Je reviens sur la concurrence mémorielle : je ne considère pas qu'il y ait une priorité d'enseignement de telle ou telle mémoire. Au contraire, il ne s'agit pas de moins enseigner la mémoire de la Shoah, mais plutôt de remettre à niveau l'enseignement des autres mémoires dans les manuels scolaires pour éviter de se confronter à ceux qui, en toute bonne foi, trouveront que l'on en fait trop sur la mémoire de la Shoah, alors qu'en réalité, l'on n'en fait pas assez sur les autres mémoires. Aucune mémoire n'est prioritaire par rapport aux autres. Personne ne doit avoir le sentiment que sa mémoire est partiellement niée par la plus grande importance que prend une autre, ce qui peut malheureusement dévier vers une négation d'une mémoire au profit de l'émergence d'une autre.
Je considère que la France est le pays qui dispose de l'arsenal législatif le plus abouti pour pouvoir lutter contre les phénomènes de racisme et d'antisémitisme auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Malheureusement, les juges ne font pas leur travail et n'ont pas pris conscience de leur responsabilité et de leur rôle pour résorber ces haines (antisémitisme, racisme, homophobie, haine des musulmans, etc.) qui traversent la société. On ne peut plus se contenter, aujourd'hui, de condamnations symboliques et de travaux d'intérêt général dans le cas de délinquants antisémites récidivistes. Non seulement une peine trop légère n'a pas de caractère dissuasif, mais elle est presque un appel à la récidive.
Noémie Madar nous a cité l'exemple de ce jeune de Strasbourg, pour lequel le CRIF s'est constitué partie civile : nous avons été estomaqués du résultat de cette audience en comparution immédiate dont l'auteur des faits est sorti « les mains dans les poches ». Nous avons donc aujourd'hui un réel problème avec les juges, et non avec la justice.
Il est nécessaire qu'il y ait une véritable prise de conscience des juges quant à leur responsabilité dans le développement des haines dans la société, parce qu'ils ne jouent pas leur rôle. Mais la société doit également être éducative et pas uniquement punitive. Tels sont les deux piliers sur lesquels repose la lutte contre les haines : l'éducation et la justice. En ce qui concerne l'éducation, le plan proposé par Jean-Michel Blanquer va dans le bon sens, mais nous n'en verrons les effets que dans une génération. Seule la justice peut proposer une solution immédiate.
Certains juifs ont quitté la France après les attentats de l'Hyper Cacher parce qu'ils ne sentaient plus en sécurité en France, mais aussi parce qu'ils se sentaient isolés dans leur propre pays et ils avaient que leur situation n'était pas considérée comme une affaire française. Les attentats du Bataclan ont fait prendre conscience de ce qu'avaient vécu les juifs pendant ces attentats qui ne concernaient qu'eux. Et à ce moment, les juifs ont à nouveau été insérés dans la photographie nationale, ils se sont à nouveau sentis appartenir à la Nation. Les chiffres de l'Alya ont d'ailleurs commencé à descendre, pour attendre des niveaux normaux.
Mais le plus inquiétant, ce sont les départs d'exil intérieur : ces Français juifs, victimes de l'antisémitisme du quotidien, obligés de quitter la ville dans laquelle ils ont grandi et travaillé parce que la vie y est devenue impossible. La République n'a pas réussi à garantir aux Français juifs la possibilité de vivre en sécurité partout où ils veulent sur le territoire.