme dans notre pays, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que ces actes ne prennent en compte que les dépôts de plainte en commissariat. Or nous savons d'expérience que deux catégories de victimes ne déposent plus plainte dans les commissariats. Ce sont d'abord les victimes de l'antisémitisme du quotidien, des quartiers, qui ne déposent plus plainte parce qu'elles ont peur, car leur agresseur est souvent leur voisin. La deuxième catégorie de victimes qui ne portent pas plainte, c'est la catégorie de celles qui sont convaincues que cela ne sert plus à rien, car la justice ne remplit plus son rôle dissuasif, en tout cas en ce qui concerne plus précisément ces victimes d'antisémitisme.

Il faut aussi ajouter les actes relevés sur internet, qui est devenu l'un des principaux vecteurs de la haine dans sa globalité et de la haine antisémite plus particulièrement.

Nous devons disposer d'une vision globale si nous voulons apporter une solution à l'antisémitisme, prenant en compte l'ensemble des formes de l'antisémitisme auxquelles notre société est confrontée.

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