Je suis heureuse de constater, quelques mois après les échanges relatifs à la proposition de sa création, que la présente mission d'information ait été effectivement mise en œuvre. L'Union des étudiants juifs de France est une association créée en 1944, dans le maquis toulousain, par des résistants juifs qui avaient pour première vocation de redonner aux rescapés, aux enfants cachés, l'amour de la France et de contribuer à leur intégration dans les universités.
D'année en année, l'UEJF s'est impliquée dans la société et a participé, dans les années quatre-vingt, à la création de grands mouvements antiracistes. Depuis, nous sommes inscrits dans ce combat qui, au-delà du seul antisémitisme, est un combat universel contre toutes les formes de discrimination et de racisme. Ainsi, nous étions les premiers, en 2011, à faire condamner Éric Zemmou, pour incitation à la haine raciale, et les premiers à faire condamner Valeurs actuelles pour provocation à la haine.
C'est donc un combat global que nous menons sur plusieurs champs d'action, à la fois dans les universités, dans les écoles, les tribunaux, les quartiers populaires et sur les réseaux sociaux.
Nous faisons partie d'une génération traumatisée qui n'a connu que des manifestations, des morts, la haine du Juif et la violence qui caractérise le fait d'être juif en France.
Je fais partie d'une génération qui s'est demandé où construire son avenir, car à force de manifester nous nous sommes interrogés sur l'endroit où nous pouvions aller. Après les attentats de l'Hyper Cacher, par exemple, nous avons assisté à une forte vague de l'Alya, c'est-à-dire à une émigration en Israël. Pour beaucoup de juifs, Israël est apparu comme le pays dans lequel ils pouvaient se sentir en sécurité.
En effet, lorsque l'on doit ouvrir son sac en entrant à l'école, entrer dans des locaux accessibles par des portes blindées, un sas de sécurité, et voir des militaires postés devant l'entrée, ce n'est pas très rassurant en tant qu'enfant de la République. Ceci conduit donc à s'interroger sur son avenir. Ces attentats ont eu une incidence sur la vie de centaines de milliers de juifs français et sur leur sentiment d'insécurité dans la République française.
J'aimerais vous parler plus en profondeur de l'antisémitisme qui touche aujourd'hui le quotidien, c'est-à-dire l'antisémitisme « banal », celui qu'on ne dénonce pas ou peu. L'an dernier, avec l'Institut français d'opinion publique (IFOP), nous avons élaboré un sondage dans les universités. Il a révélé que, sur le panel d'étudiants de l'UEJF interrogés, 89 % d'entre eux avaient déjà vécu de l'antisémitisme à l'université ; 20 % des étudiants avaient déjà subi une agression antisémite. Or seul 1 % d'entre eux a porté plainte.
En septembre dernier, nous avons réalisé un autre sondage sur un large panel de jeunes, juifs et non-juifs. Il est apparu que 10 % de ces 800 jeunes témoignaient du fait que, dans leur propre classe, il avait été impossible d'enseigner la Shoah. ; 20 % d'entre eux expliquaient qu'il avait été très compliqué, dans leur classe, d'enseigner la Shoah.
C'est une réalité que l'on retrouve à l'école et à l'université et à laquelle il faut apporter des solutions. Sur ce point, je pense qu'il y a trois aspects sur lesquels l'État peut s'impliquer pour faire évoluer la situation.
Le premier niveau est celui de la prévention et de la promotion du « vivre ensemble ». Pour exemple, dans les universités, il existe un référent « racisme et antisémitisme ». Leur création a été décidée par Najat Vallaud-Belkacem et les référents ont été nommés par Frédérique Vidal. Mais ces référents ne sont pas formés et ne sont connus que par 8 % des étudiants interrogés dans notre sondage. De plus, ils disposent de peu de moyens pour agir dans l'université. Pourtant, s'ils se présentaient aux étudiants en début d'année universitaire, il serait possible d'organiser des actions de prévention, dès lors que les étudiants victimes d'actes antisémites sauraient à qui s'adresser et que les auteurs de ces actes comprendraient qu'ils ne peuvent agir en toute impunité. Il en est de même dans les écoles : si les élèves savaient à qui s'adresser dans pareille situation, ce serait plus simple pour eux.
Ceci soulève également la question de la formation, notamment celle des policiers. Ils sont, certes, déjà beaucoup formés par le Mémorial de la Shoah, par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), mais il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. À titre d'exemple, cet été, lors des universités d'été de l'UEJF, un groupe d'étudiants a été traité de « sales juifs » dans le métro. La plupart d'entre eux se refusaient à porter plainte, pensant que c'était inutile. Bien entendu, nous avions l'intention de porter plainte. Or le policier à l'entrée du commissariat à Marseille m'a expliqué pendant dix minutes qu'il était inutile de déposer plainte car la plainte n'aboutirait pas. Enfin, il m'a demandé si nous avions vraiment été traités de « sales Juifs » et pas d'autre chose en lien avec Israël, prétendant que, si tel était le cas, ce n'était pas vraiment de l'antisémitisme. En tant que présidente de l'UEJF, je suis restée aussi longtemps que nécessaire devant ce commissariat pour pouvoir porter plainte.
Par ailleurs, nous devons sans cesse nous battre pour que les parquets laissent l'opportunité au juge de décider, ou non, du caractère éventuellement antisémite, raciste ou homophobe des actes déférés. Parfois, le juge lui-même ne retient pas le caractère raciste, antisémite ou homophobe de l'acte. Récemment, à Strasbourg, un étudiant de l'UEJF, en train de réaliser des graphes au sol pour la ville dans le cadre d'un job étudiant, a été agressé par une personne qui lui a demandé de retirer son t-shirt sur lequel était inscrit « Israël ». Cette personne s'est emparée de la bombe de graffiti pour écrire au sol « interdit aux juifs ». Cela vient d'être jugé en comparution immédiate et le juge n'a pas retenu le caractère antisémite de cet acte.
Si les personnes auxquelles les victimes se retrouvent confrontées ne comprennent pas le caractère raciste, antisémite ou homophobe d'un acte et le fait que cela puisse constituer un caractère aggravant, les victimes n'iront plus porter plainte.
J'aimerais également vous parler des réseaux sociaux, qui sont au cœur de l'actualité. Avant la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia », il existait déjà une loi qui permet de sanctionner à la fois les plateformes et les auteurs de messages haineux. Il n'existe pas d'anonymat en ligne : Soral et Dieudonné ne sont pas anonymes lorsque nous les poursuivons devant la justice.