Intervention de Noémie Madar

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Noémie Madar, présidente de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) :

. En ce qui concerne la concurrence victimaire et mémorielle, dans le sondage que nous avons réalisé il y a un mois, il est très intéressant de constater que, lorsque l'on interroge les étudiants sur la connaissance de la Shoah et la mémoire de la Shoah, les élèves trouvent très majoritairement qu'il s'agit d'un crime grave. En revanche, lorsque l'on place ces questions dans une comparaison avec l'Algérie, avec l'esclavage, les résultats sont bien moins importants. Ceci prouve qu'il existe un sujet de concurrence victimaire et de concurrence mémorielle et l'on fait peser sur les juifs de France le fait que l'on ne parle pas suffisamment du reste.

Mais je vous rejoins, madame la rapporteure, sur le fait qu'il ne s'agit pas de se « partager un gâteau » en plusieurs parts : dans les programmes scolaires, il faut pouvoir parler suffisamment de l'esclavage, de la Shoah, de l'Algérie. Mais nous sommes peut-être confrontés à des élèves qui, face à un enseignement de la Shoah qui a été très développé ces dernières années, ont l'impression que l'enseignement d'autres types de crimes et de génocides est moins développé. Aussi, au lieu de dire que l'on parle trop de la Shoah, peut-être faut-il réfléchir à la manière de parler davantage des autres drames de telle sorte qu'à la lecture des manuels scolaires, les élèves puissent constater que l'on parle autant des autres génocides que de la Shoah. Il y a quinze ans, l'UEJF avait organisé le premier voyage au Rwanda avec des rescapés tutsis ou rwandais. Depuis, nous avons poursuivi notre combat au travers du dialogue des mémoires et non de la concurrence victimaire.

C'est Dieudonné qui, le premier, a fait émerger cette concurrence victimaire, car il trouvait que l'on ne parlait pas suffisamment de l'esclavage. C'est là que se trouve le danger, y compris dans les classes où les jeunes, parce qu'ils trouvent que l'on ne parle pas assez d'eux et trop des autres, développent un sentiment d'antisémitisme. C'est ce que l'on retrouve malheureusement dans notre sondage : lorsque l'on parle de l'antisémitisme de façon absolue, les jeunes reconnaissent le génocide de la Shoah et en parlent, mais ils minorent l'importance de la Shoah quand on la compare à d'autres évènements historiques.

Il faut donc travailler dans les manuels d'histoire, dans les classes d'histoire et dans les écoles, les fondations – la fondation de l'esclavage vient d'être créée – comme le fait le Mémorial de la Shoah depuis maintenant une quinzaine d'années, de telle sorte que les jeunes qui se sentent touchés par cette histoire aient l'impression que l'on en parle aussi. C'est cela le caractère universel : pouvoir parler de toutes les mémoires sans avoir l'impression que l'on ne parle pas assez de l'une ou de l'autre et sans reprocher aux uns ce que l'on ne fait pas pour les autres.

La question de quand et où partir est malheureusement un sujet d'actualité pour les juifs de France. À l'université, un cinquième des étudiants juifs de ma génération a quitté la France pour Israël, notamment. Pour éviter d'en arriver là, il faudrait que la justice condamne les actes antisémites. Mais on a souvent l'impression que la question de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ne devient un sujet de société que lorsque quelque chose de grave se produit, lorsqu'il y a des morts, des croix gammées dans Paris, etc. Ce doit être un sujet constant.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), l'organe étatique qui traite principalement de ces sujets-là, n'est pas l'organe de l'État le mieux doté financièrement pour traiter ce sujet primordial dans la société.

Enfin, la question de la justice est aujourd'hui très complexe, à la fois en amont – pour porter plainte et pour les réquisitions – et en aval. Aussi, si les parquets acceptaient de laisser aux juges la liberté de juger le caractère raciste et antisémite, nous n'en serions pas là dans bon nombre d'affaires.

Les juges et les procureurs doivent être davantage formés sur ces questions. En effet, pour en revenir à l'exemple survenu à Strasbourg, l'étudiant concerné était désespéré et atterré de s'être retrouvé face à un juge qui n'a pas retenu le caractère aggravant antisémite de l'acte d'inscrire « interdit aux juifs ».

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